Le Monde - 09.10.2019

(Rick Simeone) #1

6 |international MERCREDI 9 OCTOBRE 2019


0123


Contre un nouveau report du Brexit
par l’Union européenne au-delà du 31 octobre

La crainte d’un impact négatif sur son propre pays Des incertitudes sur la préparation de son propre pays
face au Brexit

Sondage Kantar pour le Centre Kantar sur le futur de l’Europe et Le Monde, réalisé en ligne du 20 au 30 septembre 2019, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas,
Infographie Le Monde en République d’Irlande, en Espagne et en Pologne, sur un échantillon, par pays, de 1 000 personnes âgées de plus de 18 ans représentatives de la population de chaque pays considéré.

Etes-vous d’accord ou pas avec l’affirmation suivante
concernant les négociations en cours sur le Brexit?

Un vote pour le maintien dans l’UE
Comment voteriez-vous s’il y avait un référendum sur l’appartenance
de votre propre pays à l’UE?

Un manque de confiance en Boris Johnson pour aboutir
à une solution satisfaisante
Dans les négociations en cours sur le Brexit, faites-vous confiance
ou pas confiance à Boris Johnson pour aboutir à une solution satisfaisante
avant le 31 octobre?

Si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne (UE) sans accord le 31 octobre,
pensez-vous que cela ira mieux ou moins bien pour votre propre pays? Quel est le niveau, selon vous, de préparation du gouvernement
de votre pays dans l’hypothèse où le Royaume-Uni quitterait l’UE
Mieux sans accord le 31 octobre?

Pour le maintien dans l’UE Je ne voterais pas
Pour la sortie de l’UE

Moins bien
Je ne sais pas

Je ne sais pas

Je ne sais pas/ Je ne connais pas B. Johnson

Cela ne changera rien

France

Allemagne

Pays-Bas

Irlande

Espagne

Pologne

France

Allemagne

Pays-Bas

Irlande

Espagne

Pologne

L’Union européenne ne devrait pas Préparé Pas préparé Je ne sais pas
autoriser un nouveau report du Brexit :

France

Allemagne

Pays-Bas

Irlande

Espagne

Pologne

Pays-Bas

Allemagne

Irlande

Espagne

Pologne

France

Plutôt confiance

Plutôt pas confiance Ni l’un ni l’autre

Sont d’accord Ne sont pas d’accord
Ne savent pas

Allemagne France

Pays-Bas

Espagne Irlande

Pologne

66 % 57 %

71 % 61 %

66 %

57 %

52 %

48 %

33 %

56 %

52 %

49 %

63 %

57 %

26 % 19 %

41 %

9 %

41 %

32 %

29 % 8

9 11 9

9 % 17 8

4 18 21

7 29 12

7 32 13

11 % 39 % 17

19

22

19

7

37 %

25 %

30 %

75 %

75 %

13 %

19 %

24 %

73 %

72 %

60 %

52 %^618

3 5

5 7

6 9

7 14

6 9

12 %

13 %

17 % 70 %

66 %

5

8

9

61 %

55 %

45 %

43 %^2523

11 14

13 14

11 24

19 28

23 17

4

7

5

8

52 % 47 %

56 %

27 %

29 %

28 %

32 %

20 26

14 12

24

Les Européens se défient de Johnson et du Brexit


D’après l’institut Kantar, une majorité de sondés se prononce contre un nouveau report de la sortie de l’UE


B


oris Johnson va avoir
fort à faire pour convain­
cre les Européens de sa
bonne foi. Tandis que le
premier ministre britannique es­
père arracher dans les prochains
jours un accord sur le Brexit avec
les Vingt­Sept, son image est dé­
plorable hors de son pays, à en
croire une vaste enquête d’opi­
nion menée par l’institut Kantar,
et publiée mardi 8 octobre.
D’après l’étude réalisée courant
septembre dans six Etats – France,
Allemagne, Pays­Bas, Irlande,
Espagne et Pologne –, entre 5 % et
9 % seulement des sondés font
« confiance » au dirigeant tory
« pour aboutir à une solution satis­
faisante avant le 31 octobre ». Son
rôle dans les négociations en
cours est largement perçu comme
négatif, et ils sont même 70 % en
Allemagne, 55 % en Espagne ou
45 % en France à ne pas lui faire
confiance. Le reste des personnes
interrogées ne sachant pas trop
quoi penser d’un dirigeant au
pouvoir depuis à peine deux mois,
qui n’a eu de cesse de promettre
un Brexit « do or die » (« marche ou
crève ») pour le 31 octobre.
Le Brexit a donc beau être immi­
nent sur le papier, c’est l’incerti­
tude, plus encore que l’inquié­
tude, qui domine sur le continent
quant à l’issue du divorce engagé
depuis trois ans entre le Royau­
me­Uni et ses voisins. Dans un
pays comme la France par exem­
ple, 30 % des sondés sont d’avis
que les Britanniques vont quitter
l’UE sans accord négocié à l’amia­
ble à la date du 31 octobre, 16 %
avec un accord. Mais 29 % consi­
dèrent que rien ne se passera à
cette échéance et 25 % ne savent
pas quoi en penser. En Allema­
gne, moins de quatre personnes
sur dix misent sur une sortie,
avec ou sans accord, d’ici trois se­
maines, contre 49 % qui pré­
voient un maintien dans l’UE
au­delà de la date fatidique.
D’ici là, chefs d’Etat et de gou­
vernement européens devraient
tenter de se mettre d’accord sur
un éventuel compromis à l’amia­
ble, lors du Conseil européen des
17 et 18 octobre. Faute de quoi, le
premier ministre pourra sollici­
ter un nouveau délai au 31 jan­
vier 2020, comme l’y contraint
une loi votée au Parlement bri­
tannique début septembre.
Mais les péripéties du Brexit
semblent lasser les Européens.
Dans chacun des pays couverts
par l’étude, une majorité plus ou

moins forte de personnes juge
que « l’UE ne devrait pas autoriser
un nouveau report du Brexit »,
après les deux délais déjà obte­
nus par Londres, à l’époque où
Theresa May dirigeait le gouver­
nement.

Temps de trancher
Ainsi, 66 % des Allemands et 57 %
des Français sont de cet avis,
comme s’ils considéraient qu’il
est désormais temps de trancher,
quitte à aller vers une sortie sans
accord. Les opinions européen­
nes paraissent d’ailleurs au dia­
pason sur le sujet : même les res­
sortissants de pays très exposés à
un « no deal », comme l’Irlande

ou les Pays­Bas, ou souvent sen­
sibles aux intérêts britanniques,
comme la Pologne, considèrent à
une forte majorité qu’un report
n’est pas souhaitable, même
pour sortir de l’impasse actuelle.
Les Allemands en particulier ne
veulent ni nouveau report, ni
renégociation de l’accord rejeté à
trois reprises par les députés de
Westminster.
Comment expliquer cette
forme d’intransigeance? Les son­
dés sont certes une grande majo­
rité à considérer que le Brexit,
quelles que soient ses modalités,
est une « mauvaise chose » (à 74 %
en Allemagne, 73 % en Irlande,
58 % aux Pays­Bas contre 40 % en

France). Plus de deux sondés sur
trois en Irlande et en Espagne se
préoccupent aussi des effets
d’une telle hypothèse pour leur
pays. Mais ils ne sont que 33 % à
en craindre les retombées en

France, 48 % en Allemagne et 52 %
en Pologne. De surcroît, les son­
dés considèrent que le Brexit,
quand il aura lieu, aura un fort im­
pact sur le Royaume­Uni, mais ils
ne se font pas trop de souci sur ses
conséquences directes dans leur
vie personnelle, bien que celui­ci
risque de compliquer les voyages,
les échanges et les séjours profes­
sionnels outre­Manche.
Pourtant, les avis divergent sur
le degré de préparation à une
rupture sans accord à la fin du
mois d’octobre. 41 % des Français
estiment que leur pays est pré­
paré en ce sens, tandis que 37 %
demeurent d’avis contraire. En
Allemagne, ils sont 61 % à saluer

C’est
l’incertitude,
plus encore
que l’inquiétude,
qui domine sur le
continent quant
à l’issue du Brexit

le niveau de préparation, tandis
que 63 % des Espagnols et 52 %
des Irlandais considèrent que
leur pays n’est pas prêt.
En tout cas, le Brexit ne fait pas
école. En cas de référendum dans
leur pays, une majorité de per­
sonnes interrogées se prononce­
raient pour le maintien dans
l’UE. S’ils ne sont que 52 % en
France – contre 24 % pour une
sortie –, plus de sept sondés sur
dix en Allemagne, en Pologne, en
Irlande et en Espagne voteraient
pour rester dans l’UE. Le Brexit et
Boris Johnson agiraient­ils
comme autant de contre­exem­
ples à ne pas suivre ?
philippe ricard

Madrid ne veut pas se contenter de répartir les migrants rescapés


Pour le ministre de l’intérieur, Fernando Grande­Marlaska, « personne ne sauve plus de vies en mer que l’Espagne actuellement »


madrid ­ correspondance

D


ans son bureau du Paseo
de la Castellana, en plein
cœur de Madrid, le minis­
tre de l’intérieur espagnol, Fer­
nando Grande­Marlaska, n’en dé­
mord pas : « Nous ne demandons
pas de l’aide, ce n’est pas le mot :
nous demandons que l’Union euro­
péenne comprenne que la question
des migrants, peu importe par où
ils entrent en Europe, est de la res­
ponsabilité de l’ensemble des
pays. » Alors que devait se tenir
mardi 8 octobre au Luxembourg
un Conseil européen « justice et
affaires intérieures » lors duquel
les ministres allemands, français,
italiens et maltais devaient sou­
mettre leur préaccord de réparti­
tion automatique des migrants
débarquant en Méditerranée cen­
trale (à Malte ou en Italie), l’Espa­
gne demande voix au chapitre.
Comme la Grèce, elle n’a pas pris
part à la réunion de Malte qui a
esquissé le compromis, le 24 sep­

tembre. L’objectif initial de la ren­
contre était de trouver une solu­
tion à la fermeture des ports ita­
liens par l’ex­ministre de l’inté­
rieur, Matteo Salvini (Ligue,
extrême droite), mais il s’agit
maintenant d’accompagner leur
réouverture par la nouvelle coali­
tion – Mouvement 5 étoiles/Parti
démocrate – au pouvoir à Rome.
« L’ensemble de la Méditerranée
et des migrants doivent faire l’objet
d’un traitement identique et uni­
que, explique M. Grande­Mar­
laska. Que les sauvetages aient lieu
en Méditerranée occidentale, cen­
trale ou orientale, par des ONG ou
des services de sauvetage public
comme ici, ce sont les mêmes mi­
grants, qui viennent des mêmes
pays et ont été victimes des mêmes
mafias. Et les frontières qu’ils fran­
chissent ne sont ni d’Espagne, ni
d’Italie, ni de Grèce mais d’Europe. »
En 2018, l’Espagne était
redevenue le premier pays d’arri­
vée de migrants par mer, avec
60 000 personnes secourues sur

les côtes andalouses. Depuis dé­
but 2019, 23 000 migrants y ont
encore débarqué, soit une baisse
45 % par rapport aux neuf pre­
miers mois de 2018, essentielle­
ment du fait d’une intense colla­
boration avec le Maroc. « En plus
de l’aide qu’apporte l’UE, nous tra­
vaillons contre les mafias avec des
équipes conjointes d’investigation,
des échanges d’information ou des
patrouilles mixtes mêlant des for­
ces de l’ordre espagnoles et maro­
caines », souligne M. Marlaska.
L’Espagne a en outre accueilli
près d’un millier de migrants sau­
vés en Méditerranée centrale que
l’Italie refusait de prendre en
charge. Autant dire que Madrid se
considère irréprochable en ma­
tière de gestion du défi migratoire
et espère bien en jouer pour faire
entendre sa position. « Personne
ne sauve plus de vies en mer que
l’Espagne actuellement », résume
le ministre : « On ne se plaint pas
continuellement : nous sommes
un pays sérieux qui respecte ses

obligations internationales en
matière de sauvetage en mer. Ce­
pendant, nous avons exposé à
plusieurs reprises la nécessité
d’une politique migratoire com­
mune fondée sur les principes de
responsabilité et de solidarité. »
Cela fait trois ans que Madrid
plaide pour réformer et modifier
le règlement de Dublin, selon le­
quel les demandes d’asile doivent
être traitées par le premier pays
d’accueil des migrants et réfugiés.

« Ce n’est pas tenable »
« La régulation ne doit pas établir
de limites absolues aux mouve­
ments secondaires, car cela signi­
fie dans les faits que l’Espagne,
l’Italie et la Grèce devraient assu­
mer de manière indéfectible pres­
que tous les migrants qui entrent
en Europe. Ce n’est pas tenable »,
estime le ministre espagnol, très
critique avec la position des pays
du groupe de Visegrad (la Hon­
grie, la Pologne, la République
tchèque et la Slovaquie), qui « re­

fusent toute responsabilité et soli­
darité, tout comme certains pays
du nord de l’Europe », mais aussi
en désaccord avec « les pays qui
veulent éviter les mouvements se­
condaires, c’est­à­dire que les
migrants franchissent les frontiè­
res internes de l’UE ».
Des tensions ont d’ailleurs eu
lieu en 2018 à la frontière basque
entre l’Espagne et la France, les
policiers français raccompagnant
les migrants irréguliers qui tra­
versaient côté espagnol parfois
sans formalité ni garantie juridi­
que. « La question est réglée », as­
sure­t­on au ministère. En mars,
la Cour de justice de l’Union euro­
péenne a statué que les contrôles
frontaliers rétablis pour lutter
contre le terrorisme ne pouvaient
pas être utilisés pour refouler des
migrants illégaux.
« La France et la Belgique s’in­
quiètent des mouvements secon­
daires parce que beaucoup de mi­
grants sont francophones, souli­
gne M. Marlaska. Mais il entre

aussi en Espagne beaucoup de
migrants irréguliers latino­améri­
cains arrivés via des aéroports
français, belges ou néerlandais. »
L’Espagne est devenu le troi­
sième pays d’Europe en nombre
de demandeurs d’asile, avec plus
de 80 000 demandes présentées
depuis le 1er janvier, en majorité
de personnes originaires du
Venezuela, de Colombie ou du
Honduras.
« Il faut débloquer, dans le cadre
du prochain plan financier plu­
riannuel 2021­2027, une aide réelle
de coopération et collaboration au
développement en Afrique, dont la
population va doubler d’ici à
2050 », estime le ministre, qui
plaide aussi pour des « aides struc­
turelles et continues avec les pays
de transit comme le Maroc ».
« Il faut que les pays d’origine
puissent offrir des perspectives de
développement et de croissance
aux jeunes, » conclut Fernando
Grande­Marlaska.
sandrine morel
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