Les Echos - 02.10.2019

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Credit Suisse resserre les rangs


autour de Tidjane Thiam


Jean-Jacques Franck
@Jean-Jacques-Franck
— Correspondant à Lausanne


Deux démissions, le directeur géné-
ral innocenté, un s uicide e t, au final,
une affaire rocambolesque, peut-
être close, mais qui aura terni la
réputation de Credit Suisse. Tel est
le bilan provisoire d’un scandale de
surveillance d’un ex-dirigeant qui a
mal tourné, et a obligé la présidence
de la banque helvétique à lancer
une enquête indépendante. Menée
par le cabinet d’avocats zurichois
Homberger, l’enquête conduite
tambour battant était devenue iné-
vitable depuis une altercation sur la
voie publique entre Iqbal Khan,
ancien directeur de la gestion de
fortune internationale de Credit
Suisse parti chez son rival UBS, et
une équipe de « détectives » qui le
filait, sans grandes précautions.
Très vite, le petit monde bancaire
zurichois s’est interrogé sur les rai-
sons de cette filature. Ainsi que sur
le nom de son mandataire. Les
médias suisses et le « Financial
Times » pointaient plusieurs dispu-
tes entre le patron de la banque,
Tidjane Thiam, et Iqbal Khan, pour
des motifs en partie extérieurs à la
banque : les deux hommes, voisins
dans la vie privée, auraient notam-
ment eu des q uerelles personnelles.
L’enquête devait répondre à plu-
sieurs questions. Qui a ordonné la
surveillance d’Iqbal Khan? Quel
était le périmètre de cette sur-
veillance? Pourquoi était-il sur-
veillé? Iqbal Khan a-t-il violé ses
obligations contractuelles à l’égard
de Credit Suisse, lui qui a quitté son
poste le 29 août pour partir chez le
grand concurrent UBS?


« Protéger les intérêts
de la banque »
L’investigation conclut que c’est le
directeur des opérations (COO),
Pierre-Olivier Bouée, un très pro-
che de Tidjane Thiam, qui a
ordonné au responsable de la sécu-
rité de la banque la surveillance
d’Iqbal Khan. Une décision prise de
sa p ropre initiative « afin de protéger
les intérêts de la banque », sans en
référer au directeur général ou à un
quelconque autre membre de la
direction générale. Son inquiétude :
qu’Iqbal Khan emmène chez UBS
une partie de ses équipes.
Selon la banque, Pierre-Olivier
Bouée a assumé sa responsabilité
dans cette affaire et a présenté sa
démission au conseil d’administra-


BANQUE


Tidjane Thiam, directeur général de Credit Suisse, est soutenu par deux investisseurs importants, Harris
Associates, qui possède 8,1 % de la banque, et Eminence Capital, qui pèse 2 %. Photo Stefan Wermuth/Bloomberg

Thibaut Madelin
@ThibautMadelin

Il devait être accueilli mardi
comme un héros chez UBS.
Iqbal Khan, l’ex-patron de la ges-
tion de fortune internationale
de Credit Suisse, est finalement
devenu un sujet de malaise pour
la banque helvétique, alors qu’il
figure au cœur d’un thriller
financier qui menace d’enta-
cher la réputation de la place
financière suisse. Surdoué de la
finance, Iqbal Khan a claqué la
porte de Credit Suisse en juillet
après un clash avec Tidjane
Thiam, dont il était perçu
comme le dauphin. Il a rejoint
UBS le 1er octobre comme co-
président de la gestion de for-
tune, deux semaines après avoir
surpris des détectives à ses
trousses mandatés par son ex-
employeur.

A l’origine de l’affaire : la
crainte par Credit Suisse de voir
son ex-banquier vedette emme-
ner une partie de son équipe
dans un contexte de concur-
rence accrue et de transforma-
tion du métier de la gestion de
fortune. Mais aussi l’affronte-
ment entre deux hommes répu-
tés autant pour leur talent que
leur ego. C’est pourtant le patron
franco-ivoirien qui a promu le
banquier de parents suisse et
pakistanais à son poste lorsqu’il
a pris les rênes du groupe en


  1. Iqbal Khan, ancien consul-
    tant chez Ernst & Young, était
    arrivé chez Credit Suisse deux
    ans plus tôt, comme directeur
    financier de la division de ges-
    tion de fortune.
    En trois ans, le banquier âgé
    de 43 ans est parvenu à augmen-
    ter les revenus et les profits de sa
    division, devenue un axe clef de
    la stratégie de Tidjane Thiam
    (57 ans), décidé à réduire la voi-
    lure dans la banque d’investisse-
    ment et à renforcer l’empreinte
    du groupe dans la banque pri-
    vée et la gestion de fortune.


Affaires privées
La raison de la dispute entre les
deux hommes reste une
énigme. Selon la presse suisse,
leur relation aurait tourné au
vinaigre depuis d’Iqbal Khan a
emménagé il y a deux ans dans
une maison voisine de celle de
Tidjane Thiam et dont le ter-
rain appartenait à la famille de
sa femme. Leur rivalité aurait
pris une tournure personnelle
lors d’une fête privée chez le
patron franco-ivoirien, durant
laquelle Iqbal Khan se serait
disputé avec la compagne du
dirigeant au sujet de l’aména-
gement du jardin.n

L’ex-dirigeant
de la gestion de fortune
de Credit Suisse était
perçu comme le dauphin
de Tidjane Thiam.

Iqbal Khan,


le banquier


star devenu


objet


de filature


Il a rejoint UBS
mardi sur fond
d’affaire
d’espionnage.

tion, « qui l’a acceptée avec effet
immédiat ». Idem pour le responsa-
ble de la sécurité. « Il n’y a aucune
indication que le CEO ait approuvé la
surveillance ou était au courant de
cette surveillance avant le 18 septem-
bre, quand la décision a été prise de
l’arrêter », précise le groupe dans
un communiqué.

Questions sans réponses
Credit Suisse resserre donc les rangs
autour de Tidjane Thiam, soutenu
par deux investisseurs importants,
Harris Associates, qui possède 8,1 %
de la banque, et Eminence Capital,
qui pèse 2 %. « Cela ne suffit pas à
mettre quelqu’un dehors », a indiqué
le premier au « Financial Times ».
Mardi, le cours de la banque a reculé

de 2 %. Reste qu’il subsiste des ques-
tions sans réponses. Pour quelle rai-
son un détective impliqué dans la
surveillance s’est-il suicidé, mardi
dernier, d’une balle dans la tête?
Selon le site spécialisé Inside Parade-
platz, qui a révélé le drame, l’homme
aurait craint pour sa réputation
après l’échec de l’opération alors que
son identité aurait été diffusée
auprès de certains journalistes.
« Notre réputation a souffert », a
reconnu Urs Rohner, président du
conseil de Credit Suisse, lors d’une
conférence de presse, tout en réaf-
firmant sa confiance vis-à-vis de
Tidjane Thiam. S’il a sauvé sa posi-
tion, que certains voyaient déjà fra-
gilisée en Suisse, où le patron fran-
co-ivoirien est souvent critiqué, ce
dernier perd son bras droit. Pierre-
Olivier Bouée, le frère de Charles-
Edouard Bouée, qui a démissionné
en juin de la direction du cabinet de
conseil Roland Berger, l’avait fidèle-
ment suivi à chaque étape de sa car-
rière ces dernières années. L’énar-
que et ex-consultant de McKinsey
l’avait rejoint chez l’assureur britan-
nique Aviva, puis chez Prudential et
enfin chez Credit Suisse.

(


Lire « Crible »
Page 36

lEmpêtrée dans une affaire rocam-


bolesque d’espionnage sur fond


de querelle entre certains dirigeants,


la banque suisse se débarrasse


de son directeur des opérations.


lPierre-Olivier Bouée était très


proche de Tidjane Thiam, le patron.


« Notre réputation
a souffert », a
reconnu Urs Rohner,
président du conseil
de Credit Suisse, lors
d’une conférence
de presse, tout
en réaffirmant sa
confiance vis-à-vis
de Tidjane Thiam.

Anne Drif
@AnnDrif

Si tout s’était passé comme
prévu, l’intermédiaire « T. », comme
l’appelle la presse suisse, aurait dû
rendre son rapport à son comman-
ditaire, avec les photos de sa cible,
Iqbal Kahn, sur les gradins d’un ter-
rain de football. Au pire, Credit
Suisse aurait accusé son ex-patron
de la gestion de fortune internatio-
nale de lui livrer une concurrence
déloyale chez UBS, et peut-être d’ali-
menter la querelle de voisinage qui a
éclaté entre l’ancien salarié de la ban-
que et son ex-patron Tidjane Thiam.
Mais le « sous-marin », la voiture
banalisée utilisée par le cabinet
d’investigation Investigo diligenté
par « T. », a été « cramé », comme o n
dit dans le jargon. Autrement dit,
découvert par sa cible. Et l’affaire a
tourné au drame avec le suicide de
cet intermédiaire entre Credit
Suisse et Investigo, dévoilé mardi.
« C’étaient clairement des amateurs.
La première règle si vous êtes inter-
cepté en train de filer quelqu’un, c’est
de disparaître! » lâchent, unanimes,
des acteurs du secteur. Un réflexe
qui a visiblement échappé aux hom-
mes diligentés par Investigo.

« Si vous êtes découvert, c’est la
mort professionnelle assurée. Sur la
place d e Genève, tout le monde s e con-
naît et grouille d’anciens des services
de renseignement de tous les pays... »,
témoigne un expert suisse. Le res-
ponsable sûreté d’un grand groupe
appuie : « Dans ce marché, on trouve
tout et n’importe quoi, des cabinets
très professionnels, comme des offici-
nes prêtes à tout pour survivre et
décrocher des contrats. »
Surtout quand la concurrence
explose. Selon un enquêteur hel-
vète, le nombre de cabinets d’inves-
tigation en Suisse a bondi à 250 en
quelques années, « et encore, beau-
coup se cachent derrière une façade
d’enquêtes de conformité pour le sec-
teur financier ». Une banque doit en
effet s ’assurer q ue ses c lients ne sont
pas soupçonnés de blanchiment
d’argent ou de financement du ter-
rorisme. Dans ce cas, « accepter un

mandat à 15.000 ou 20.000 francs
suisses par semaine est plutôt ten-
tant », ajoute-t-il.

« Ça fait désordre »
La profession a les coudées fran-
ches. « Le secteur n’est réglementé
que dans les cantons de Genève et
Neuchâtel », affirme un expert,
donc pas à Zurich. Mais pour un
autre, dans la pratique, il n’existe
aucun cadre. Or les enjeux finan-
ciers sont énormes, « une banque
moyenne n’acceptant pas de clients
fortunés d’Afrique ou d’Asie en des-
sous de quelques dizaines de mil-
lions », ajoute-t-il.
Un climat exacerbé par les diffi-
cultés des banques privées. « Dans
les années 200 0, on en comptait plus
de 20, aujourd’hui elles sont moins de
10 », dit un enquêteur. Sur le fond, le
mandat accordé par des responsa-
bles de Credit Suisse n’étonne pas,
voire est jugé plutôt légitime.
« Compte tenu des risques de pertes
sur ce type de clients très fortunés, et
des fortes pressions qui pèsent sur les
banques, l’enjeu est majeur », dit un
acteur. C ertes, surveiller ses salariés,
« ça fait désordre », dit un autre, mais
en soi ces missions ne sont pas inter-
dites si les motifs sont légitimes. Ce
n’est d’ailleurs pas une première. En
2009, Deutsche Bank avait espionné
des membres de son conseil d’admi-
nistration, et l’ancien président de
BBVA est soupçonné d’avoir fait
mettre sur écoute des cadres de la
banque, des journalistes ou des res-
ponsables politiques espagnols.n

En Suisse, « des cabinets d’investigation


prêts à tout pour survivre »


La filature commandée
par Credit Suisse contre
son ancien dirigeant Iqbal
Khan a révélé les pratiques
douteuses du monde
de l’espionnage suisse,
en pleine expansion.

« C’étaient
clairement
des amateurs.
La première règle
si vous êtes
intercepté en train
de filer quelqu’un,
c’est de
disparaître! »
Des acteurs du secteur
unanimes

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Mercredi 2 octobre 2019Les Echos

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