Le Monde - 02.10.2019

(Michael S) #1

4 |international MERCREDI 2 OCTOBRE 2019


0123


ENTRETIEN


D


e retour de New York
où il a participé à l’As­
semblée générale des
Nations unies, le pre­
mier ministre soudanais, Abdal­
lah Hamdok, a été reçu lundi
30 septembre à l’Elysée par le pré­
sident français, Emmanuel Ma­
cron. Celui­ci a confirmé une aide
française de 60 millions d’euros


  • dont 15 millions très rapide­
    ment – destinée essentiellement
    aux populations les plus vulnéra­
    bles, et annoncé la tenue en
    France d’une conférence interna­
    tionale de mobilisation des
    bailleurs publics et privés interna­
    tionaux pour le Soudan.
    Dans un entretien au Monde, le
    premier ministre de transition
    explique compter sur l’aide de Pa­
    ris pour que soient levées les
    sanctions américaines qui as­
    phyxient son pays.


Pourquoi avoir choisi la France
pour votre premier voyage of­
ficiel plutôt que les Etats­Unis
ou les pays du Golfe?
La France est le pays qui mène la
campagne de soutien au Soudan.
Nous avons extrêmement appré­
cié le discours en faveur de notre
pays du président Emmanuel
Macron à l’Assemblée générale
des Nations unies à New York [le
25 septembre]. Deuxièmement, la
France est aujourd’hui le pays le
plus important sur la scène euro­
péenne. Son soutien est donc,
pour nous, déterminant afin de
mobiliser les pays non seulement
européens, mais également sur la
scène mondiale.

Quand espérez­vous que
les Etats­Unis vous retirent
de sa liste noire des « Etats
soutenant le terrorisme » sur
laquelle le Soudan est inscrit
depuis 1993 [et l’attentat
à la bombe qui a visé le
26 février 1993 la tour
nord du World Trade Center
faisant 6 morts et un millier
de blessés]?
J’attends des Etats­Unis qu’ils
lèvent leurs sanctions le plus tôt
possible. Nous en avons fait l’une
de nos priorités et, dans cet objec­
tif, fait des propositions. Nous
méritons d’être retiré de cette
liste. Je pense que les discussions
que nous avons eues avec nos
amis américains, le reste du
monde et le secrétaire général
des Nations unies sont très posi­
tives. En fait, tout le corpus inter­
national a demandé aux Etats­
Unis la levée des sanctions. Les

conditions sont maintenant réu­
nies pour atteindre cet objectif.
Elles l’étaient également hier...
Mais les contacts avec la partie
américaine sont très encoura­
geants, ils comprennent notre si­
tuation et qu’il n’y aura pas de
paix si l’économie ne repart pas.
Or, le retrait du Soudan de la liste
noire est la clé pour résoudre l’en­
semble des autres problèmes.

Quelles sont les conséquences
de ces sanctions?
L’économie soudanaise est to­
talement bloquée, asphyxiée.
Nous ne pouvons bouger dans
aucune direction. Nous ne pou­
vons pas progresser sur la ques­
tion de la dette, nous ne pouvons
pas convaincre les investisseurs
étrangers de venir tant que la
confiance n’est pas rétablie. Les
entreprises et le secteur bancaire
ont peur de tomber sous le coup
des sanctions américaines s’ils
traitent avec nous.

Lors de votre nomination,
vous avez dit que vous deviez
trouver 2 milliards de dollars
(1,8 milliard d’euros) pour éviter
les pénuries. Où en êtes­vous?

Nous avons un besoin urgent de
cet argent pour couvrir nos be­
soins essentiels à court terme (pé­
trole, céréales...). Mais, au­delà,
nous devons également reconsti­
tuer nos réserves de change, bâtir
des plans d’investissements à
moyen et long terme, relancer
nos exportations et nous espé­
rons que cela coïncide avec la le­
vée des sanctions. Cette recher­
che de fonds avance. Le président
Macron nous a promis [lundi] une
aide de 60 millions d’euros.

On est encore loin du compte...
D’autres pays, dont des pays du
Golfe, ont fait des promesses non
négligeables. C’est un premier pas

pour mobiliser d’autres fonds et
c’est essentiel pour faire face à
l’urgence dans laquelle nous nous
trouvons.

A ce propos, dans quel état
l’économie soudanaise se
trouve­t­elle?
Elle se trouve en très, très mau­
vais état... L’inflation est galo­
pante, notre monnaie est faible, il
y a des pénuries dans presque tous
les secteurs... En d’autres termes,
notre économie est en faillite, no­
tamment le secteur des exporta­
tions. Je vous donne un exemple :
nos recettes fiscales ne dépassent
pas 6 % du PIB, c’est un taux extrê­
mement bas. Il faudrait, pour s’en
sortir, être au moins à 15 %.
Mais nous sommes fermement
déterminés à restructurer notre
économie en profondeur. En com­
mençant par le secteur public, et
tout ce qui est lié au secteur de la
sécurité, à l’armée. Les bonnes en­
treprises qui font des bénéfices et
paient leurs taxes seront soute­
nues. Les autres seront fermées. Il
nous faut mettre en place un envi­
ronnement favorable pour le dé­
veloppement du secteur privé, c’est
essentiel pour créer de l’emploi.

Vous êtes allé récemment
au Soudan du Sud, pays avec
lequel subsistent un certain
nombre de problèmes depuis
son indépendance en 2011.
Comment comptez­vous
normaliser vos relations?
Le Soudan et le Soudan du Sud
ne forment qu’une seule et
même nation répartie en deux
Etats. L’histoire, les guerres nous
ont amenés dans cette situation.
Nous sommes frères et sœurs,
mais l’indépendance du Soudan
du Sud ne doit pas être remise en
question. Parallèlement, il ne
doit pas y avoir de limites aux
relations entre nos deux pays.
Il y a un intérêt mutuel pour que
cela fonctionne, que l’on résolve
la question des nombreux grou­
pes armés présents dans la
région. La paix, la stabilité, le
développement de nos relations
commerciales sont nos objectifs
communs.

Vous avez également sur
le territoire soudanais
des conflits armés non résolus.
Les groupes armés du Kordofan
du Sud, du Blue Nile, du Darfour
ont fait et font partie intégrante

En Afghanistan, Abdullah Abdullah revendique la victoire


Comme en 2014, le chef de l’exécutif n’a pas attendu les résultats officiels de la présidentielle et risque à nouveau de paralyser le pays


kaboul ­ envoyé spécial

L’


histoire ne se répète ja­
mais, sauf en Afghanis­
tan. L’actuel chef de l’exé­
cutif, Abdullah Abdullah, princi­
pal concurrent du président
afghan, Ashraf Ghani, à l’élection
présidentielle qui s’est tenue sa­
medi 28 septembre, a revendiqué,
lundi, la victoire sans attendre les
résultats officiels. En 2014, le
même avait affirmé détenir la
première position lors du dernier
scrutin présidentiel, déjà face à
M. Ghani, ce qui avait contraint
les Américains à imposer une
gouvernance à deux têtes condui­
sant à une paralysie institution­
nelle. Cinq ans plus tard, ce bis re­
petita menace d’aggraver plus en­
core les difficultés d’un pays en
guerre depuis dix­huit ans.
« Nous avons le plus grand nom­
bre de voix dans cette élection », a

déclaré M. Abdullah lors d’une
conférence de presse avant d’as­
surer « qu’il n’y aura pas de second
tour ». Il a ajouté qu’il formerait
son gouvernement avec les per­
sonnalités de son équipe de cam­
pagne. Par ailleurs, il a fait part de
son inquiétude de voir la com­
mission électorale indépendante
(IEC) prendre en compte les votes
exprimés sur papier et non par le
seul système biométrique. Inter­
rogé sur la situation identique vé­
cue en 2014, puis le compromis
fait avec M. Ghani pour diriger le
pays, il a assuré que, cette fois­ci, il
ne « réitérait pas ce sacrifice ».

« Marionnettes »
Les déclarations tonitruantes de
M. Abdullah ont rapidement fait
réagir l’IEC par la voix de l’un de
ses responsables, Habib Rahman
Nang, pour qui « aucun candidat
n’a le droit de se proclamer vain­

queur. Selon la loi, c’est l’IEC qui dé­
cide qui est le vainqueur ». Si une
part des données enregistrées
électroniquement a déjà pu être
acheminée vers le serveur central
de l’IEC à Kaboul (dans certaines
provinces, les réseaux de com­
munications ont été coupés par
les talibans), l’acheminement des
bulletins papier est en bonne
voie, selon l’IEC. Le scrutin a été
marqué par une participation qui
pourrait descendre sous les 30 %,
soit 2,1 millions de votants sur
9,6 millions d’inscrits.
Les observateurs internatio­
naux, l’ONU, ainsi que des chan­
celleries occidentales, ont salué,
pour leur part, les nets progrès en
termes d’organisation et de trans­
parence, le jour du vote. Les élec­
tions parlementaires, en octo­
bre 2018, ainsi que le scrutin prési­
dentiel de 2014, avaient été chao­
tiques. La forte abstention

s’expliquerait, selon les électeurs
venus dans les bureaux de vote,
par l’insécurité liée à la violence
talibane qui a redoublé depuis la
fin brutale, début septembre, des
négociations de paix entre Amé­
ricains et le mouvement insurgé,
à Doha. La défiance vis­à­vis des
dirigeants politiques serait un
autre facteur récurrent. Les auto­
rités ont relevé de nombreux pe­
tits incidents à travers le pays
mais assurent avoir déjoué les at­
taques d’envergure promises par
les insurgés.
Les propos de M. Abdullah,
dont c’est la troisième participa­
tion à une élection présiden­
tielle, sont lourds de conséquen­
ces. Ils sapent l’autorité de l’IEC,
qui s’est engagée à annoncer les
résultats préliminaires le 19 oc­
tobre et les définitifs, le 7 novem­
bre, après l’examen des plaintes.
Ils affaiblissent, dans le même

temps, la légitimité des institu­
tions afghanes qui devaient,
grâce à cette consultation, re­
trouver un poids politique perdu
lorsque les Etats­Unis ont ac­
cepté, au cours de l’été 2018, de
négocier directement avec les ta­
libans. Un choix qui avait margi­
nalisé le pouvoir de Kaboul, no­
tamment aux yeux des talibans,
qui qualifient le gouvernement
afghan de « marionnettes ».

La communauté internationale
craignait ce type de face­à­face
conflictuel entre M. Abdullah et
M. Ghani. Jeudi 26 septembre, peu
avant le vote, M. Abdullah avait
déjà jeté la suspicion sur le scrutin
en dénonçant, à l’avance, « de lar­
ges fraudes ». Le même jour, le
président Ghani avait assuré que
« son pays a besoin d’un président,
pas de deux » et s’il gagnait le
28 septembre, il n’accepterait plus
de gouvernement d’unité natio­
nale. Dimanche, l’ambassade
américaine à Kaboul avait encou­
ragé chacun à « attendre patiem­
ment les résultats, soumis à vérifi­
cation ». Lundi, Federica Moghe­
rini, la chef de la diplomatie euro­
péenne, a renchéri et « souhaité
des candidats qu’ils exercent leur
retenue, et attendent les résultats
préliminaires et finaux » de la
commission. Un vœu pieux.
jacques follorou

Le premier ministre du gouvernement de transition du Soudan, Abdallah Hamdok, à Paris, le 30 septembre. MICHAËL ZUMSTEIN POUR « LE MONDE »

« L’inflation est
galopante, notre
monnaie est faible,
il y a des pénuries
dans presque
tous les secteurs.
Notre économie
est en faillite »

LE  CONTEXTE


TRANSITION
Abdallah Hamdok a été investi
le 21 août premier ministre dans
le cadre du nouveau pouvoir
civil soudanais destiné à assurer
la stabilisation du pays après
la fin de la dictature du général
Omar Al-Bachir, en avril.
Economiste respecté, Abdallah
Hamdok devra se concentrer sur
trois priorités : établir clairement
son autorité face au Conseil
souverain, l’organe mixte
(civil et militaire) qui fait figure
d’exécutif ; s’attaquer à la struc-
ture de l’économie, en grande
partie contrôlée par des proches
ou des piliers de l’ancien régime,
et faire la paix avec les groupes
armés dans un délai de six mois.
Des élections pourraient être
organisées en 2022, fin prévue
de la transition.

« Les sanctions américaines asphyxient le Soudan »


Le dirigeant soudanais, Abdallah Hamdok, veut sortir de la liste noire des « Etats soutenant le terrorisme »


du mouvement pour le change­
ment. Nous sommes ensemble
et ils sont une partie de nous.
Donc nous discutons ensemble,
dans un esprit de bonne volonté
réciproque.

Vous avez été nommé premier
ministre pour une période
déterminée de transition.
Cela n’affaiblit­il pas votre
action?
Notre intention pendant toute
cette période de transition est de
créer un bon environnement,
une base pour construire un Sou­
dan démocratique. Et nous espé­
rons aboutir à l’organisation
d’une conférence constitution­
nelle qui en fournira le cadre. En
fait, nous semons les graines
d’un projet national émergent
pour lequel nous devons établir
les règles et aboutir à des élec­
tions libres hautement crédibles.
C’est notre rêve. Si on y parvient,
la question de savoir quelle per­
sonne dirige le pays n’aura plus
de sens dès lors qu’il s’appuiera
sur un projet répondant aux at­
tentes de la population.
propos recueillis par
christophe châtelot

« Aucun candidat
n’a le droit de
se proclamer
vainqueur »,
rappelle la
commission
électorale
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