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FRANCE
MERCREDI 9 OCTOBRE 2019
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L
e rendezvous était annoncé
comme un moment fort pour le
gouvernement. Une façon de
regarder les choses « en face »,
selon les mots d’Emmanuel
Macron, convaincu que les Fran
çais sont préoccupés par l’immigration et
que là réside l’un des principaux terrains
d’opposition avec son adversaire électoral, le
Rassemblement national (RN).
Lundi 7 octobre, les députés et une partie
du gouvernement ont donc pris place dans
l’Hémicycle pour près de cinq heures de
débat sur la politique migratoire de la
France. Un exercice voulu par le président
de la République, annoncé lors de sa confé
rence de presse de sortie de la crise des « gi
lets jaunes », en avril.
Pendant plusieurs semaines, l’imminence
du débat a nourri le débat. Une ligne dure
semblait se dessiner à mesure que le chef de
l’Etat et le gouvernement ciblaient dans
leurs déclarations publiques le détourne
ment de la demande d’asile ou les abus du
système de soins. Mais si l’on pouvait crain
dre que la majorité se déchire sur ce thème
qui la divise, elle semble, à l’issue des discus
sions, assez rassemblée.
Et pour cause, dans un savant dosage de
« en même temps » destiné à la rassurer, à
travers des prises de parole mesurées
vantant une « logique équilibrée » (le
premier ministre, Edouard Philippe), un
système « efficace et juste » (le ministre des
affaires étrangères, JeanYves Le Drian), l’al
liance des concepts de « responsabilité et
solidarité » (son collègue de l’intérieur,
Christophe Castaner), le gouvernement s’est
contenté de rappeler ses principes et sa
volonté de maîtriser les flux tout en souhai
tant « bien accueillir » les réfugiés et autres
migrants réguliers.
« Le cœur de notre politique d’immigration,
c’est la réussite de l’intégration », affirmait
même le locataire de Beauvau tandis que la
ministre des solidarités et de la santé, Agnès
Buzyn, se lançait dans un long plaidoyer
pour l’aide médicale d’Etat (AME). « J’ai
l’impression qu’on a un positionnement plus
à gauche qu’avant », se félicitait, en sortant
des débats, le député (MoDem) du Finistère
Erwan Balanant. « On va avoir une politique
plus humaniste, j’ai l’impression que le débat
a conduit à ça. »
Dans son allocution introductive, Edouard
Philippe a listé six « orientations » qu’il a sou
haité soumettre à l’Assemblée, dont les rangs
sont restés très clairsemés. Il a d’abord évo
qué le rôle de l’aide publique au développe
ment comme « levier » de la politique
migratoire, avant de dire son souhait d’une
refonte de l’espace Schengen mêlant renfor
cement des contrôles aux frontières inté
rieures et extérieures et mécanismes de soli
darité dans la prise en charge des deman
deurs d’asile en Europe.
Pour lutter contre la prétendue « attracti
vité » de la France, le premier ministre veut
par ailleurs œuvrer à la « convergence euro
péenne des conditions d’accueil » des deman
deurs d’asile, de même qu’il entend poursui
vre l’effort apporté par la loi asile et immi
gration de 2018 sur les éloignements
contraints et la réduction des délais d’exa
men des demandes d’asile.
Enfin, il a appelé à « faire plus et mieux » en
matière d’intégration et à renforcer la prise
en compte des compétences rares et des
talents. C’est sur ce dernier point que le chef
du gouvernement a semblé être le plus nova
teur, en assurant ne pas avoir « peur de réflé
chir à l’idée de quotas » en matière d’immi
gration professionnelle. « Il faut avoir une
approche pragmatique en relation avec nos
besoins de maind’œuvre », atil déclaré, en
référence à une catégorie de migration qui
concerne près de 34 000 titres délivrés en
France en 2018, sur un total de 256 000 titres.
« UNE IMPRESSION DE DÉJÀ-VU »
Outre ces quelques thématiques esquissées
à grands traits et le souhait, déjà connu, de
« relever » le niveau de français exigé aux
candidats à la naturalisation ou de durcir les
conditions de l’immigration familiale,
Edouard Philippe « n’a pas annoncé grand
chose », résume un préfet. Même s’il a laissé
entendre que des textes réglementaires ou
législatifs suivraient, « ça laisse une impres
sion de déjàvu assourdissante, enfonce
Violaine Carrère, chargée d’étude au Groupe
d’information et de soutien des immigrés
(Gisti). Les mêmes slogans, les mêmes binô
mes “humanisme et fermeté” qu’on entend
depuis trente ans. Je ne vois rien de neuf. C’est
consternant. »
« C’est du gloubiboulga, le genre de dis
cours sur lequel tout le monde peut en appa
rence se retrouver mais le logiciel ne bouge
pas, ajoute un haut fonctionnaire. On est
toujours dans la même logique de dissuasion
de la demande d’asile, d’alignement vers le
bas des conditions d’accueil, d’intransi
geance sur [le règlement européen de]
Dublin... Ils sont toujours dans l’incantation
sur les reconduites et ils ne règlent rien. »
Pierre Henry, de l’association France terre
d’asile, s’est étonné de ce qu’il assimile à une
« stratégie du bruit ». « Il n’y a rien de percep
tible dans les annonces du gouvernement qui
remettent en cause fondamentalement les
droits des migrants ou des demandeurs
d’asile, mais nous restons vigilants et le
problème reste entier », réagitil. Une partie
de la frustration provient certainement du
fait que les pistes ouvertes par le gouverne
ment ont pour une bonne partie déjà été
éculées, ou qu’elles apparaissent comme
des vœux pieux tant elles se décident au
niveau européen.
Ainsi en vatil du règlement de Dublin, qui
prévoit que seul l’Etat d’entrée en Europe est
responsable de l’examen de la situation d’un
demandeur d’asile. Le gouvernement veut
en renforcer l’application pour éviter que ne
viennent en France des migrants déjà
déboutés ailleurs, comme c’est le cas
aujourd’hui d’un tiers environ des deman
deurs d’asile. Reste que les discussions entre
les Etats membres de l’Union européenne
(UE) patinent depuis plusieurs années tant
les intérêts des pays divergent.
« POURQUOI ATTISER CETTE BRAISE-LÀ? »
Le même scepticisme transpirait des
discours et des réactions des députés. « Ils
ont eu peur de leur audace! », analysait dans
la soirée le député Eric Ciotti (Les Républi
cains, LR, AlpesMaritimes), qui, dès son
discours à la tribune, présageait d’un débat
« stérile et inutile ».
Les échanges ont été, à gauche, articulés
autour de la mise en cause du principe
même du débat. « Pourquoi attiser cette brai
selà? », a ainsi interrogé JeanLuc
Mélenchon, chef de file de La France insou
« C’EST DU GLOUBI
BOULGA, LE GENRE
DE DISCOURS
SUR LEQUEL TOUT
LE MONDE PEUT
EN APPARENCE
SE RETROUVER, MAIS
LE LOGICIEL NE BOUGE
PAS », CONSTATE UN
HAUT FONCTIONNAIRE
Immigration : un débat au goût d’inachevé
Lundi 7 octobre, Edouard Philippe a esquissé
six « orientations » en expliquant ne pas
avoir « peur de réfléchir à l’idée de quotas ».
Associations et ONG ne cachent pas leur
scepticisme, voire leur consternation
P O L I T I Q U E M I G R A T O I R E
Agnès Buzyn défend fermement le principe de l’aide médicale d’Etat
Si la ministre de la santé a rappelé l’impératif de l’accès aux soins, elle a aussi annoncé le déploiement d’un « plan de lutte contre les fraudes »
C’
est sûrement la minis
tre qui était la moins
acquise à la cause du
débat sur l’immigration, voulu
par le président de la République.
C’est pourtant celle qui a le plus
détaillé, lundi 7 octobre, devant
l’Assemblée nationale, les pistes
sur lesquelles l’administration
planchait en matière de soins
aux étrangers. A côté, le ministre
des affaires étrangères, JeanYves
Le Drian, et celui de l’intérieur,
Christophe Castaner, se sont con
tentés de brosser de manière très
générale leurs ambitions pour
œuvrer à la « maîtrise des flux »
migratoires.
Face aux députés, Agnès Buzyn a
d’abord longuement rappelé les
principes auxquelles elle est atta
chée, au premier titre duquel « le
droit à la santé pour tous ». « On ne
laisse pas des gens périr parce qu’il
leur manque le bon tampon sur le
bon document », atelle résumé.
Elle a aussi balayé sèchement les
polémiques qui avaient pu fleurir
en amont du débat sur les abus de
l’aide médicale d’Etat (AME), cette
protection sociale destinée à pren
dre en charge un panier de soins
réduit pour les étrangers en situa
tion irrégulière sur le territoire.
« Cure thermale, PMA, médicament
à service médical rendu faible, ne
sont pas pris en charge par l’AME
(...). Les soins à visée esthétique ne
sont évidemment pas pris en
charge par l’AME », atelle rappelé.
Pas de participation financière
Audelà de ces rappels factuels et
de principe, la ministre n’en a pas
moins annoncé le déploiement
d’un « plan de lutte contre les
fraudes ». « Dès la fin de l’année,
les caisses d’assurancemaladie
auront accès à la base Visabio [fi
chier européen des visas] du mi
nistère de l’intérieur pour identi
fier les demandeurs dissimulant
un visa et n’ayant pas vocation à
bénéficier de l’AME. »
Alors que les inspections géné
rales des finances et des affaires
sociales, mandatées par Mati
gnon, doivent rendre, d’ici à fin
octobre, leurs conclusions sur
une réforme de l’AME, Mme Buzyn
a assuré qu’elle excluait « toute
solution reposant sur la partici
pation financière des personnes
admises à l’AME ». Elle a rappelé
qu’en 2011 la droite avait instauré
une franchise (30 euros) et que
celleci avait eu pour effet de « re
porte[r] les coûts de prise en
charge sur les soins urgents ».
Alors que le budget de l’AME
s’est élevé à 848 millions d’euros
en 2018, la ministre ne s’interdit
toutefois pas d’envisager
d’autres « pistes », comme la su
bordination de soins non ur
gents ou non vitaux à « un accord
préalable » ou un « ajustement du
périmètre du panier de soins »
pris en charge.
Enfin, concernant les deman
deurs d’asile, qui bénéficient de
la protection universelle mala
die, la ministre a estimé qu’un
« délai de carence, pendant lequel
[seraient pris] en compte évidem
ment les soins urgents, pourrait
être envisagé ». Cette éventualité
vise à répondre à l’idée selon la
quelle certains demandeurs
d’asile ne relèvent pas d’un be
soin de protection, mais cher
chent à obtenir des soins en
France, notamment les Géor
giens atteints d’une pathologie
lourde telle qu’un cancer.
« Il y a une contradiction, réagis
sait Christian Reboul, référent
migration pour Médecins du
monde. Elle a été ferme sur les
principes et, dans le même temps,
elle conçoit une réduction des
soins. Il y a un problème de cohé
rence. Il y a peutêtre l’apparence
d’un débat apaisé, mais qui
renvoie à des mesures potentielle
ment dures dans un avenir
proche. »
j. pa.