Le Monde - 02.10.2019

(Michael S) #1

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INTERNATIONAL


MERCREDI 2 OCTOBRE 2019

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Pékin célèbre le « miracle » chinois


Le président Xi Jinping a fêté les 70 ans de la République populaire en exhibant de nouveaux armements


pékin ­ correspondant

U


n pays puissant et mo­
derne, mais non
exempt de tensions
internes. Telle est
l’image qu’a donnée la Chine le
1 er octobre à l’occasion du soixan­
te­dixième anniversaire de la Ré­
publique populaire. A Pékin, tout
était sous contrôle. A 10 heures,
au balcon de la Porte­de­la­Paix­
Céleste, au sud de la Cité interdite,
qui donne sur la place Tianan­
men, là même où Mao Zedong
avait proclamé le 1er octobre 1949
la création de la République popu­
laire de Chine, Xi Jinping, secré­
taire du Parti communiste depuis
2012 et président de la République
depuis 2013, s’est contenté d’un
discours très bref, sept minutes,
dans lequel il a fait passer
deux messages : « Aucune force ne
peut entraver le progrès du peuple
chinois et de la nation chinoise » et
la Chine restera fidèle à la formule
« un pays, deux systèmes », une
référence au principe de gouver­
nance entre la Chine continentale
d’un côté, et ses deux régions ad­
ministratives spéciales de Hon­
gkong et de Macao de l’autre.
Xi Jinping, qui est également pré­
sident de la commission militaire
centrale, l’organe de commande­
ment suprême de l’armée, a en­
suite passé les troupes en revue,
avant que 15 000 soldats ne défi­
lent à leur tour sur l’avenue de la
Paix­Eternelle, qui traverse d’ouest
en est la place Tiananmen. Il s’agit,
selon les dirigeants, du plus grand
défilé militaire organisé à Pékin
depuis 1949. L’occasion pour la
Chine d’exhiber quelques­uns de
ses fleurons, notamment des dro­
nes high­tech et – pour la première
fois – des Dongfeng­41, des missi­
les balistiques intercontinentaux
possiblement dotés d’ogives nu­
cléaires et qui peuvent atteindre
les Etats­Unis en trente minutes.

Ambitions mondiales
« Non seulement la Chine démon­
tre une capacité à faire évoluer
l’arsenal nucléaire de façon rapide
sur le plan qualitatif et quantitatif,
mais illustre également sa capa­
cité d’innovation dans le domaine
des forces de frappe convention­
nelles de précision », expliquent
les chercheurs Antoine Bondaz et
Stéphane Delory, dans une note
publiée par la Fondation de la re­
cherche stratégique quelques
jours avant le défilé. « Ces derniè­
res pourront à brève échéance opé­
rer sur de très longues portées et
avec des tempos opérationnels
très élevés, renforçant spectaculai­
rement la capacité de dissuasion
conventionnelle chinoise et contri­

buant à inhiber l’action des grands
compétiteurs régionaux. »
Ces nouvelles capacités militai­
res, qui sont, comme le martèle la
propagande, « au service de la
paix », illustrent les ambitions
mondiales de la Chine de Xi
Jinping. Lorsqu’il s’adresse aux
90 millions de membres du Parti
communiste, celui­ci ne cesse de
mettre en garde contre les « me­
naces » qui l’assaillent. En revan­
che, l’image qu’il entend donner
au pays et au reste du monde est
au contraire celle d’un parti qui a
accompli un « miracle ».
Le mot figure en toutes lettres
dans le Livre blanc publié le
29 septembre par le gouverne­
ment chinois sur le rôle interna­
tional du pays. « En soixante­dix
ans, sous la direction du Parti com­
muniste chinois, la République po­
pulaire de Chine a connu de pro­
fonds changements et réalisé un
miracle de développement écono­
mique sans précédent dans l’his­
toire de l’humanité », est­il écrit,
dès l’introduction. « La Chine a

réussi à accomplir quelque chose
que les pays développés ont mis
plusieurs centaines d’années à réa­
liser », ajoute le document. Le PIB
du pays est passé de « 67,9 mil­
liards de yuans [8,7 milliards
d’euros] en 1952 à 90 000 milliards
de yuans [11 570 milliards d’euros]
en 2018 », est­il précisé. Pourtant,
le Livre blanc affirme que la Chine
reste un « pays émergent ». Pas
question en effet d’accepter de
perdre les avantages qu’octroie ce
statut au sein de l’Organisation
mondiale du commerce, à la­
quelle la Chine a adhéré en 2001.

Présence de Carrie Lam
Le texte reprend une antienne de
la propagande chinoise, selon la­
quelle les Occidentaux n’auraient
aucun intérêt à remettre en cause
le modèle de développement éco­
nomique chinois, car, sans le Parti
communiste chinois (PCC), le pays
risquerait d’être en proie au chaos.
« Durant les soixante­dix dernières
années, le succès de la Chine se ré­
sume à celui de la direction du Parti

communiste chinois. En raison de
l’étendue de son territoire et de la
complexité de ses conditions natio­
nales, la gouvernance de la Chine
est d’une difficulté sans pareille.
Sans un leadership centralisé, uni­
fié et ferme, la Chine aurait eu ten­
dance à se diviser et à se désinté­
grer, provoquant un chaos généra­
lisé au­delà de ses propres frontiè­
res. » Selon cet argumentaire,
l’absence de démocratie n’est
donc pas un frein au développe­
ment du pays, mais au contraire
un de ses préalables, et c’est grâce
au PCC que le monde vit en paix.

C’est d’ailleurs l’un des messa­
ges prononcés lors de la parade ci­
vile, qui a vu défiler 100 000 per­
sonnes, venues de tout le pays :
« La fête nationale de la Chine ap­
partient aussi à tous ceux qui aspi­
rent à la paix dans le monde. » Sous
la direction de Xi Jinping, pas
question de porter le moindre re­
gard critique sur les soixante­dix
années passées, ni même sur les
crimes du maoïsme. A la veille des
célébrations, le numéro un chi­
nois est d’ailleurs allé s’incliner
devant la dépouille du fondateur
de la République populaire de
Chine, un geste qu’il n’avait pas ef­
fectué publiquement depuis 2013,
année du 120e anniversaire de la
naissance du Grand Timonier.
Tout à la gloire du Parti, les céré­
monies du 1er octobre ont parfois
donné lieu à des scènes étranges,
comme la présence dans le défilé
d’immenses portraits de Mao Ze­
dong et de ses successeurs, Deng
Xiaoping, Jiang Zemin, Hu Jintao
et Xi Jinping, alors que ces trois
derniers se trouvaient à la tribune.

A Hongkong, les manifestants décidés à perturber les célébrations


Malgré l’interdiction de défiler, des dizaines de milliers de personnes se rassemblaient mardi pour une « journée de deuil national »


hongkong ­ correspondance

A


Hongkong, un long cor­
tège de plusieurs dizaines
d e m i l l i e r s d e
Hongkongais, en majorité mas­
qués et vêtus de noir pour mar­
quer « une journée de deuil natio­
nal », s’est étiré sans violence
mardi en début d’après­midi à tra­
vers les quartiers de l’île de
Hongkong jusqu’à Central, le
quartier des affaires. Une interdic­
tion de manifester avait toutefois
été opposée, la veille, au Front ci­
vil des droits de l’homme (CFHR),
l’organisateur habituel des gran­
des marches. De premiers heurts
violents entre police et manifes­
tants ont aussi éclaté l’après­midi
dans des quartiers des Nouveaux
Territoires, où des personnes

âgées sont intervenues comme
force tampon pour tenter de cal­
mer le jeu. Des policiers ont tiré en
l’air à Kowloon. Des manifestants
auraient aussi lancé de l’encre et
de la peinture contre la façade du
Bureau de Liaison, la représenta­
tion chinoise, dans l’ouest de l’île
de Hongkong.
En passant à Causeway Bay,
quartier commerçant de l’île, les
manifestants ont jeté dans le ciel
des milliers de billets de banque
pour les morts, filant la méta­
phore de la fin du parti commu­
niste. Plusieurs figures de l’oppo­
sition avaient indiqué leur inten­
tion de sortir dans la rue coûte
que coûte. Les leaders de la Ligue
des sociaux­démocrates (LSD)
conduits par l’infatigable député
Leung Kwok­hung, surnommé

« Long Hair », avaient déjà eu
maille à partir avec la police au pe­
tit matin après un rassemblement
de quelques dizaines de person­
nes au nom du souvenir des victi­
mes du massacre de Tiananmen.

« Danger extrême »
Les manifestants se préparaient de
longue date à cette journée sym­
bolique et avaient indiqué leur in­
tention de gâcher la fête chinoise.
Des rendez­vous ont été donnés
dans au moins cinq quartiers. Jus­
que­là, Hongkong faisait figure de
ville fantôme. Nombre de maga­
sins et de grands centres commer­
ciaux, normalement ouverts les
jours fériés, avaient baissé leur ri­
deau de fer. La plupart des immeu­
bles officiels, du parlement au
commissariat de police de Wan

Chai, ont été entourés d’énormes
barricades de protection.
Alors que le métro est le princi­
pal moyen de déplacement pour
les Hongkongais, la société de
transport MTR a annoncé la fer­
meture de nombreuses stations
par « mesure de sécurité ». Les sta­
tions de métro ont été, à plusieurs
reprises, le théâtre de heurts très
violents. Depuis que les journaux
de propagande chinois ont accusé
MTR de jouer le jeu des manifes­
tants, en leur permettant d’éva­
cuer rapidement les lieux par
exemple, la société est rentrée
dans le rang. MTR est désormais
accusée de servir la police plutôt
que les usagers et les stations sont
régulièrement vandalisées.
La journée du 1er octobre avait
commencé avec une cérémonie

officielle terne et minimaliste :
par mesure de sécurité et de peur
que la formalité militaire soit in­
terrompue, les quelque mille invi­
tés, regroupés dans une immense
salle aveugle du centre des expo­
sitions de Hongkong, ont assisté
au lever du drapeau sur un écran
géant. Les festivités avaient été ré­
duites à leur strict minimum, en
présence d’une « liste B » de per­
sonnalités de la ville ; la « liste A »,
les plus en vue, ayant été invitée à
Pékin dans le cortège de 240 per­
sonnes mené par la chef de l’exé­
cutif de Hongkong, Carrie Lam...
Lundi, la police de Hongkong
avait estimé que la ville était pro­
che d’un « danger extrême ». Son
porte­parole, John Tse avait indi­
qué savoir, sur la base de « rensei­
gnements », que le noyau des

émeutiers préparait des attaques
de grande ampleur.
Du côté des partisans de Pékin,
une association a annoncé son in­
tention de mobiliser 10 000 vo­
lontaires pour « protéger le dra­
peau chinois ». Car, depuis le dé­
but de ce mouvement, celui­ci a
été profané près d’une dizaine de
fois. Malgré la tradition d’inonder
la ville de drapeaux rouges aux
cinq étoiles jaunes à l’occasion de
ce genre de fêtes, il n’y a d’ailleurs
quasiment plus aucun drapeau
chinois dans Hongkong. Quel­
ques centaines de taxis patriotes
ont pour leur part organisé un dé­
filé sur plusieurs kilomètres pour
célébrer la fête nationale. Les célè­
bres feux d’artifice de Hongkong
ont également été annulés.
florence de changy

Parade militaire sur
la place Tiananmen,
lors du 70e anniversaire
de la République populaire
de Chine, le 1er octobre. THOMAS
PETER/REUTERS

Sous la direction
de Xi Jinping,
pas question de
porter le moindre
regard critique sur
les soixante-dix
années passées

Parmi les rares femmes invitées
dans ce cénacle, la télévision chi­
noise est passée très rapidement
sur Carrie Lam. La chef de l’exécu­
tif de Hongkong n’a en effet pas as­
sisté à la levée du drapeau chinois
dans sa ville ce mardi matin, car
elle se trouvait à Pékin, aux côtés
des dirigeants du Parti commu­
niste, un parti dont elle n’est pas
membre. Quitte à ulcérer un peu
plus les Hongkongais, qui dénon­
cent l’allégeance de Carrie Lam à
Pékin, cette présence a évidem­
ment comme objectif de rappeler
que Hongkong est une partie inté­
grante de la Chine. Un char de
Hongkong (mais aussi de Taïwan)
participait d’ailleurs à la parade.
Celle­ci, avec ses chars fleuris, avait
par moments un côté kitsch. Mais,
si l’on en croit les répétitions effec­
tuées durant les derniers week­
ends, le feu d’artifice prévu dans la
soirée sera grandiose. C’est aussi,
possiblement, à ce moment­là que
les Hongkongais pourraient lais­
ser exploser leur colère.
frédéric lemaître
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