Le Monde - 09.10.2019

(Rick Simeone) #1
0123
MERCREDI 9 OCTOBRE 2019 économie & entreprise| 15

Un nouveau remède


libéral pour une


Grèce en rémission


Après dix ans de crise, le pays, soutenu par le tourisme et les


exportations, a renoué avec la croissance, sans effacer chômage


élevé et précarité. Pour accélérer le tempo, le nouveau premier


ministre conservateur, Kyriakos Mitsotakis, entend mener des


réformes, contestées, notamment sur le marché de l’emploi


athènes ­ correspondance

D


ans les ruelles
pittoresques de
Plaka, autour de
la colline de
l’Acropole, Maria
Theodorakopou­
lou déambule avec un groupe de
touristes. La trentenaire a retrouvé
le sourire. Après avoir cumulé les
petits boulots et les contrats
courts durant neuf ans de crise,
l’archéologue de formation est
devenue guide touristique. « Je ne
chôme pas. Même en octobre,
censé être le début de la basse
saison en Grèce, j’enchaîne les visi­
tes avec des touristes euro­
péens et américains », se réjouit­
elle. Même enthousiasme chez
Vangelis, chauffeur de taxi : « Pen­
dant la crise, nous pouvions atten­
dre pendant des heures sur des
places centrales d’Athènes et ne pas
avoir un client. Désormais, je suis
appelé par les touristes grâce à des
applications, et même les Grecs
reprennent le taxi! »
Avec 32 millions de visiteurs
en 2018 (pour 11 millions d’habi­
tants), le tourisme a stimulé tous
les pans de l’économie grecque.
Le secteur et ses 988 000 emplois
embauche près d’un quart des
travailleurs en Grèce et repré­
sente plus de 20 % du PIB du pays.
A Athènes, les nouveaux hô­
tels ne cessent de voir le jour,
les panneaux « à louer » ou « à
vendre » sur les façades des im­
meubles se font rares grâce, no­
tamment, au développement des
locations saisonnières et aux in­
vestisseurs étrangers ; les maga­
sins rouvrent même dans les
quartiers populaires.
« Tous les voyants sont au vert!
Nous sommes indéniablement
dans une période d’amélioration
avec une croissance de l’ordre de
2 % du PIB l’année dernière et cette
année », commente Panagiotis
Petrakis, professeur d’économie à
l’université d’Athènes. Les expor­
tations sont en hausse (de 45 mil­
liards d’euros en 2009 à 66 mil­
liards en 2019), les prix de l’immo­
bilier explosent (+ 31 % au centre
d’Athènes sur un an), la Bourse a
bondi de 46 % depuis le 1er janvier,
les taux des emprunts grecs à dix
ans sont tombés à leur plus bas
niveau depuis quatorze ans.
« Mais il ne faut pas oublier qu’on
revient de loin... La Grèce a perdu
25 % de son PIB pendant la crise.
Les Grecs, qui ont vu leur pouvoir
d’achat fondre, peinent à se rele­
ver », précise Panagiotis Petrakis.
« Avec à long terme une croissance
prévue à 0,9 %, il faudra encore
une décennie et demie pour que les
revenus réels par tête atteignent
les niveaux d’avant la crise »,
analyse d’ailleurs le Fonds moné­
taire international (FMI) dans un
rapport publié fin septembre.
Le taux de chômage illustre
cette situation. Certes, il est passé
de 28 % au pic de la crise, en 2013,
à 16,9 % en 2019, selon l’Autorité
des statistiques grecques (Elstat).
Mais cela reste le niveau le plus
élevé de la zone euro, et la préca­
rité est prégnante. En septembre,
47 % des emplois créés étaient des
contrats à mi­temps.

Depuis que le magasin de vête­
ments qui l’employait a mis la clé
sous la porte, en 2016, Dimitris
n’a pas retrouvé de travail. Devant
la pharmacie sociale du quar­
tier d’Omonia, au centre d’Athè­
nes, ils sont encore nombreux,
comme lui, à attendre de pou­
voir récupérer les médicaments
qu’ils ne peuvent pas payer.
« Avec comme seule ressource une
aide sociale de 200 euros par mois,
je peine à subvenir à mes besoins
de base et à me soigner », note le
quinquagénaire, qui ne dispose
pas d’une sécurité sociale.

HÉMORRAGIE DE MÉDECINS
En 2015, le gouvernement de l’ex­
premier ministre, Alexis Tsipras,
a rendu les frais hospitaliers gra­
tuits pour les 3 millions de ci­
toyens qui n’avaient plus de sécu­
rité sociale, en grande partie des
chômeurs, qui, au bout d’un an,
perdent leur couverture maladie.
Mais, pour avoir accès à des ren­
dez­vous dans le privé, pour ache­
ter des médicaments, ils doivent
payer de leur poche.
« L’état des hôpitaux publics ne
s’améliore pas! Le budget ne
cesse de diminuer tous les ans, le
personnel n’a pas été augmenté
depuis le début de la crise, et, si les
contrats courts des 600 employés,
sur les 3 000 de notre hôpital, ne
sont pas renouvelés d’ici à la fin
de l’année, nous serons dans une

situation catastrophique! », sou­
tient Ilias Sioras, président du
syndicat des travailleurs du plus
grand hôpital d’Athènes, Evange­
lismos. D’après ce cardiologue,
près de 18 000 médecins grecs
sont partis à l’étranger pendant la
crise, faute d’embauches dans
le public ou à cause de salaires
trop faibles. Au total, plus de
350 000 jeunes grecs diplômés se
sont exilés entre janvier 2008 et
juin 2016, selon un réseau de

jeunes entrepreneurs, Endeavor.
« Une hémorragie difficile à com­
penser... Il manque désormais du
personnel hautement qualifié en
Grèce », estime M. Petrakis.
Le gouvernement va aussi de­
voir s’attaquer au secteur ban­
caire. « Les taux de créances dou­
teuses [qui ne seront sans doute
pas remboursées] représentent
plus de 40 % des actifs des banques
grecques. Le secteur reste très fra­
gile, et le financement de l’éco­

nomie réelle est encore bloqué »,
souligne Gerasimos Sapountzo­
glou, professeur de finances à
l’université d’Athènes. Les ban­
ques grecques accordent difficile­
ment des prêts aux entreprises
ou aux particuliers et, quand elles
acceptent, les taux d’intérêt sont
très élevés (autour de 4 % pour un
prêt professionnel par exemple).
Le gouvernement étudie actuel­
lement un plan pour assainir les
bilans des établissements bancai­

res hellènnes en fournissant des
garanties d’Etat. Pour inciter les
investissements étrangers à reve­
nir, une réforme de l’administra­
tion est nécessaire, souligne, par
ailleurs, M. Sapountzoglou, pour
qui les mesures prises jusqu’ici
« n’ont pas été suffisantes ».
Le premier ministre conser­
vateur, Kyriakos Mitsotakis, élu
en juillet – qui doit soumettre à
la Commission européenne, le
15 octobre, son projet de budget
pour l’année 2020 – fixe un objec­
tif de croissance du PIB de 2,8 %
(contre 2 % prévus par le FMI).
Pour cela, il compte sur une accé­
lération des privatisations, frei­
nées par la bureaucratie, sur une
baisse des impôts sur les bénéfi­
ces des entreprises (passant de
28 % à 24 %), sur un allégement
fiscal pour toute entreprise qui
déciderait d’installer son siège
en Grèce (à 15 %) et sur une dimi­
nution de l’impôt foncier...
Aimilios Chalamandaris, fonda­
teur de la start­up de haute tech­
nologie Innoetics, qui a été rache­
tée par Samsung en 2014, est opti­
miste : « Après avoir survécu à la
crise, le pire est derrière nous. Le
pays change, son image auprès
des investisseurs s’est améliorée. Si
notre système d’imposition de­
vient favorable aux entreprises, et
surtout s’il ne bouge pas, il n’y a
pas de raison que la reprise ne soit
pas au rendez­vous. »
marina rafenberg

Le taux de
chômage est
passé de 28 %
en 2013, à 16,9 %
en 2019, selon
l’Elstat. Mais cela
reste le niveau
le plus élevé
de la zone euro

PLEIN  CADRE


Le « ballet » des gardes du Parlement d’Athènes, sous les yeux des touristes, le 10 juillet. LOUISA GOULIAMAKI/AFP

restriction du droit de grève, suppres­
sion de conventions collectives, déve­
loppement des explorations pétrolières...
le « grand projet de loi pour la croissance »
du premier ministre conservateur, Ky­
riakos Mitsotakis, a déjà provoqué deux
jours de grève générale fin septembre et
début octobre. Ce texte, qui sera soumis
au vote du Parlement d’ici mi­octobre,
prévoit aussi de faciliter les privatisations
et vise à attirer davantage les investis­
seurs étrangers. Toutes ces mesures sont
censées stimuler l’économie et permettre
au pays d’afficher une progression de 2,8 %
de son PIB en 2020.
Pour la Confédération générale grecque
du travail, principal syndicat du privé, « ces
mesures restreignent la liberté d’action
syndicale et permettent aux employeurs et
à l’Etat de passer outre les droits des
travailleurs ». « C’est un retour aux politi­

ques d’austérité. Les conventions collectives
vont être supprimées et les licenciements
facilités », dénonce le parti d’opposition
de gauche Syriza.

Extraction d’or et exploration pétrolière
Les organisations de défense de la nature
soulignent, eux, une mesure qui prévoit
de délivrer plus rapidement les permis
de construire aux investisseurs sans étude
environnementale approfondie. La bran­
che grecque du WWF s’étonne, par exem­
ple, que la superficie d’un parc industriel
puisse être augmentée de 15 % sans auto­
risation préalable.
Le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis
inquiète d’autant plus les associations éco­
logistes qu’il a autorisé, il y a quelques
jours, la poursuite de l’extraction d’or dans
les mines de Skouries dans le nord de la
Grèce – un projet suspendu par Alexis Tsi­

pras en 2015 – et les explorations pétroliè­
res en mer Ionienne et au large de la Crète.
Le coup est rude pour les groupes écolo­
gistes et les habitants de la région qui se
mobilisent depuis des années contre ce
projet porté par l’entreprise canadienne El­
dorado Gold. Ils soulignent que des subs­
tances toxiques, comme de l’arsenic, sont
utilisées pour extraire les métaux. Les nap­
pes phréatiques, l’air et le sol en subiraient
les dommages... De même, l’exploration
pétrolière et gazière en mer Ionienne et au
large de la Crète « pourrait avoir lieu même
dans des zones protégées », s’indignent le
WWF et Greenpeace. L’île de Zante et le ri­
vage nord­ouest du Péloponnèse sont, no­
tamment, le refuge de tortues marines
Caretta caretta, une espèce menacée et
protégée par l’Union internationale pour
la conservation de la nature.
m. ra.

Un projet de loi « pour la croissance » qui hérisse syndicats et ONG

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