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ÉCONOMIE & ENTREPRISE
MERCREDI 2 OCTOBRE 2019
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Gare du Nord : la Ville de Paris durcit le ton
La SNCF et Ceetrus (groupe Auchan) sont appelés à revoir le volet commercial de leur projet de rénovation
L
e débat sur la transforma
tion de la gare du Nord
s’envenime. Après le tir
de barrage d’un aréopage
d’architectes et d’urbanistes, qui
avaient jugé, le 3 septembre, dans
une tribune au Monde, le projet
« indécent », « absurde » et « inac
ceptable », ce sont désormais l’ad
joint à la maire de Paris chargé de
l’urbanisme, JeanLouis Missika,
et la maire PS du 10e arrondisse
ment, Alexandra Cordebard, qui
dressent un réquisitoire sévère
contre les plans portés par la
SNCF et la filiale d’immobilier
commercial du groupe Auchan,
Ceetrus, pour rénover la première
gare d’Europe. Dans une lettre pu
bliée par Le Monde, les élus pari
siens appellent à « revoir le pro
jet » de fond en comble, remettant
en cause son programme comme
son montage financier.
Une petite bombe, alors que les
promoteurs de l’opération ne ces
sent de louer le « travail partena
rial réalisé avec les élus de la Ville ».
Cette tribune est « une décision
mûrement réfléchie, dont j’ai lon
guement discuté avec la maire de
Paris », assume l’adjoint d’Anne
Hidalgo. Une manière, aussi, de
mettre en scène l’opposition de la
majorité à ce projet, alors que l’af
faire promet de se politiser dans
le contexte de précampagne des
élections municipales.
Le 10 juillet, M. Missika avait fait
voter par le conseil de Paris, après
de vifs débats, un avis favorable à
cette rénovation. La seule façon
de maintenir ouvert le dialogue
avec la SNCF et Ceetrus pour faire
évoluer le projet, plaidait alors
l’adjoint à l’urbanisme, sachant
que c’est l’Etat qui délivre le per
mis de construire, la Ville n’ayant
qu’un rôle consultatif. Moins de
trois mois plus tard, le ton a
changé. « Ce que nous obtenons
n’est pas satisfaisant, estime
M. Missika. Il faut d’abord réfléchir
à la question des transports, de
l’intermodalité avec les bus et les
vélos, aux espaces mis à la disposi
tion des voyageurs, et construire le
reste autour de cela ; eux ont fait
exactement le contraire. »
Saturée, inconfortable
« Le reste », c’est un programme
de près de 20 000 m^2 de commer
ces (contre moins de 5 000 m^2
aujourd’hui), presque 14 000 m^2
de bureaux et 12 000 m^2 d’équipe
ments culturels et sportifs, logés
dans un aérien et flambant neuf
bâtiment de cinq niveaux, dont le
rezdechaussée doit servir de
nouveau terminal de départ pour
les voyageurs et les toitures être
coiffées d’un « parc urbain » de
plus de 1 hectare. « Ce projet
ajoute presque 90 000 m^2 de bâti
ments dans un espace restreint et
sur une parcelle très contrainte,
c’est beaucoup trop », juge l’ad
joint à l’urbanisme.
Le diagnostic est consensuel.
Conçue pour 500 000 voyageurs
par jour au XIXe siècle, la gare du
Nord en accueille aujourd’hui
700 000 et en prévoit 900 000 à
l’horizon 2030. Mêlant trains de
banlieue, liaisons régionales,
grandes lignes et destinations in
ternationales par l’Eurostar et le
Thalys, la gare du Nord est satu
rée, inconfortable, à bout de
souffle. Mettant à profit la dyna
mique des Jeux olympiques (JO)
de 2024, la SNCF a lancé, en 2017,
un appel d’offres pour la rénova
tion de la gare avant les JO, rem
porté par Ceetrus.
Le principe : l’opération immo
bilière finance l’intégralité des
travaux de rénovation et de trans
formation de la gare, chiffrés à
600 millions d’euros, sans qu’il
en coûte un centime à la SNCF, qui
recevra, de surcroît, une rede
vance pour l’exploitation des es
paces commerciaux sans rapport
avec le transport. « La SNCF a pris
l’offre financière la plus intéres
sante, ce n’est ni un choix urbain ni
un choix architectural », regrette
M. Missika.
« Le modèle permet de ne pas pe
ser sur le prix du billet de train,
mais c’est d’abord une opération
d’amélioration de la gare : nous al
lons doubler les espaces d’accueil
et de circulation des voyageurs,
qui passeront de 30 000 à
60 000 m^2 , doubler le nombre d’es
caliers mécaniques, améliorer les
temps de parcours pour la plupart
des usagers », défend Benoît Bru
not, le directeur du développe
ment et des projets de Gares et
Connexions, la branche de la
SNCF chargée de la gestion des ga
res, devenu président du conseil
de surveillance de la société com
mune créée avec Ceetrus pour
mener à bien la rénovation.
Mais la multiplication des bouti
ques, combinée à un parcours
d’accès aux trains rendu plus com
pliqué par la volonté de séparer le
flux des départs de celui des arri
vées, a nourri la crainte de voir les
voyageurs, comme dans un duty
free d’aéroport, contraints de ser
penter dans un centre commercial
avant de pouvoir embarquer. Des
inquiétudes balayées par les pro
moteurs. « Il n’y aura pas un grand
centre commercial, mais des espa
ces de boutiques répartis dans les
différents niveaux de la gare, adap
tés aux différents types de trajets »,
précise M. Brunot, qui assure que
« l’installation de commerces ré
pond d’abord à une attente de nos
usagers ». Et souligne que la sur
face commerciale rapportée au
nombre de voyageurs sera infé
rieure à celle des gares de SaintLa
zare ou d’Austerlitz.
Il reste un programme d’autant
plus complexe et un projet
d’autant plus massif qu’il va bien
audelà de la construction d’une
gare. Le modèle commercial mis
en œuvre par la SNCF dans toutes
ses rénovations de gare, de Mont
parnasse à LyonPartDieu, tou
chetil ici ses limites? « Ils occu
pent, pour des commerces et des
bureaux, tellement d’espace qui de
vrait être dévolu aux transports et à
l’intermodalité que cela oblige à
mettre en œuvre des solutions très
compliquées », regrette M. Missika.
La proposition de la Ville de Pa
ris : élaborer un projet plus sim
ple, centré sur les transports, ré
La loi alimentation n’a pas provoqué de forte inflation des prix
L’entrée en vigueur du texte encadrant les promotions a entraîné une valse des étiquettes dans les rayons des grandes surfaces
U
n an après l’adoption de
la loi agriculture et ali
mentation (EGalim), en
octobre 2018, l’heure est au pre
mier bilan. L’enjeu était de freiner
la guerre des prix, en atténuant,
par de nouvelles règles, les pres
sions tarifaires imposées aux
fournisseurs, et permettre, par ri
cochet, de mieux rémunérer les
agriculteurs. Le bilan reste somme
toute très partiel, puisque les prin
cipales ordonnances ne sont en
trées en vigueur que début 2019,
notamment celle encadrant les
promotions et celle majorant de
10 % le seuil de revente à perte
(SRP), c’estàdire la limite de prix
en dessous de laquelle un distribu
teur ne peut revendre un produit.
Les ordonnances, dont l’applica
tion a été limitée à une phase de
test de deux ans, avaient à l’épo
que suscité une levée de boucliers
de l’enseigne Leclerc, dénonçant
les risques inflationnistes de telles
mesures. Selon l’institut Nielsen,
qui a scruté les rayons des distribu
teurs, entre juillet 2018 et
juillet 2019, il n’en est rien. Dans
une étude publiée mardi 1er octo
bre, il considère que l’inflation des
produits de grande consomma
tion, des rayons alimentaire, hy
giènebeauté et entretien, a été
globalement contenue à 0,3 %. Les
produits frais, eux, ont augmenté
de 1,2 %. Ce qui donne, selon Niel
sen, un taux d’inflation général en
magasin de 0,5 % sur cette période.
Cette apparente stabilité d’en
semble ne donne pas la mesure
des mouvements qui ont agité les
rayons. Sans surprise, les plus for
tes hausses de prix, liées au relève
ment du SRP, ont bousculé les
marques phares des géants de
l’agroalimentaire, comme Ricard,
Nutella ou CocaCola.
Négociations décisives
« La loi EGalim a eu un impact sen
sible sur nos ventes en France de Ri
card, explique Alexandre Ricard,
PDG du groupe. Le relèvement du
SRP s’applique aussi sur les taxes, ce
qui a conduit à des hausses de prix
de quasiment 9,5 %. Pour le con
sommateur, le seuil des 20 euros la
bouteille a été franchi et les volu
mes de vente ont baissé ». Emily
Mayer, de la société d’études IRI,
constate que « lorsque l’augmenta
tion du prix d’un produit a été supé
rieure à 4 % ou 5 %, il y a eu une dé
gradation des volumes ».
La baisse des ventes est aussi no
table sur des produits alimen
taires qui bénéficiaient autrefois
de fortes promotions dans les
grandes surfaces. Aujourd’hui, el
les ne peuvent pas excéder 34 % de
leur valeur et 25 % du volume d’af
faires annuel. Mme Mayer cite les
eaux gazeuses et naturelles, les pa
quets de café torréfié et le champa
gne, dont les ventes ont reflué en
raison des moindres rabais.
A l’inverse, les promotions, qui
se sont déplacées sur le bio, de
venu un produit d’appel de la
grande distribution, restent tou
jours aussi fortes sur les marques
de distributeurs, qui regagnent
des parts de marché. Une pre
mière depuis 2012 selon Nielsen.
De même que sur les grandes mar
ques d’hygiènebeauté et entre
tien, qui ne sont pas concernées
par la loi EGalim et souffrent d’un
report de la guerre des prix. Dans
leur rapport sur les relations entre
les distributeurs et leurs fournis
seurs, paru le 25 septembre, des dé
putés préconisent d’élargir le
champ d’application de la loi EGa
lim aux produits non alimentaires
(hygiène, droguerie, beauté).
La période de négociation com
merciale, qui s’ouvre jusqu’à fin fé
vrier, sera décisive. Il y a un an, les
enseignes avaient beaucoup com
muniqué sur les accords négociés
avec les groupes laitiers. « Nous
avons signé notre contrat avec In
termarché dès novembre et dans
nos bureaux, pas dans un de leurs
box de négociation », raconte An
toine Fievet, PDG du groupe fro
mager Bel, pour évoquer un cer
tain changement d’ambiance.
Néanmoins, « les signatures de
quelques accords emblématiques
dans le secteur laitier ne pourront
faire, à elles seules, des négocia
tions un succès, a souligné le syndi
cat agricole FNSEA. Le bilan ne
pourra être réalisé qu’après le
1 er mars 2020 ». Soit après avoir in
tégré toutes les dispositions de la
loi EGalim, dont l’inversion dans la
construction des prix, certains
textes ayant été publiés en avril.
« Ce n’est donc pas le moment de re
changer toutes les règles, alors
qu’elles ne sont pas encore toutes
mises en œuvre », selon Jacques
Creyssel, délégué général de la Fé
dération des entreprises du com
merce et de la distribution (FCD).
laurence girard et
cécile prudhomme
Le projet d’entrée du nouveau bâtiment sur le côté Est de la gare du Nord, à Paris. VALODE & PISTRE ARCHITECTES
« La SNCF a pris
l’offre financière
la plus
intéressante,
ce n’est ni un
choix urbain
ni un choix
architectural »
JEAN-LOUIS MISSIKA
adjoint à l’urbanisme
à la maire de Paris
duisant « substantiellement » la
part des surfaces commerciales.
« Le coût pourrait être divisé par
quatre et le chantier aurait plus de
chances d’être achevé pour 2024 »,
estime l’adjoint à l’urbanisme,
qui plaide pour un financement
public de cette rénovation,
auquel la municipalité pourrait
prendre part.
La tribune des élus est aussi un
message adressé aux membres de
la Commission nationale d’amé
nagement commercial. Elle doit se
réunir le 10 octobre pour se pro
noncer sur le projet d’extension de
la gare du Nord, après l’avis défa
vorable émis, le 27 juin, par la com
mission départementale de Paris.
Celleci avait dénoncé une hausse
des surfaces « surdimensionnée »,
qui pourrait « porter atteinte au
tissu commercial environnant », et
donc à « la vie urbaine du quar
tier ». Un nouveau rejet bloquerait
la délivrance du permis de cons
truire par l’Etat, obligeant la SNCF
à revoir le projet.
grégoire allix