14 |économie & entreprise MERCREDI 9 OCTOBRE 2019
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GE Belfort : deux syndicats attaquent l’Etat en justice
Pour la CFECGC et SUD, le projet de suppression de 792 emplois ne respecte pas l’accord de 2014
belfort correspondant
L
eur dernière entrevue,
mardi 1er octobre, à Bercy,
avec les équipes de Bruno
Le Maire, ministre de
l’économie, « n’a absolument rien
donné », rapporte, déçu et agacé,
Philippe Petitcolin, porteparole
de l’intersyndicale (CFECGC, SUD
et CGT) de l’entité belfortaine de
General Electric (GE). Consé
quence : deux syndicats ont dé
cidé de passer à la vitesse supé
rieure. « On leur a dit : “Mainte
nant, ça suffit! On ne discute
plus !” »
Lundi 7 octobre, la CFECGC et
SUD – sans la CGT – ont saisi le tri
bunal administratif de Paris, afin
de mettre en cause la responsabi
lité de l’Etat dans le nonrespect de
l’accord de 2014 signé avec GE. La
ville de Belfort, le conseil départe
mental du Territoire de Belfort et
la région BourgogneFranche
Comté se disent solidaires de cette
initiative et évoquent la possibi
lité de déposer plainte à leur tour.
« Cet accord conditionnait l’opé
ration d’acquisition de l’activité
énergie et réseaux d’Alstom au
maintien et au développement de
l’activité industrielle de GE en
France », rappelle M. Petitcolin
(CFECGC). Or, selon celuici, le
projet de suppression de 792 em
plois, dévoilé le 28 mai, est la con
séquence directe de ce nonres
pect ; pour les syndicats, les dés
étaient pipés dès le départ.
L’accord de 2014 stipulait, par
exemple, que les quartiers géné
raux européens de GE, pour les
activités turbines à gaz de grande
taille à usage industriel de
50 Hertz (Hz), demeureraient à
Belfort. « Mais, avant même la va
lidation de l’acquisition, le PDG
américain de GE, Henry Lawrence
“Larry” Culp, a communiqué un
organigramme de la direction
mondiale du groupe dans lequel
ne figurait plus aucun Belfortain,
enrage Philippe Petitcolin. Tous
les postes jusquelà localisés chez
nous ont été progressivement sup
primés et les manageurs rétrogra
dés dans la hiérarchie. » Le site de
la Cité du lion « est passé d’un cen
tre de décisions à un centre d’exé
cution ». Alexis Sesmat, délégué
syndical SUD, appuie : « La nou
velle équipe dirigeante, principale
ment située en Suisse pour des rai
sons fiscales évidentes, a déployé
une stratégie purement financière,
matérialisée par la fermeture de si
tes, la délocalisation d’activités
dans les pays dits low cost, la ré
duction des budgets de R&D et le
gel des investissements. »
Dialogue de sourds et ambiance
de plomb : chez GE Belfort, la si
tuation est aujourd’hui totale
ment bloquée. Le 3 octobre, la di
rection s’est dite « disposée à envi
sager de conserver jusqu’à 150 pos
tes sur un total de 792 départs
initialement proposés, sous ré
serve que les instances représenta
tives du personnel viennent dis
cuter dans le cadre formel du pro
cessus de consultation qui
s’achève le 21 octobre ». Une exi
gence à laquelle l’intersyndicale a
opposé une fin de nonrecevoir.
Retards de production
« Pour “sauver” ces 150 postes, il
faudrait qu’on s’assoit sur nos ac
quis sociaux : les primes de trans
port et de déplacement, l’épargne
salariale, les RTT, les primes de
nuit..., poursuivent les deux syn
dicalistes. S’il faut faire des écono
mies, que la direction commence
par supprimer les bonus des
80 personnes qui, chez GE, ga
gnent plus de 100 000 euros par
an, ainsi que leurs voitures de
fonction et leurs stockoptions. Ce
n’est pas à l’ouvrier de base de re
noncer à ses avantages. Et puis, ce
semblant de pas en avant, c’est
pour faire quoi? Derrière, la direc
tion n’a aucun projet industriel
pour Belfort. »
Pour eux, l’argumentaire de la
direction – celui de la baisse dura
ble du marché des turbines à gaz
dans le monde – pour justifier le
plan social belfortain a du plomb
dans l’aile. « Le marché européen
est en train de rebondir, par exem
ple, en Irlande, au RoyaumeUni,
en Allemagne, en Belgique, en Ita
lie, en Grèce et en Turquie. Aucun
nouveau contrat n’a encore été si
gné, mais la demande n’a jamais
été aussi forte depuis une dizaine
d’années. Il est ubuesque, totale
ment délirant, de vouloir diviser
par deux les effectifs belfortains.
Non à la folie de GE! »
Toujours selon les syndicats, la
direction du conglomérat aurait
d’ailleurs commencé à changer
son fusil d’épaule. « Désormais,
c’est le manque de compétitivité de
Belfort qui est pointé du doigt »,
s’étrangle Alexis Sesmat, « ce qui
n’est étayé par aucune démonstra
tion rationnelle ». Philippe Petit
colin embraie : « Ces dernières an
nées, l’entité de Belfort a fabriqué,
en moyenne, 40 turbines par an
avec 2 000 salariés, contre 60 pour
le site de production aux Etats
Unis, avec 12 000 salariés, et seule
ment 4 pour celui situé en Suisse,
avec 4 000 salariés. »
A Belfort, les retards de produc
tion et les problèmes de qualité
s’accumulent. Les pénalités égale
ment. « Pour la période comprise
entre aujourd’hui et juin 2020, on
évalue déjà leur montant à
100 millions d’euros, alors que GE
veut supprimer la moitié des effec
tifs belfortains pour faire une éco
nomie de 70 millions d’euros,
ajoute M. Petitcolin. En 2018, on a
perdu 1,3 milliard de dollars
[1,18 milliard d’euros], dont
750 millions imputables à des pro
blèmes d’exécution. »
L’intersyndicale a lancé un nou
vel appel à la mobilisation des sa
lariés et de la population à Belfort,
samedi 19 octobre. Vendredi 18 et
samedi 19 octobre, elle a par
ailleurs programmé des « assises
de l’industrie de l’énergie » pour
« montrer que Belfort a un avenir »,
en présence, entre autres, d’ex
perts en stratégie économique et
de personnalités politiques.
alexandre bollengier
Gucci vole au secours de l’italien Safilo
Kering a renouvelé le contrat d’approvisionnement de sa marque de luxe avec le fabricant
de lunettes de la Péninsule, affaibli par l’évolution du marché
K
ering redore son blason
en Italie. Cinq mois après
avoir soldé un conten
tieux en acceptant de payer
1,2 milliard d’euros d’amende
pour évasion fiscale en Italie, le
groupe français de luxe soutient
un gros employeur de la Pénin
sule. Sa filiale Kering Eyewear a
annoncé, vendredi 4 octobre,
avoir renouvelé le contrat d’ap
provisionnement de sa marque
Gucci auprès du fabricant italien
Safilo, affaibli par la perte de la fa
brication de montures que lui ac
cordait LVMH sous licence.
La signature de ce contrat d’une
durée de trois ans démontre
« l’engagement » des deux grou
pes pour le « territoire » et la « fa
brication italienne », assurent Sa
filo et Kering dans un communi
qué commun, en soulignant leur
« responsabilité sociale ».
Au passage, les deux groupes
s’adressent à tous ceux qui s’in
quiètent de l’avenir de l’industrie
italienne de la lunette, de ses 900
entreprises et 17 000 employés.
Le secteur, dont le bassin histori
que est la Vénétie, est sous obser
vation depuis les changements
de stratégie de Kering en 2015 et
de LVMH en 2017. Pour capter les
coquettes marges que dégage la
vente d’une paire de lunettes grif
fée, les deux groupes ont décidé
de reprendre en interne la fabrica
tion de leurs montures, en met
tant fin aux licences qu’ils accor
daient aux façonniers italiens,
dont Safilo, figure du secteur fon
dée en 1934.
Partenaire depuis dix-huit ans
En 2014, Kering a monté une fi
liale ad hoc, Kering Eyewear, puis
y a associé, en 2017, le groupe
suisse Richemont à hauteur de
30 %. Depuis, la société a recours
à 40 soustraitants dans le
monde, dont une dizaine en Ita
lie, pour produire les paires de
ses marques dessinées par 12 de
signers dans son studio à Padoue
et celles de Cartier, marque de Ri
chemont.
Parmi ce pool de soustraitants
italiens figure, précisément, Sa
filo, son exlicencié, « le parte
naire de la marque Gucci depuis
dixhuit ans », a rappelé son PDG,
Roberto Vedovotto, à Milan, ven
dredi 4 octobre, lors d’une ren
contre avec la presse à laquelle Le
Monde était invité.
Grâce, notamment, au succès
mondial de Gucci, la machine Ke
ring Eyewear tourne à plein ré
gime ; en 2018, son chiffre d’affai
res a bondi de 45 % pour atteindre
495 millions d’euros, lui accor
dant une marge brute de 60 %. A
tel point que Kering espère désor
mais doubler le numéro un mon
dial de la fabrication de lunettes
de luxe, le francoitalien, Essilor
Luxottica, connu notamment
pour ses RayBan.
LVMH est aussi fort ambitieux.
Mais, depuis 2017, il emprunte
une autre voie. Le groupe détenu
par Bernard Arnault s’est associé
à l’italien Marcolin à 50/50 au
sein de la société Thélios ; ensem
ble, ils ont créé une première
usine en avril 2019, à Longarone,
sur un terrain situé à 200 mètres
seulement de celle de Safilo qui
emploie 900 salariés. A terme,
assure Thélios, ce site
pourra produire 4,5 millions
d’exemplaires par an, contre
1,5 million la première année.
Dès lors, Safilo risque d’être en
surcapacité de production. Les
analystes financiers italiens pré
disent que ses ventes atteindront
à terme environ 770 millions
d’euros, contre 963 millions
d’euros en 2018. Car, à partir du
1 er janvier 2021, le fabricant ne
produira plus les montures Dior,
licence que LVMH lui renouvelait
depuis vingttrois ans. L’italien
devrait aussi perdre les licences
Givenchy, Fendi et Marc Jacobs,
autres marques de LVMH, dont
les contrats arrivent à échéance
respectivement en 2021, 2022 et
2024.
Dès lors, le renouvellement du
gros contrat Gucci est un soula
gement pour Angelo Trocchia,
directeur général de Safilo de
puis avril 2018. Toutefois, il ne
lève pas les menaces qui planent
sur les emplois des 3 000 salariés
italiens de Safilo. Tous ont en
mémoire les mesures de réduc
tion d’effectifs envisagées
en 2012, à la suite de la perte de la
licence de fabrication des lunet
tes Armani.
Le groupe italien avait alors an
noncé supprimer 1 000 emplois
dans trois de ses quatre sites, à Pa
doue, Longarone et Santa Maria
di Sala, avant de signer un com
promis avec les syndicats. Qu’en
seratil, cette fois? Dès cet été,
des mesures de réductions d’ef
fectifs, dont un « plan de départs
volontaires », ont été prises dans
ses quatre usines italiennes
« pour gérer les surcapacités de
production », précise Safilo. Son
directeur général doit détailler sa
stratégie en novembre.
juliette garnier
« Il est délirant
de vouloir diviser
par deux
les effectifs
belfortains »
PHILIPPE PETITCOLIN
ET ALEXIS SESMAT
délégués syndicaux
Manifestation d’employés de l’usine General Electric de Belfort, le 17 septembre. SEBASTIEN BOZON/AFP
L’américain s’attaque aux retraites maison
General Electric a annoncé, lundi 7 octobre, plusieurs mesures
pour réduire son endettement jusqu’à 6 milliards de dollars
(5,45 milliards d’euros), en particulier en s’en prenant à la re-
traite maison. Le groupe américain a déjà cessé d’accepter de
nouveaux entrants dans son fonds de retraite depuis 2012. Aux
Etats-Unis, la retraite des employés est parfois à la charge de
l’entreprise pour laquelle ils ont travaillé. Elles abondent en par-
tie un compte épargne retraite, composé d’actions boursières. La
situation est dramatique, car près de la moitié des Américains de
55 ans ou plus n’ont aucune épargne retraite, selon le rapport
d’une agence indépendante, le GAO, publié en mars et qui se
fonde sur des chiffres de 2016.
É N E R G I E
Hausse des coupures
de gaz et d’électricité
Le médiateur de l’énergie,
Jean Gaubert, a fait part de
son inquiétude, mardi 8 oc
tobre, alors que ses services
sont de plus en plus sollicités
par des consommateurs pri
vés d’électricité ou de gaz
pour ne pas avoir réglé leurs
factures. Il craint que le nom
bre d’interventions, en 2019,
pour impayés, coupures ou
réductions de puissance dé
passe les 572 440 réalisées
en 2018. Pour les six premiers
mois de 2019, les données
provisoires, transmises par
les fournisseurs, font état
d’une hausse de 18 % du
nombre des coupures d’élec
tricité et de 10 % pour le gaz
naturel, par rapport au pre
mier semestre 2018. – (AFP.)
C O N J O N C T U R E
Le déficit commercial
de la France se dégrade
en août
Le déficit commercial de la
France s’est dégradé sur un
mois, en août, à 5 milliards
d’euros, soit 500 millions de
plus qu’en juillet, ont indiqué,
mardi 8 octobre, les douanes.
Cumulé sur les douze der
niers mois, il est, en revan
che, resté « globalement sta
ble » depuis le mois de mai, à
53,7 milliards d’euros, en
amélioration par rapport aux
58,6 milliards sur la période
septembre 2017août 2018.
D É F E N S E
Avion de combat
du futur : Dassault
et Airbus appellent
Paris et Berlin à agir
Dassault et Airbus ont appelé,
lundi 7 octobre, Paris et Berlin
à lancer, « sans plus attendre »,
les études permettant la con
ception, en 2026, d’un dé
monstrateur pour le Système
de combat aérien du futur, ap
pelé à remplacer le Rafale et
l’Eurofighter. – (AFP.)
F I N A N C E
La Bourse de Hongkong
renonce à racheter celle
de Londres
La Bourse de Hongkong a an
noncé, mardi 8 octobre, re
noncer à son projet d’acquisi
tion, pour 39 milliards de
dollars (35,5 milliards
d’euros), du London Stock Ex
change (LSE), regrettant de
n’avoir pas pu discuter avec
le conseil d’administration
du LSE. – (Reuters.)
É D I T I O N
La Fnac lance
un service d’impression
à la demande
En partenariat avec le cana
dien Kobo Writing Life, la Fnac
a annoncé, lundi 7 octobre, le
lancement d’un service d’im
pression à la demande pour
les auteurs autoédités en nu
mérique. Ce service permettra
de vendre leurs livres en for
mat papier dans 10 000 li
brairies francophones.