Libération - 05.10.2019 - 06.10.2019

(Steven Felgate) #1
Le 5 septembre
à Matignon, lors
d’une rencontre entre
Edouard Philippe et
les partenaires sociaux.
Photo Albert FAcelly

«V


ous changez, ou je vous
change !» Un Emma-
nuel Macron hors de lui
a fait tomber la foudre sur des mi-
nistres penauds, le 11 septembre,
au cours d’un séminaire gouver­-
nemental. Des résultats ou la porte,
a résumé le Figaro, informé par
un participant de la réunion.
Un propos que l’Elysée s’est en-
suite échiné à démentir. Les
mots prêtés au chef de l’Etat?
«On essaie de comprendre d’où
ils viennent, a répondu, un peu
las, un conseiller présidentiel à
­Libération. Ni moi, ni les repré­-
sentants de Matignon, ni la porte-
parole [Sibeth Ndiaye, ndlr] n’avons
entendu cette phrase pendant la
­réunion. Qui a voulu jouer les
gros bras auprès de la presse ?»
Et notre interlocuteur de tâtonner,

­dédouanant les uns – «Lui? Je n’y
crois pas une seconde» –, soupçon-
nant les autres.
Des ministres sans nom brodant
sur les propos présidentiels? De
mystérieux «entourages» spéculant
sur le prochain remaniement
ou contestant la ligne officielle,
­confiant leurs états d’âme ou médi-
sant à propos de leurs propres ca-
marades? Le Président et son Pre-
mier ministre détestent cela. Ils
l’ont souvent dit et il leur arrive en-
core, à leur grand agacement, de
devoir le répéter... Pratique
incontour­nable et parfois discutée
du journalisme, le off est ce contrat
simple entre un homme de pouvoir
et son interlocuteur : une parole li-
bre, et parfois piquante, contre un
­anonymat protecteur – réclamé,
par exemple, par la plupart des
sources contactées par Libération
pour les besoins de cet article.
Même tempérée, la pratique survit

sous un macronisme qui se pro­-
mettait, sinon d’en finir avec
elle, du moins de lui poser de
­sévères ­limites.

«jouer au chat
et à la souris»
«On fait mieux que nos prédéces-
seurs, mais on n’est pas encore tout
à fait où il faudrait, il y a un peu de
relâchement ces derniers mois : on
voit trop souvent fuiter les échanges
qui ont lieu en Conseil des minis-
tres», observe-t-on au sommet de
l’exécutif. «C’est jouer au chat et à la
souris, un peu risqué mais amusant
comme tous les trucs risqués», confie
un conseiller habitué des échanges
informels – ce qui lui a, comme à
d’autres, valu des appels réproba-
teurs de Matignon. Un jeu, mais
aussi une résistance au «ver-
rouillage de la parole politique» et
aux «ambiguïtés» du pouvoir, pour-
suit cet indiscret.

Aux yeux d’Emmanuel Macron, le
sujet n’a rien de secondaire. Visi­-
blement hanté par la question, le
chef de l’Etat avait, dans des vœux
à la presse prononcés début 2018,
déclaré vouloir rétablir une «saine
distance» entre journalistes et exé-
cutif. Déplorant une «proximité
[qui] a consisté parfois à donner
plus de place à des propos d’anti-
chambre qu’aux propos tenus de
manière officielle», Emmanuel
­Macron avait dénoncé la place ac-
cordée dans les médias à «ce qui
est raconté de manière anonyme,
sans que [l’auteur des propos] ne
soit jamais cité».
Sur ce sujet comme sur bien d’au-
tres, le chef de l’Etat veut à tout
prix se distinguer du précédent
quinquennat, tenu pour un contre-
modèle absolu. Une intarissable
machine à confidences avait alors
entretenu les divisions dans la ma-
jorité et les rivalités personnelles

des ministres. Lui-même porté aux
épanchements, François Hollande
avait cher payé sa loquacité après
la parution de l’ouvrage «Un pré­-
sident ne devrait pas dire ça...», re-
cueil de ses échanges avec deux
jour­nalistes du Monde. Sous un
macronisme obnubilé par sa propre
unité, pas de courants au sein du
parti présidentiel et pas de bavards
au gouvernement. «On est là pour
faire, pas pour parler de nous, ce
­serait un cul-de-sac destructeur,
­explique Matignon. Ce n’est pas
un sujet anecdotique, ça fait par-
tie de notre promesse : on est
­différents. Chaque fois qu’on cède
là-dessus, on devient un peu comme
les autres.» Il est vrai que, sous Em-
manuel Macron, ce n’est pas en off
mais sous le regard des caméras
que le chef de l’Etat s’est laissé aller
à ces «petites phrases» ayant si
­rapidement dégradé son image
dans l’opinion...

Par
Dominique Albertini

Fuites dans


les médias :


Macron marche


sur des off


Depuis le début du quinquennat, les ministres sont


prévenus : le Président déteste découvrir dans les


médias que son équipe s’est épanchée de façon


anonyme auprès des journalistes. Mais il n’est


pas facile de se défaire de certaines habitudes...


france


8 u Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Octobre 2019

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