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LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 9 OCTOBRE 2019 | 3
La régulation de l’oxygénation cellulaire
primée par le Nobel de médecine
PHYSIOLOGIE - Deux Américains et un Britannique ont été distingués par le jury suédois
pour leurs travaux sur la façon dont les cellules s’adaptent à la disponibilité de l’oxygène
L
e prix Nobel de physiolo
gie et de médecine 2019,
qui inaugure la saison des
Nobel, a été décerné, lundi 7 oc
tobre, conjointement à deux
Américains, Gregg Semenza et
William Kaelin, nés respecti
vement en 1956 et 1957, et à un
Britannique, Sir Peter Ratcliffe,
né en 1954.
Les travaux de ces trois cher
cheurs, dont les publications leur
valent d’être distingués aujour
d’hui, datent des années 1990
- Ceuxci ont permis de com
prendre comment l’organisme
s’adapte aux variations de la dis
ponibilité en oxygène, et en par
ticulier à l’hypoxie, la baisse de sa
concentration dans le sang.
Des stratégies prometteuses
« Leurs découvertes ont révélé le
mécanisme de l’un des processus
d’adaptation les plus essentiels de
la vie, estime le comité Nobel. Ils
ont jeté les bases de notre compré
hension de la façon dont les ni
veaux d’oxygène affectent le méta
bolisme cellulaire et les fonctions
physiologiques. » Les travaux de
ces pionniers ont également ou
vert la voie à de nouvelles straté
gies prometteuses pour lutter
contre les anémies, les cancers et
bien d’autres maladies, souligne
le comité Nobel.
Les trois scientifiques ont déjà
reçu des distinctions prestigieu
ses. En 2012, ils ont été lauréats du
Grand Prix scientifique de la Fon
dation LefoulonDelalande Insti
tut de France. En 2016, ils ont été
tous trois récipiendaires du prix
AlbertLasker, souvent considéré
comme l’antichambre du Nobel.
« C’est une belle journée pour la
science et pour les spécialistes de
l’angiogenèse » (la formation des
vaisseaux sanguins), se réjouit
Anne Eichmann, chercheuse à
l’Inserm et à la Yale School of
Medicine. Stéphane Germain,
également spécialiste de l’angio
genèse (Inserm, Collège de
France), évoque, de son côté, une
reconnaissance légitime pour ces
trois chercheurs de « réputation
mondiale dans leur domaine ».
Il est bien établi qu’une baisse
de la concentration en oxygène
dans le sang et les tissus (par
exemple lors d’un séjour en alti
tude, une hémorragie ou une
anémie) induit une libération
d’érythropoïétine (EPO). Cette
hormone a pour effet d’augmen
ter la production de globules
rouges, ce qui permet de lutter
contre l’hypoxie. Le manque
d’oxygène stimule aussi la syn
thèse du VEGF (vascular endothe
lial growth factor), un facteur sti
mulant la croissance des vais
seaux sanguins. Mais quels sont
les mécanismes intimes de cette
régulation?
Première pièce au puzzle
C’est dans les années 1990, en
étudiant le gène de l’EPO, que
Gregg Semenza (université Johns
Hopkins) apporte une première
pièce au puzzle en identifiant une
protéine, HIF1 (hypoxia inducible
factor), qui agit quand la cellule
manque d’oxygène. « HIF1 est un
facteur de transcription qui se lie à
une séquence spécifique de l’ADN,
présente sur plus de 1 000 gènes,
décrypte la chercheuse Anne
Eichmann. Grâce à cette liaison,
l’expression de ces gènes est modi
fiée afin que la cellule puisse
s’adapter à l’hypoxie. »
Les travaux ultérieurs de Peter
Ratcliffe (université d’Oxford, Ins
titut FrancisCrick) et William
Kaelin (Institut DanaFarber, Har
vard Medical School) vont appor
ter une autre pièce importante au
puzzle. Chacun de leur côté, en
travaillant sur le cancer du rein,
ces deux chercheurs décryptent
les mécanismes moléculaires de
régulation de HIF1. Peter Ratcliffe
découvre que HIF1 est trans
formé (hydroxylé) en perma
nence par des enzymes dont le
cofacteur est l’oxygène. William
Kaelin démontre le rôle crucial
d’une protéine appelée VHL (von
HippelLindau) qui interagit avec
HIF1 hydroxylée et participe à
une série de réactions enzymati
ques induisant sa dégradation.
« Le mécanisme devient alors très
clair, indique Stéphane Germain.
En présence d’oxygène, HIF1 est
donc dégradé en permanence, sa
demivie [temps au bout duquel
sa concentration est réduite de
moitié] est de quelques instants.
En revanche, quand la concen
tration d’oxygène diminue, l’hy
droxylation de HIF est alors
moins efficace, et cette protéine
persiste beaucoup plus long
temps dans l’organisme », précise
Stéphane Germain.
S’ensuit alors la sécrétion de
deux protéines majeures dans la
lutte contre l’hypoxie : l’EPO et le
VEGF. « C’est une magnifique
boucle d’autorégulation », estime
Anne Eichmann. Des médica
ments permettant de moduler
l’EPO et le VEGF sont déjà dispo
nibles, d’autres visant à cibler
HIF1 sont en développement,
soit pour stimuler l’angiogenèse
(notamment pour traiter des is
chémies), soit pour l’inhiber,
dans des cancers par exemple.
sandrine cabut
Dialyse : études rassurantes sur le citrate
NÉPHROLOGIE - Une surmortalité suspectée avec certains dialysats n’a pas été confirmée
L
e 4e congrès de la Société
francophone de néphro
logie, dialyse et transplan
tation (SFNDT), qui s’est tenu du 1er
au 4 octobre à Nancy, a permis la
présentation d’études rassuran
tes : elles ne montrent pas d’aug
mentation du risque de décès
chez les patients dialysés avec un
produit à base de citrate.
Un an auparavant, une étude
observationnelle présentée lors
d’un congrès de la SFNDT par le
docteur Lucile Mercadal (Inserm/
hôpital de la PitiéSalpêtrière) in
diquait en effet que les patients
traités par un liquide de dialyse
(ou dialysat) au citrate présente
raient une surmortalité de 40 %
par rapport à ceux traités avec
d’autres produits à l’acétate ou à
l’acide chlorhydrique. Autrement
dit, alors que le taux de mortalité
atteint environ 10 % pour les per
sonnes dialysées, il était de 14 %
pour les personnes exposées au
dialysat au citrate, soit 1 260 décès,
représentant 360 décès annuels
supplémentaires.
« Les dialysats au citrate sont un
des types de dialysat utilisés pour
l’hémodialyse chronique. A ce
jour, sur les 45 000 patients
hémodialysés, on estime à 15 000
le nombre de patients concernés
en France », indiquait l’Agence na
tionale de sécurité du médica
ment et des produits de santé
(ANSM) en décembre. Ce produit
est utilisé de manière croissante
depuis une dizaine d’années. A la
suite de l’étude de Lucile Merca
dal, l’ANSM avait lancé des investi
gations, fin 2018. Dans un com
muniqué publié en juillet,
l’agence précisait que « les trois
études menées ces derniers mois
par l’Agence de la biomédecine
auprès de plus de 100 000 patients
ne montrent aucune augmenta
tion du risque de décès avec l’utili
sation du dialysat au citrate chez
les patients en dialyse, confirmant
l’étude internationale la DOPPS
(Dialysis Outcome and Practice
Patterns Study). »
La communauté des néphrolo
gues est partagée sur ce sujet, cer
tains ayant fortement critiqué
l’étude du docteur Mercadal,
d’autres estimant que le citrate,
comme d’autres produits, n’est
pas assez évalué. Les associations
de patients sont aussi divisées.
France Rein évoquait en juillet le
« supposé scandale » du dialysat.
« Dispositifs médicaux »
L’association Renaloo, qui avait
relayé les résultats de Lucile Mer
cadal, se réjouit, quant à elle, « des
avancées de ce dossier et du rôle
d’accélérateurs qu’ont joué le lan
cement d’alerte, sa médiatisation
et la gestion par l’ANSM ». « Les
crampes sévères et incoercibles
provoquées par le dialysat au ci
trate et décrites par certaines équi
pes restent un sujet de préoccupa
tion majeur », poursuit l’associa
tion. Par ailleurs, des questions
demeurent sur l’évaluation des
dialysats avant leur commercia
lisation. « Les exigences dans ce
domaine sont actuellement très
faibles, car ils sont toujours consi
dérés comme des dispositifs médi
caux, au même titre que les liquides
de nettoyage des lentilles par
exemple », pointe Renaloo.
Au final, ces investigations, selon
l’association, ont permis d’amélio
rer les connaissances sur les dialy
sats et de mieux informer les pa
tients. Mais cet épisode laissera
des traces : Renaloo était en effet
exclue du congrès de la SFNDT au
cours duquel les résultats récents
ont été présentés. De son côté, Lu
cile Mercadal poursuit ses travaux.
Elle regrette que son étude ait été
parfois mal comprise, et le déni
grement qu’elle a pu susciter.
pascale santi
A S T R O N O M I E
Sur Mars, la « taupe » de la mission
InSight a besoin d’un coup de pelle
Depuis fin février, la sonde thermique HP3
de la mission martienne InSight de la NASA,
censée s’enfoncer de plusieurs mètres dans le
sol de la Planète rouge, n’a pas dépassé 35 cm
de profondeur. La faute à une surface s’appa
rentant à du ciment : la sonde, qui dispose
d’une masse interne fonctionnant comme
un marteau, y rebondit car l’entrée élargie
de l’orifice l’empêche de profiter de la friction
nécessaire pour assurer la pénétration.
L’agence spatiale allemande (DLR) responsa
ble de la « taupe » et le Jet Propulsion Labora
tory (NASA) vont utiliser la pelle du bras ro
botisé d’InSight pour presser HP3 sur le bord
du trou et l’aider à entamer sa descente.
G É N É T I Q U E
Les descendants d’un taureau OGM
ont aussi hérité de gènes microbiens
En avril 2015, la startup américaine Recom
binetics était parvenue à faire naître deux
taureaux génétiquement modifiés pour être
dépourvus de cornes. En juillet, des cher
cheurs de la Food and Drug Administration
(FDA) américaine ont montré que de l’ADN
d’origine bactérienne s’est trouvé par inad
vertance dans leur génome. Qu’en estil
de six descendants, nés à l’université de Cali
fornie (Davis)? Alison Van Eenennaam et
ses collègues ont constaté que quatre d’entre
eux avaient hérité du plasmide bactérien, ce
qui en fait des organismes transgéniques. La
chercheuse n’en critique pas moins la régle
mentation sur les animaux génétiquement
modifiés, qui pourrait « entraver l’utilisation
des outils d’édition du génome dans les pro
grammes de sélection d’animaux d’élevage ».
> Young et al., « Nature Biotechnology »,
7 octobre
N E U R O L O G I E
Un patient tétraplégique commande
un exosquelette par la pensée
Un Lyonnais de 28 ans, paralysé des quatre
membres depuis une chute il y a quatre ans,
parvient à diriger par la pensée les mouve
ments d’un exosquelette. Dans cet essai clini
que mené par Clinatec, à Grenoble, le proto
type est commandé grâce à des électrodes au
contact du cortex cérébral, qui vont « capter
les signaux envoyés par le cerveau et les tra
duire en signaux moteurs », décrit à l’AFP
AlimLouis Benabid, professeur émérite à
l’université GrenobleAlpes. Le patient peut
mouvoir les jambes du robot, plier le coude,
lever les épaules, mais pas encore saisir
un objet ou marcher, en raison de l’équilibre
précaire de l’exosquelette (cidessous, lors
d’un réglage). Ce type d’interface pourrait
permettre d’ici quelques années aux tétraplé
giques de diriger leur fauteuil roulant ou
un bras motorisé, espère AlimLouis Benabid.
(PHOTO : CLINATEC)
> Benabid et al., « The Lancet Neurology »,
3 octobre
52
C’est le nombre d’heures consacrées chaque an-
née en moyenne par un chercheur pour mettre
en forme les articles qu’il soumet à publication,
selon une étude canadienne parue dans PloS
One le 26 septembre. Cette durée ne prend pas
en compte le temps d’écriture ou d’analyse des
données, mais seulement le soin à apporter à la
réalisation des graphiques, de la bibliographie,
des annexes... Sont inclus en outre les allers-
re tours entre l’éditeur et le chercheur pour
des corrections avant publication, mais aussi le
fait que les auteurs doivent parfois resoumettre
leur article et donc en changer la forme. Ces
données ont été obtenues en interrogeant en li-
gne 372 chercheurs entre octobre 2018 et jan-
vier 2019 sur leur activité de 2017. En moyenne,
ces répondants avaient soumis 4 articles.
Se rapportant au salaire annuel des chercheurs,
l’étude souligne que, chaque année, cette acti-
vité chronophage coûtait plus de 1 700 euros.
T É L E S C O P E
Le prix Nobel de médecine 2019 a été décerné aux Américains Gregg Semenza (à gauche) et William Kaelin
(à droite), et au Britannique Peter Ratcliffe (au centre) lundi 7 octobre, à Stockholm.
TT NEWS AGENCY/REUTERS