Le Monde - 09.10.2019

(Rick Simeone) #1
0123
MERCREDI 9 OCTOBRE 2019 culture| 23

Gemini Man 1 306 536 668 306 536
Au nom de la terre 2 283 250 481 ↓ – 24 % 754 929
Alice et le maire 1 215 900 362 215 900
J’irai où tu iras 1 192 743 430 192 743
Downton Abbey 2 141 646 297 ↓ – 34 % 415 092
Ad Astra 3 136 308 425 ↓ – 45 % 858 003
Rambo : Last Blood 2 135 852 514 ↓ – 48 % 439 341
Ça, chapitre 2 4 118 320 501 ↓ – 38 % 1 335 791
La Vie scolaire 6 94 711 473 ↓ – 34 % 1 513 298
Un jour de pluie
à New York
3 80 958 430 ↓ – 33 % 433 015

Nombre
de  semaines
d’exploitation

Nombre
d’entrées  (*)

Nombre
d’écrans

Evolution
par  rapport
à  la  semaine
précédente

Total
depuis
la  sortie

AP :  avant­première
Source :  « Ecran  total »

*  Estimation
Période  du  2  au  6 octobre  inclus

Le combat que livre Will Smith à son clone dans Gemini Man, le film
d’action à grand spectacle du Taïwanais Ang Lee, fait recette dès sa
première semaine en salle. Avec 306 536 spectateurs, il se hisse en tête,
suivi par Alice et le maire (215 900 entrées), de Nicolas Pariser, qui met
lui aussi en scène une joute, mais verbale celle­ci, entre Fabrice Luchini
et Anaïs Demoustier. Tandis que le duo Géraldine Nakache et Leïla
Bekhti dans J’irai où tu iras totalise, depuis mercredi 2 octobre, 192 743
entrées. Le premier long­métrage de Mati Diop, Atlantique, Grand Prix
à Cannes, commence la semaine timidement, en accumulant 25 605
entrées sur 97 salles. La vraie performance revient au film d’Edouard
Bergeon, Au nom de la terre, avec Guillaume Canet, qui, en deuxième
semaine, parvient à se rapprocher du million de spectateurs (754 929
entrées). Sur dix jours en salle, le film de Michael Engler Downton Ab­
bey, prolongement de la série éponyme à succès, a rassemblé 415 092
personnes. Un beau score pour cette fresque historique très british.

LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE


L E S


F I L M S


D E


L A


S E M A I N E


Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr

    À N E PA S M A N Q U E R
Joker
Film américain de Todd Phillips (2 h 02).
Pour Sama
Documentaire syrien et britannique de Waad Al­Kateab
et Edward Watts (1 h 35).
Nos défaites
Documentaire français de Jean­Gabriel Périot (1 h 27).

    À V O I R
Chambre 212
Film français de Christophe Honoré (1 h 27).
La Fameuse Invasion des ours en Sicile
Film d’animation italien et français de Lorenzo Mattotti (1 h 22).
Papicha
Film algérien et français de Mounia Meddour (1 h 45).
Jacob et les chiens qui parlent
Film letton et polonais, d’Edmunds Jansons (1 h 10).
Jeune garçon d’une dizaine d’années, Jacob passe une semaine
de vacances chez son oncle Ange et sa cousine Mimi, qui habi­
tent dans le quartier populaire de Maskachka, en périphérie de
Riga. Pittoresque et campagnard, l’endroit est menacé par un
projet immobilier qui prévoit de couper les arbres et d’abattre
les maisons. Jacob et Mimi partent en mission pour sauver ce
petit coin de paradis que le premier long­métrage animé du
réalisateur letton Edmunds Jansons dessine en usant d’une pa­
lette de couleurs chaudes. Mêlant plusieurs techniques d’ani­
mation et le papier découpé, le film réconcilie l’art figuratif,
presque naïf, et l’abstraction. Il unit le conte fantastique et la
fable écologique pour atteindre l’enchantement. v. ca.

On va tout péter
Documentaire français de Lech Kowalski (1 h 39).
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs en mai, puis diffusé
sur Arte, ce documentaire du réalisateur polonais Lech Ko­
walski chronique, durant neuf mois, en 2017, la lutte des
ouvriers de l’équipementier automobile GM&S à La Souter­
raine, dans la Creuse. L’entreprise est alors en liquidation judi­
ciaire et le repreneur propose de garder 120 ouvriers sur 277.
On en déduit la tonalité de ce film de cinéma direct, qui passe
de chaude à glaciale à mesure que le combat, d’abord incan­
descent, s’essouffle, que les promesses politiques sont trahies,
que la répression fait son œuvre et que les héros se retrouvent,
inexorablement, face à leur solitude. j. ma.

Quelle folie
Documentaire français de Diego Governatori (1 h 27).
Quel documentaire baroque et délicat que ce premier long­mé­
trage où le réalisateur, Diego Governatori, filme un ami de lon­
gue date, Aurélien Deschamps. Réalisateur et scénariste, atteint
d’un trouble autistique, ce trentenaire regarde ses proches
comme d’étranges hommes appartenant à une tribu lointaine.
Mais il est aussi très bavard et pratique volontiers l’introspec­
tion. Devant la caméra, Aurélien délivre un flot de paroles puis­
santes comme une tentative de se définir par rapport à ceux
qu’il nomme « les hommes structurés ». cl. f.

    P O U R Q U O I PA S
Tout est possible
Documentaire américain de John Chester (1 h 32).

À L’A F F I C H E É G A L E M E N T
Betty Marcusfeld
Film français de Martine Bouquin (1 h 30).
Cervin, la montagne du monde
Documentaire italien de Nicolo Bongiorno (54 min).
Donne-moi des ailes
Film français (1 h 53).
La Grande Cavale
Film allemand et belge de Christoph
et Wolfgang Lauenstein (1 h 25).
Sœurs d’armes
Film français de Caroline Fourest (1 h 52).

Dino Buzzati féerique à l’écran


Lorenzo Mattotti adapte avec virtuosité le conte de l’écrivain paru en 1945


LA  FAMEUSE  INVASION


DES  OURS  EN  SICILE


U


ne sauvagerie em­
preinte de prudence,
une certaine retenue
dans le commerce
avec la société des hommes : ce qui
vaut pour les ours qu’inventa Dino
Buzzati en 1945 est vrai, trois
quarts de siècle plus tard, de leur
version animée par le dessinateur
italien Lorenzo Mattotti. De La
Fameuse Invasion de la Sicile par
les ours, imaginée pour un pu­
blic enfantin par l’auteur du Dé­
sert des Tartares (1940) et publiée
en France par Folio Junior, Mat­
totti, ses coscénaristes (Tho­
mas Bidegain et Jean­Luc Fro­
mental), ses producteurs (Valé­
rie Schermann et Christophe Jan­
kovic, qui ont fondé Prima Linea)
ont fait La Fameuse Invasion des
ours en Sicile, film familial.
Pas question ici de proposer en
douce des plaisanteries risquées
ou référencées aux parents
pendant que les enfants suivent
des courses­poursuites, sur le mo­
dèle des grandes productions nu­
mériques américaines. Il s’agit

plutôt d’acclimater les pastels
rêveurs de Mattotti aux contrain­
tes du cinéma d’animation sans
renoncer à la singularité de son
invention, de raconter et de met­
tre en scène la part de douleur et
de non­sens du conte originel sans
déconcerter les plus jeunes.
Ce travail a ses grandeurs, une
certaine audace graphique (dans
les lignes plus que dans les textu­
res), de la délicatesse dans la
conduite du récit. Il a aussi ses
servitudes : quelques concessions
aux usages graphiques de l’anima­
tion pour enfants, un léger
surcroît d’explications au détri­
ment du doute poétique. Reste, à
l’arrivée, une excellente manière
de sortir petits et grands de la
routine du divertissement ordi­
nairement réservé aux groupes
transgénérationnels.

Puissance d’expression originale
Entre le public du XXIe siècle et le
conte de Buzzati situé dans une
Sicile immémoriale, faite de som­
mets enneigés aux pentes couver­
tes de forêts, les auteurs du film
ont placé un saltimbanque et son
auxiliaire, une petite fille nom­
mée Almerina. Le vieil homme est
une structure géométrique faite

de plusieurs sphères pendant que
l’enfant présente les traits d’une
créature de dessin animé classi­
que. Un soir d’hiver, le duo se réfu­
gie dans une caverne qui se révèle
habitée par un très vieil ours. Pour
l’amadouer, les baladins lui racon­
tent cette fameuse invasion. Ce
truchement établit le niveau de
fantaisie, de poésie, de refus de la
réalité de ce qui va suivre.
On y verra le roi des ours, Léonce,
partir à la rencontre des hommes
après que son fils a été enlevé par
des chasseurs. A son esprit de
négociateur, le grand­duc qui rè­
gne sur la Sicile oppose la violence
des armes. L’issue du conflit sera
décidée par un magicien, qui passe
d’un camp à l’autre, avec, dans sa
besace, une baguette magique ca­
pable de transformer des sangliers
en ballons de baudruche.
Dans ces séquences à grand
spectacle, comme celle qui oppose
les plantigrades aux porcidés en
une bataille rangée, Mattotti
trouve une puissance d’expres­
sion d’une étonnante originalité :
la géométrie des lignes de bataille
se défait en une effervescence de
formes vivement colorées, les
silhouettes stylisées des ours se
lancent dans des chorégraphies

complexes. Plus tard, l’irruption
d’un monstre sorti d’un conte
d’Extrême­Orient sera aussi l’occa­
sion d’une explosion graphique.
La conduite même du récit est
rendue délicate par la coexistence
à l’écran de traitements diffé­
rents : il y a ces ours faits de rec­
tangles et de triangles qui susci­
tent pourtant un attachement
inattendu, des humains un peu
grotesques (le grand­duc semble
issu de l’union du Capitaine
Crochet de Disney et du roi de
Paul Grimault) et Almerina,
promue de narratrice à héroïne,
qui pourrait sortir d’une série
animée européenne. Si ces popu­
lations coexistent harmonieuse­
ment (dans l’équilibre du film, le
récit est, lui, plutôt pessimiste
quant à la cohabitation interspé­
ciste), c’est d’abord grâce à l’imagi­
nation de Dino Buzzati, et ensuite
grâce aux efforts et aux ruses vir­
tuoses de Lorenzo Mattotti pour
échapper, par le trait et la couleur,
aux pièges que le « cinéma pour
enfants » tend aux artistes.
thomas sotinel

Film d’animation
italien et français
de Lorenzo Mattotti (1 h 22).

Une vision
subtilement
pessimiste
de l’humanité
et de la nature
même du mal

La patte gothique de Terence Fisher


Le maître de l’épouvante anglais affiche sa singularité dans deux films des années 1950­1960


DVD


C


es musiciens anglais ne se
laissent jamais aller. »
« Nous, les Anglais, ne sa­
vons jamais ce que nous ressen­
tons. » Ces deux aphorismes,
énoncés dans La Revanche de
Frankenstein (1958) pour le pre­
mier et dans Les Deux Visages du
docteur Jekyll (1960) pour le se­
cond, illustrent le paradoxe d’un
cinéma de terreur qui se méfierait
des effusions lyriques, des épan­
chements baroques, des élans ro­
mantiques. Les deux films sont
tout à la fois représentatifs de la
vague de l’épouvante gothique
britannique – relancée par la com­
pagnie de production Hammer
après le phénoménal succès de la
résurrection du baron Frankens­
tein dans Frankenstein s’est
échappé, en 1957, et du prince des
vampires, l’année suivante, avec
Le Cauchemar de Dracula – et ré­
vélateurs de la singularité pro­
fonde et de la forte personnalité
de leur réalisateur, Terence Fisher.
Ils constituèrent les débuts d’une
série de titres, tournés à vive al­
lure, et s’inspirant de grands my­
thes du fantastique littéraire.

A la fin des années 1950, l’hor­
reur cinématographique, désor­
mais en couleur, était donc britan­
nique et avait son grand cinéaste :
Terence Fisher. Reprenant le per­
sonnage créé par Mary Shelley, La
Revanche de Frankenstein se veut
ainsi la suite du film de 1957, et Les
Deux Visages du docteur Jekyll
constitue une relecture toute par­
ticulière du roman de Stevenson
en faisant de Hyde un séduisant et
pervers jeune homme.

Univers impitoyablement divisé
Les deux films relèvent de ce mo­
tif particulier de l’art fantastique
qu’incarne le défi prométhéen,
celui du savant fou défiant Dieu
en lui refusant l’exclusivité de la
création de la vie, celui du scienti­
fique exalté découvrant la dimen­
sion pulsionnelle et animale ta­
pie dans chaque individu, et la
mettant au jour. Mais ce qu’a
exemplairement réussi Terence
Fisher aura été d’inscrire ces mo­
tifs au cœur d’une société, celle
du XIXe siècle, minutieusement
approchée dans ses détails. Ses
films décrivent, en effet, un uni­
vers impitoyablement divisé en
classes sociales dont les membres

sont mus par leurs intérêts (la
bourgeoisie) ou réduits à leurs
pulsions brutales (le sous­prolé­
tariat des faubourgs).
Derrière la façon habile dont
sont traitées les mythologies


  • Hyde devenu un double lucifé­
    rien de Jekyll, le baron Frankens­
    tein s’imaginant au­delà des lois
    humaines –, les deux titres pro­
    posés incarnent une vision sub­
    tilement pessimiste de l’huma­
    nité et de la nature même du mal.
    Marqué par le puritanisme angli­
    can et un rapport inquiet avec la
    modernité industrielle, le ci­
    néma de Fisher constitue le para­
    doxe d’un art fantastique qui ne
    voit dans la monstruosité sub­
    versive qu’une néfaste entreprise
    de destruction du monde, mais
    un monde par ailleurs désespé­


rant et réduit au prosaïsme de ses
mécanismes économiques.
Observant des enfants jouant
dans son jardin, Jekyll les compare
à de petits animaux abrutis qu’il
convient de dresser. Le contrat so­
cial n’est ainsi conçu, dans l’œuvre
de Fisher, que comme la manière
de contenir par la loi les déborde­
ments d’individus ouvrant les
portes de la société aux monstres
eux­mêmes. Cette conception
hobbesienne caractérise forte­
ment l’œuvre de Terence Fisher.
Par surcroît, la dimension mélo­
dramatique des films, parfois tor­
due – on peut imaginer que Jekyll
se transforme en Hyde pour pou­
voir reconquérir et posséder à
nouveau sexuellement sa
femme –, est perpétuellement
corsetée, empêchée. Cette volonté
de contenir formellement toute
effusion, ce désespoir rentré, con­
fèrent au cinéma de Fisher sa véri­
table dimension tragique.
jean­françois rauger

La Revanche de Frankenstein
et Les Deux Visages du docteur
Jekyll. Films britanniques
de Terence Fisher. Deux combos
DVD/Bluray chezESC.

Les ours de
Buzzati revus
par Mattotti.
PRIMA LINEA PRODUCTIONS/
PATHE FILMS/FRANCE 3
CINEMA/INDIGO FILM
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