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ACTUALITÉ
LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 9 OCTOBRE 2019
A Narbonne, une nécropole romaine sort de terre
ARCHÉOLOGIE - Le site, sans équivalent en France, pourrait contenir jusqu’à 1 100 sépultures datant du I
er
au III
e
siècle
S
ur la petite plaque en marbre, une épi
taphe en latin dont voici la traduction :
« Aux Dieux Mânes. A Festus, âgé de
10 ans, et à Aquila, âgé de 8 ans. Julia
Protogenia, à ses chéris. »
Au terme de presque deux millénaires, Festus
et Aquila, deux petits garçons de la colonie ro
maine de Narbo Martius, viennent de sortir de
l’oubli, et ils ne seront pas les seuls. Aux portes
de Narbonne (Aude), c’est en effet toute une né
cropole antique, datée du Ier au IIIe siècle, qu’une
équipe de l’Institut national de recherches ar
chéologiques préventives (Inrap) est en train de
mettre au jour dans une fouille hors normes.
Tout avait pourtant commencé de manière
classique avec deux « diagnostics » – des sonda
ges, effectués en 2007 et 2014 –, qui signalaient
simplement la présence de sépultures. Mais des
fouilles préalables à la construction de résiden
ces de standing commencent en novembre 2017.
« On s’est aperçu très vite qu’on était face à un site
de grande ampleur, bien plus complexe que ce
qu’on avait prévu », raconte Valérie Bel, archéolo
gue à l’Inrap et responsable de l’opération.
« Il n’y a pas d’équivalent en France »
La nécropole est alors requalifiée en « décou
verte exceptionnelle », ce qui permet de dégager
des fonds conséquents (6,25 millions d’euros,
provenant de l’Etat, de la région Occitanie, du dé
partement de l’Aude, de l’agglomération du
Grand Narbonne, de la ville et de l’aménageur)
pour l’explorer in extenso. Une quarantaine d’ar
chéologues – une trentaine sur le terrain et une
dizaine en laboratoire – sont mobilisés.
Pour Valérie Bel, l’enjeu est de taille : « Il n’y a
pas d’équivalent de nécropole romaine de cette
ampleur et dans cet état de conservation en
France. » Environ 400 tombes ont déjà été repé
rées, ce qui, par extrapolation, pourrait donner
un total de 1 100 sépultures...
Le soleil du Midi est là, mais la tramontane, en
têtante, aussi, dont les bourrasques soulèvent
des nuages de poussière. Sur les 5 000 mètres
carrés du terrain, environ 2 000 sont occupés par
des tombes. Où que portent les yeux, de petites
structures funéraires émergent.
Le chantier a ouvert début août et durera treize
mois, mais déjà les chercheurs savent que le
temps leur est compté, tellement le lieu est com
pliqué à lire et à fouiller ; d’autant que, le site se
trouvant à deux pas d’un ancien bras de l’Aude,
aujourd’hui occupé par le canal de la Robine, l’eau
est à moins d’un mètre sous le niveau du sol anti
que. Dès que l’on creuse un peu, elle apparaît. Les
pompes sont en action avant même l’arrivée des
pluies d’automne. Un mal pour un bien, car les ar
chéologues savent que, si le site a été préservé,
c’est aussi parce que des crues régulières l’ont
scellé en le recouvrant de 2,5 mètres à 3 mètres de
limons. Mais, en raison du même phénomène, il
arrive aussi que les tombes se superposent...
Que voiton déjà dans les espaces dégagés? Ma
rie Rochette, archéologue à l’Inrap et responsable
d’une des deux zones de fouilles, aide à déchiffrer
le terrain : « On a une organisation en enclos qui
s’accolent les uns aux autres – et parfois s’emboî
tent – ou qui sont séparés par des chemins de des
serte. C’est pour cette raison que l’expression de
quartier funéraire est plus juste que celui de nécro
pole. Ces enclos délimités par des murs de pierre si
gnalent un groupe social qui peut être une famille,
au sens large, ou un collège funéraire qui pourrait
correspondre à un corps de métier. »
Au début de notre ère, l’immense majorité des
morts sont incinérés. Le principal occupant des
tombes, parfois de très petite taille, n’est donc
pas un squelette, mais un gros vase funéraire
recueillant les cendres et les débris d’os non
consumés du défunt. Le mobilier qui l’accom
pagne s’avère modeste : des pots, des cruches,
des vases en verre, autant de récipients qui de
vaient contenir des offrandes alimentaires, des
fioles à parfum, des lampes à huile. Très peu
d’objets personnels : ici un bracelet, là des perles
provenant probablement d’une amulette, ou
encore ce petit sexe masculin en or qu’un
enfant portait en pendentif... « Il a une valeur
apotropaïque, explique Valérie Bel, c’estàdire
qu’il a pour fonction de protéger, d’éloigner les
mauvais sorts ou les mauvais esprits. »
La modestie des objets retrouvés s’explique par
deux raisons. La première tient au fait qu’il s’agit
d’un quartier funéraire réservé « à une popula
tion de statut inférieur, car la société romaine est
une société de castes, souligne la responsable des
fouilles. Grâce aux épitaphes que l’on a retrou
vées, on sait qu’on est face à des gens issus de la
plèbe, des esclaves et des affranchis, mais quand
même prospères ». La seconde raison est d’un
autre ordre : « La richesse était mise dans la cons
truction du monument funéraire, poursuit
Mme Bel. Il devait être visible pour que le mort reste
dans la mémoire des vivants. »
Dans environ un tiers des cas, ces petits mo
numents, qui ne dépassaient pas quelques di
zaines de centimètres de hauteur, étaient dotés
de ce que les archéologues nomment des
conduits à libation – sorte de tube souvent fait
d’une amphore privée de son fond et plantée
dans le sol au surplomb du vaseossuaire. Les
vivants pouvaient ainsi transmettre leurs of
frandes directement aux morts...
En disposant de l’intégralité de la tombe, les
chercheurs peuvent faire ce que Valérie Bel ap
pelle « de l’archéologie du geste : on reconstitue
toutes les étapes du rituel funéraire. On a ce qui est
mis sur le bûcher au moment des funérailles, on
voit la mise au tombeau dans la constitution de la
tombe, et le niveau de surface nous renseigne sur ce
que faisaient les vivants pour honorer les défunts ».
L’aventure archéologique ne fait que commen
cer. L’étude des fragments d’os dira l’âge des per
sonnes au moment de leur décès. L’analyse de la
base des conduits à libation permettra de déter
miner la composition des offrandes alimen
taires faites aux morts.
Mais il est une question qui restera probable
ment sans réponse : dans la Narbonne antique,
cité prospère, deuxième plus grand port de la
Méditerranée occidentale après Ostie, près de
Rome, où les riches étaientils enterrés ?
pierre barthélémy
(narbonne, aude)
Dans la nécropole romaine de Narbonne, après incinération, les restes de défunts étaient disposés dans des réceptacles de céramique (à gauche),
parfois accompagnés d’objets personnels, comme ce pendentif en or (à droite) trouvé dans une sépulture attribuée à un enfant. DENIS GLIKSMAN/INRAP
C
omment notre cerveau dé
codetil les mots que nous
lisons? Le plus fascinant,
c’est que nous ne naissons pas
avec un cerveau précâblé pour
cette tâche! « Notre cerveau n’a pas
de système inné de la lecture », sou
ligne le professeur Laurent Cohen,
neurologue à l’hôpital de la Pitié
Salpêtrière (APHP) à Paris. « L’es
pèce humaine se caractérise par sa
capacité à inventer et à transmettre
des technologies qui ont trans
formé la vie sur terre. Une de ces in
ventions culturelles, l’écriture cou
plée à la lecture, est bien trop ré
cente, sur le plan évolutif, pour que
des réseaux du cortex cérébral aient
pu évoluer en se dédiant à cette tâ
che », précise une équipe de l’Insti
tut MaxPlanck de psycholinguis
tique (PaysBas), dans la revue
Science Advances du 18 septembre.
Outre l’équipe du MaxPlanck,
qui vient donc de publier ses
résultats, un second groupe de
chercheurs, conduit par Laurent
Cohen (ICM, InsermCNRS, Sor
bonneUniversités), a diffusé sa
découverte dans les PNAS le 7 oc
tobre. Ces deux équipes ont « cra
qué » une partie du code cérébral
de la lecture.
La lecture remodèle notre cer
veau : elle fraie de nouvelles « rou
tes cérébrales » spécialisées dans
cette mission. Dans les années
1990, plusieurs équipes ont cerné
les contours, dans le cerveau, de la
région qui assure la reconnais
sance visuelle des lettres. Elle a été
baptisée « aire de la forme visuelle
des mots », ou « boîte aux lettres
du cerveau », par le trio de cher
cheurs Laurent Cohen, Stanislas
Dehaene et Lionel Naccache. Si
tuée dans la partie postérieure de
l’hémisphère gauche, cette aire
est fragmentée.
Mais notre « espace de cerveau
disponible » est limité! Long
temps, les chercheurs se sont donc
interrogés : la mise en place de
l’aire de reconnaissance des mots,
à mesure que nous apprenons à
lire, se faitelle au détriment des
aires de reconnaissance des visa
ges, des lieux ou d’autres objets,
comme certains ont pu le croire?
L’équipe internationale, conduite
par l’Institut MaxPlanck, a recruté
90 adultes, habitant des régions
reculées de l’Inde. Certains étaient
illettrés, d’autres des lecteurs de
différents niveaux. On leur de
mandait de regarder des lettres,
des phrases, des visages ou d’au
tres objets, tandis que leurs répon
ses cérébrales étaient enregistrées
par IRM fonctionnelle.
« Lexique mental »
Résultats : l’alphabétisation tend
plutôt à augmenter les réponses
cérébrales à des stimuli visuels
autres que des lettres ou des
mots! « Loin de cannibaliser les
territoires des aires cérébrales voi
sines, l’aire de la forme visuelle des
mots les recouvre plutôt, tout en
préservant leurs capacités de ré
ponse à d’autres catégories d’ob
jets visuels, explique Falk Huettig,
l’un des auteurs. Savoir lire affûte
donc les performances globales
de notre cortex visuel. »
L’équipe de l’ICM, a, elle, identi
fié la région du cerveau qui code
les graphèmes. Quand notre cer
veau reconnaît une suite de let
tres, « il opère en parallèle deux ty
pes d’analyse », explique Florence
Bouhali, coauteure. D’une part, il
la convertit en une suite de sons.
C’est la voie phonologique, qui
transforme les graphèmes en
phonèmes (le mot « chapeau »,
par exemple, compte quatre gra
phèmes : « ch », « a », « p » et
« eau »). C’est par cette voie que
nous apprenons à lire.
D’autre part, si la suite de let
tres correspond à un vrai mot,
notre cerveau nous fait accéder à
notre « lexique mental » : nous
identifions ainsi le sens de ce
mot, sa catégorie grammaticale...
Chez les bons lecteurs, c’est la
voie lexicale qui prime. « Ce ne
sont pas exactement les mêmes
réseaux qui traitent ces deux
voies », précise Laurent Cohen.
Revenons à l’expérience de
l’ICM. Allongés dans un appareil
d’IRM fonctionnelle, 20 partici
pants devaient tantôt lire à haute
voix, tantôt reconnaître en si
lence les graphèmes des mots qui
défilaient sur un écran. Ces mots
étaient soit de vrais mots, riches
en graphèmes complexes (com
me « champignon »), soit des
mots inventés (comme « chandis
son »). L’astuce a consisté à les
écrire en deux couleurs, qui tan
tôt révélaient, tantôt brouillaient
le découpage en graphèmes.
Résultats : « Nous avons localisé
une petite région du cortex, dans
l’hémisphère gauche, située un
peu en arrière et en dedans de la
“boîte aux lettres du cerveau” »,
indique Laurent Cohen. Cette ré
gion des graphèmes s’active plus
fortement quand les mots sont
« mal » colorés, et surtout quand
il s’agit de lire à haute voix des
mots inventés.
Existetil, dans cette région,
des neurones spécialisés dans la
reconnaissance de chaque gra
phème? Des neurones qui re
connaîtraient exclusivement le
« ch », d’autres le « a », d’autres
encore le « eau »...? « Théorique
ment, ce devrait être le cas, estime
Laurent Cohen. Mais la résolution
spatiale de l’IRM est insuffisante
pour le démontrer. »
Rappelons que le neurochirur
gien Edward Chang, à l’université
de Californie, a déjà localisé des
microrégions du cortex unique
ment sensibles à certains phonè
mes! Situées dans le gyrus tem
poral supérieur, elles existent
pour toutes les voyelles, conson
nes et intonations de la parole.
Mais il a fallu, pour révéler ces ré
gions, faire appel à une techni
que très invasive : les chercheurs
ont implanté des électrodes dans
le cerveau de volontaires (des pa
tients traités pour épilepsie),
puis enregistré en temps réel
l’activité des neurones analysant
une phrase parlée.
florence rosier
La lecture cartographiée dans notre cerveau
NEUROSCIENCES - Deux équipes de chercheurs ont en partie décrypté le code cérébral de cette activité non innée pour l’être humain