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MERCREDI 9 OCTOBRE 2019 0123 | 29
E
mmanuel Macron rat
trapé par le terrorisme,
c’est du pain béni pour
Marine Le Pen qui, de
puis samedi 5 octobre, frappe là
où cela fait mal : l’Etat protec
teur a été gravement pris en dé
faut de vigilance. La préfecture de
police de Paris et en son sein le
service le plus sensible, celui du
renseignement, abritait un indi
vidu converti à l’islam radical qui
a tué trois policiers et un agent
administratif, ses anciens collè
gues. La tête du ministre de l’inté
rieur, demandée avec force cris
par le Rassemblement national et
une partie de la droite, ne pèse en
réalité rien au regard du trau
matisme que soulève cette tuerie.
L’Etat est apparu à découvert
dans ses fonctions régaliennes et,
quelle que soit la personnalité
chargée d’incarner le maintien de
l’ordre, ce sera dur à faire oublier.
Le drame intervient dans un
contexte problématique pour
l’exécutif. Le climat dans le pays
n’est pas bon. Les membres du
gouvernement et de la majorité
en ont hautement conscience.
Pas un, ces derniers temps, qui ne
fasse le décompte des nombreux
signaux d’alerte émis. Il y a
d’abord l’incapacité des ministres
et du premier d’entre eux à crédi
biliser la parole publique après
l’incendie de l’usine Lubrizol,
classée Seveso, à Rouen. Plus de
5 000 tonnes de produits dange
reux sont parties en fumée dans
la nuit du 25 au 26 septembre,
créant une psychose dans la po
pulation que les pouvoirs publics
ont le plus grand mal à contenir.
Il y a ensuite ces foyers de mé
contentements persistants dans
la police, chez les pompiers, dans
l’éducation nationale, aux urgen
ces, révélateurs de souffrances et
de dysfonctionnements dans des
secteursclés qui structurent le
modèle français. Il y a encore ces
tensions de plus en plus fortes
dans les territoires ruraux entre
les agriculteurs aux abois et les
écologistes à l’offensive.
Il y a enfin « cette espèce de para
noïa ambiante » pointée par le
chef de l’Etat lors du débat sur les
retraites jeudi 3 octobre, à Rodez
(Aveyron), qui conduit, selon lui,
un certain nombre de « gens » à
« douter de tout, même des scienti
fiques ». Mis bout à bout, ces diffé
rents éléments illustrent la gigan
tesque crise de confiance qu’af
fronte l’exécutif et la difficulté
qu’il éprouve à reprendre la main.
Duel dangereux
Ce n’est, certes, pas la première
fois. Cela devient même une
constante dans l’histoire des
quinquennats. A un moment,
une rupture psychologique se
produit, qu’il est très difficile de
colmater. La confiance est rom
pue et avec elle disparaît l’opti
misme sur lequel surfait le
vainqueur de la présidentielle.
Sous Nicolas Sarkozy, c’est la
crise de 2008 qui avait rompu le
charme et fait oublier la pro
messe de lendemains qui chan
tent après le double mandat chi
raquien. Sous François Hollande,
c’est l’accumulation d’attentats
terroristes qui avait plombé l’am
biance et fait oublier la promesse
du « changement, c’est mainte
nant ». Sous Emmanuel Macron,
c’est le mouvement des « gilets
jaunes » qui a mis en lumière les
multiples fractures dont souffre
le pays et fait dire au président de
la République que plus rien ne
serait comme avant.
On ne peut reprocher au chef de
l’Etat de manquer de lucidité sur
la situation, lui qui a tout fait pour
installer un duel dangereux avec
Marine Le Pen. Au lendemain du
grand débat national, Emmanuel
Macron avait identifié devant
ses ministres les trois crises qu’il
aurait à gérer et qui, selon lui, re
montent à loin : la crise du pou
voir d’achat qu’il a tenté de col
mater dans le projet de budget
pour 2020, au prix d’un renonce
ment sur la réduction de la dette
publique ; la crise territoriale qui
nécessitera, pour être résorbée,
une énième répartition des tâ
ches entre le pouvoir central et les
collectivités locales ; la crise mi
gratoire sur laquelle surfe depuis
des années le Rassemblement na
tional sans que la majorité soit en
état de lui opposer, à ce jour, une
doctrine claire et consensuelle.
A cela s’ajoute l’urgence écologi
que, qui met en tension toute la
société, aiguillonnée par les jeu
nes générations de moins en
moins enclines à pardonner
l’aveuglement de leurs aînés.
Le diagnostic ne souffre guère
de contestation mais la réponse
apportée à cette accumula
tion inédite de crises apparaît fai
ble : la décentralisation promise
avance à tout petits pas, la conver
sion écologique est à peine es
quissée. Quant au régalien, il
reste le maillon faible du mandat,
alors que s’exprime une de
mande de protection de plus en
plus forte. On attend toujours
la prise de position du chef de
l’Etat sur la laïcité, l’intégration et
le vivreensemble.
Comme ces deux prédécesseurs
susnommés, Emmanuel Macron
a en réalité le plus grand mal à se
départir de sa trajectoire de dé
part. Il reste convaincu qu’il a été
élu pour accoucher d’un nouveau
modèle social. D’où son insis
tance à porter la réforme des re
traites, celle qu’il avait annoncée
durant sa campagne électorale de
2017, celle qui doit, à l’horizon de
quinze à vingt ans, déboucher sur
un système universel par points.
Le chef de l’Etat la présente
comme « un projet de société »
visant à refonder « le pacte avec la
nation ». Or, un certain nombre
de professions, refusant de « se
faire tondre », sont entrées en ré
bellion. Une partie des ministres
est sceptique. Des proches du
chef de l’Etat sonnent publique
ment l’alarme, à l’instar d’Alain
Minc qui, dans Le Parisien (6 oc
tobre), juge l’entreprise « anxio
gène » à un moment où l’exécutif
ne peut s’offrir le luxe d’accroître
encore la défiance.
Seulement, hormis la réforme
des retraites, il n’y a plus grand
chose dans la besace de l’exécutif
pour prouver qu’il est encore ca
pable de faire mouvement. Et
c’est bien cette panne qui appa
raît aujourd’hui au grand jour,
donnant le sentiment d’un exé
cutif non pas à l’initiative mais à
la remorque des événements.
D
epuis son arrivée à la Maison Blan
che, Donald Trump a souvent agi
sur des coups de tête, a multiplié
les revirements soudains et les décisions à
l’emportepièce. Mais la confusion qu’il a
semée à propos du retrait des forces améri
caines de certains secteurs du nord de la Sy
rie convoités par la Turquie est inouïe et
inédite. Provoquant la sidération non seule
ment de la part des alliés des EtatsUnis, de
sa propre administration, mais aussi, une
fois n’est pas coutume, de son propre camp
politique, le président américain a affaibli la
parole de la première puissance mondiale.
« Il est temps pour nous de sortir de ces
guerres ridicules et sans fin, dont beaucoup
sont tribales », a lancé, lundi 7 octobre, Do
nald Trump. Peu avant, un communiqué de
la Maison Blanche avait annoncé que les
EtatsUnis laisseront le champ libre à An
kara, abandonnant ainsi à leur sort les for
ces kurdes, qui ont assumé l’essentiel de la
bataille contre l’organisation Etat islami
que (EI).
Une fois de plus, on peut imaginer que
cette décision, lourde de conséquences
dans la région, a été prise à partir de consi
dérations de politique intérieure améri
caine. Donald Trump est en campagne
pour son second mandat et veut montrer à
ses électeurs qu’il tient ses promesses. C’est
aussi une diversion, alors que le président
américain est menacé d’une procédure
d’impeachment pour avoir fait un chan
tage sur le président ukrainien afin qu’il
enquête sur le fils de Joe Biden, son rival
dans la course à la Maison Blanche.
Le tollé provoqué par l’annonce de ce re
trait précipité a été tel que Donald Trump
a été contraint de rétropédaler, ajoutant la
confusion à l’ineptie. Même si le prési
dent, plus tard dans la journée, ne parlait
plus que du départ de quelques dizaines
de membres des forces spéciales, le mal
est fait sur le plan diplomatique. La sé
quence a obligé le Pentagone à affirmer
qu’il ne cautionne pas l’intervention tur
que dans le nord de la Syrie, évoquant une
opération aux « conséquences déstabilisa
trices » pour la région. Ce rappel à l’ordre
du ministère de la défense à son président
en dit long sur le chaos provoqué à
Washington.
Ce cafouillage entame un peu plus la con
fiance que peuvent avoir les Kurdes envers
ceux qui s’étaient engagés à les protéger.
« Un allié se doit d’être fiable », avait tonné
Emmanuel Macron en décembre, quand
Donald Trump avait une première fois an
noncé son intention de retirer les forces
américaines du nordest de la Syrie. Le prési
dent français, aidé par le Pentagone et la CIA,
avait alors convaincu son homologue amé
ricain de renoncer à ce retrait, qui aurait im
pliqué aussi celui des forces spéciales fran
çaises, qui, insuffisantes en nombre et faute
de moyens, ne pouvaient rester seules.
L’embarras de Paris, la capitale occiden
tale la plus engagée aux côtés des Kurdes,
n’en est que plus évident. En avril, Emma
nuel Macron avait reçu à l’Elysée une délé
gation de dirigeants du Rojava, la région
autonome kurde de Syrie, leur garantissant
le plein soutien de Paris. Cela risque de
n’être désormais que des mots. La France
mesure ainsi sa mise hors jeu dans le con
flit syrien, où elle dépend d’un allié améri
cain imprévisible et peu fiable.
Audelà du manquement à la parole don
née, les signes de désengagement améri
cain ne font que favoriser la résurgence de
l’EI sur fond de chaos dans la région. « Le
plus gros mensonge de cette administration
est que l’EI a été vaincu », affirme Lindsey
Graham, l’un des piliers de la majorité ré
publicaine au Sénat. Un de plus, mais ce
luici pourrait avoir des conséquences in
commensurables.
LE CLIMAT DANS
LE PAYS N’EST PAS
BON. LES MEMBRES
DU GOUVERNEMENT
ET DE LA MAJORITÉ
EN ONT
HAUTEMENT
CONSCIENCE
LA DIPLOMATIE
IRRESPONSABLE
DE DONALD
TRUMP
FRANCE^ |^ CHRONIQUE
pa r f r a n ç o i s e f r e s s o z
L’exécutif affronte
une grave crise de confiance
LA RÉPONSE
APPORTÉE
À L’ACCUMULATION
INÉDITE DE CRISES
APPARAÎT FAIBLE
Tirage du Monde daté mardi 8 octobre : 166 369 exemplaires
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i2SepteMbre 2017.
N u ê vnu séémn . dsonl n Fncmé ool n, blgqu Luxmoug. De “TwcinémaD’auTeilighT” aula mueur,De
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2septembre 2017 No 311
VINL’ivressedes cendresEn Caliles stigmates des incendiesfornie, le raisin gardera
ravageurs dont l’Etaten octobreasouffert
7
8 UN APÉRsur son engagement. Une vieJean VanierLe philosophe chde sagesse, qui n’empêchefondateur deL’Arche,OAVEC...rétien,revient
pas les sentiments
Entretiens
d’embûchesgames», vidéo...Algorithmes,«escape
les entreprisesàune batteriePour recruter,soumettentles candidats
nouveau genrede tests d’un 4
d’embûches
FONDATEUR2,50 €DIRECTEUR–FJEUDRANC^73 :JÉRÔME FENOGLIOEMI7DÉCEMBRE 2017WWW.LEMONDE.FR―E:HUBERT BEUVE-MÉRYÉTROPOLITAINEANNÉE– N^22675 O ARGENT &PLACEMENTSRETRAITE :COMMENTLA PRÉPARERSUPPLÉMENT
▶Le chanteur est mortdans la nuit du6décembrede Marnes-la-Coquette,àl’âgede7,àson domicile4ans5au
▶Sa carrière, commencéeen1959, et la mise en scènede sales époques, les modes et,àleur manière, la France.Il aura étvie racontentélabande-son
de plusieurs générationsHUIT PAGES SPÉCIALESLES RÉACTIONSPAGE 17
Le président américainapréven uplusieursdirigeants de la régionde sa décision,être officialisée mercrediPAGES 2-3quidevait
DiplomatieIsraëlveut transférer:Trump
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seront cependant admisPAGE 6
InternationalLa Russiedes Jeux d’hiverpour dopageexclue
Politique
JOHNNYHALLYDAY
UNE IDOLEFRANÇAISE
accuscomplotetaaseCeorganiséetainsrorussinttôédcependanttdeoccidental.sportriche.LénoncéeKtifsrussesadmisremmassilinunve
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omicilee
scène
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BEAUVOIS:LE CINÉMAÀVIF
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▶l’emploi des cadres, cedifférentiel se retroudansmême dans les profes-Selon l’Association pourtous les secteurs,ve
sions les plusféminisées
▶énarques critiquent leurécole,la paritDans une tribune, desquin’applique paséprônée par l’Etat
DÉBATSCAHIER ÉO–PAGES14-15–PAGES4ET 7
UNIQUEMENT EN FRANCEMÉTROPOLITAINE, EN BELGIQUEET AULUXEMBOURG
IDÉES
▶dBoulaalam,sontquinzeRepor’unemodistributionemmefemmeftagrtfoùeseàlorssSidi
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