Les Echos - 02.10.2019

(Brent) #1
grande nation. R ien ne peut empêcher
la nation et le peuple chinois d’aller de
l’avant », a lancé Xi Jinping, du haut
de la porte Tiananmen, sur laquelle
est accroché le portrait de Mao Tsé-
toung. Et d’appeler à l’« unification
complète » du pays, c’est-à-dire à
parachever l’œuvre d u Grand Timo-
nier en ramenant Taïwan dans le
giron de la Chine.

Faire jeu égal
Après trois décennies de priorité au
développement économique, la
Chine de Xi Jinping a mis l’accent sur
les préoccupations sécuritaires à
coups de dizaines de milliards de
yuans engloutis dans le budget de la
défense. « Pays prospère, armée puis-
sante », avait-il lancé en ouvrant en
2015 un vaste chantier de restructu-
ration et de modernisation de
l’armée chinoise visant à faire jeu
égal avec l’armée américaine en


  1. « Xi Jinping avait à cœur de
    montrer les premiers résultats de sa
    réforme », commente un observa-
    teur avisé à Pékin.
    « Salut à vous, camarades! », a
    lancé l’empereur rouge, engoncé
    dans u n costume Mao sombre, p as-
    sant en revue les troupes debout
    dans sa luxueuse berline décapota-
    ble Hongqi (« drapeau rouge »).
    « Camarades, merci pour votre tra-
    vail acharné! », a répété Xi Jinping
    devant les différentes unités, toutes
    placées sous l’autorité du Parti
    communiste.
    Le défilé avait vocation à illustrer
    la modernisation de l’APL, la plus
    grosse armée du monde. Pour cela,
    ont été exhibés pour la première
    fois des missiles intercontinentaux
    DF-41. « Avec ce missile mobile à pro-
    pulsion solide, pouvant emporter
    plusieurs têtes nucléaires et des a ides
    à la pénétration sur l’ensemble du


territoire américain, la Chine veut
montrer aux Etats-Unis que sa dis-
suasion est de plus en plus crédible et
que la Chine est réellement une
grande puissance », explique
Antoine Bondaz, chargé de recher-
che à la Fondation pour la recher-
che stratégique. Autre armement
particulièrement repéré par les
experts militaires étrangers, les
missiles DF-17 et leurs planeurs
hypersoniques. « Tous les pays y
travaillent, mais la Chine est le pre-
mier à les déployer officiellement,
mettant en scène son avance sur les
Russes et les Américains », poursuit
Antoine Bondaz.

La fierté retrouvée
Avec cette démonstration de force,
Xi Jinping entendait à la fois mettre
au pas les militaires récalcitrants à la
réforme de l’APL, montrer aux
Etats-Unis et à Taïwan le bond tech-

nologique de son armée et assouvir
la fierté retrouvée des Chinois
d’avoir un outil de défense flambant
neuf. « Je suis si fier d’être chinois »,
s’enflammait un internaute.
« Joyeux anniversaire ma chère
patrie! », s’exclamait un autre.
Environ 100.000 étudiants, éco-
liers et travailleurs ont ensuite parti-
cipé à une parade où les c hars allégo-
riques vantaient les g randes
réalisations de la Chine commu-
niste. En soirée, le ciel de Pékin
devait s’embraser pour un grand feu
d’artifice tandis que, tout au sud de la
Chine, les cocktails Molotov lancés
par des manifestants enflammaient
des rues de Hong Kong, en proie à de
violents affrontements avec les for-
ces de l’ordre.

(


Lire La Chronique
d’Edouard Tétreau
Page 10

lL’Armée populaire de libération (APL) a fait une démonstration de force mardi à Pékin, avec le défilé de centaines


de chars, de drones et de missiles de la toute dernière génération le long de l’avenue Chang’an.


lLe message sans ambiguïté est destiné aux Etats-Unis et à Taïwan.


La démonstration de force de Pékin

Frédéric Schaeffer
@fr_schaeffer
—Correspondant à Pékin


La Chine avait promis un défilé
militaire record à l’occasion du
70 e anniversaire du régime commu-
niste. Elle n’a pas été prise en
défaut. Crainte par ses voisins asiati-
ques, scrutée par les puissances
occidentales, l’A rmée populaire de
libération (APL) a montré ses mus-
cles mardi à Pékin, faisant défiler,
quatre-vingts minutes durant, des
centaines de chars, des nouveaux
missiles, d es d rones e t autres le long
de l’avenue Chang’an tandis que
160 avions fendaient un ciel plombé
par la pollution, seul imprévu d’un
show ultra-millimétré. « Rien ne
peut ébranler les fondations de notre


ASIE


« L’ investissement de la Chine dans sa puissance militaire lui ouvre de


L


a mission première de
l’Armée populaire de libéra-
tion est d’assurer la stabilité
du régime, rappelle Mathieu Duchâ-
tel, directeur du programme Asie de
l’Institut Montaigne, alors qu’une
parade militaire monstre s’est tenue
mardi à Pékin pour les 70 ans du
régime communiste. Xi Jinping
appelle à construire une armée de
« classe mondiale » en 2049, année
du centenaire du régime.


Quel rôle occupe l’Armée
populaire de libération
sous Xi Jinping?
L’Armée populaire de libération
(APL) est, depuis toujours, l’armée
du Parti et non celle de la nation. Sa
mission première est d’assurer la
stabilité du régime. Xi Jinping, qui a
lancé une grande réforme de l’APL
en 2015, a fixé le cap en appelant à
construire une armée de « classe
mondiale » en 2049, année du cen-
tenaire du régime. Cela veut dire
qu’elle vise l a parité s tratégique avec
les Etats-Unis, notamment grâce à
une dissuasion nucléaire crédible.
Un nouvel équilibre des forces se
dessine. En matière industrielle, on
voit que la Chine cherche à produire
des technologies de rupture pour
conquérir un avantage stratégique
décisif, par exemple en investissant

des milliards dans l’intelligence
artificielle à usage militaire.

La Chine est-elle déjà une
grande puissance militaire?
On est au-delà de l’objectif de Deng
Xiaoping qui consistait à créer des
« poches d’excellence », ce qui est
déjà le cas pour l’industrie missi-
lière. La Chine a le deuxième budget
militaire au monde, de l’ordre de
175 milliards de dollars, sans même
tenir compte du budget en R&D et
de celui consacré à la dissuasion
nucléaire. Il est encore loin de celui
des Etats-Unis mais progresse cha-
que année fortement et dépasse lar-
gement celui des voisins asiatiques.
La Chine est clairement une puis-
sance dominante en Asie orientale
et ne compte pas s’arrêter là. L’armée
chinoise fait des progrès considéra-

jection de puissance ; ses sous-ma-
rins sont bruyants et ses capacités
de lutte anti-sous-marine très limi-
tées, ce qui lui pose des problèmes
en matière de dissuasion nucléaire
et d’opérations navales ; sa capacité
à mener des opérations conjointes
entre ses d ifférentes armées
demeure un immense défi et accuse
un retard par rapport aux Etats-
Unis et les forces de l’Otan ; l’armée
de terre reste encore trop domi-
nante par rapport a ux autres forces.

L’armée semble plus offensive
que par le passé.
Y a-t-il un changement
de stratégie avec Xi Jinping?
L’armée chinoise est moins sur la
défensive qu’auparavant et montre
ses forces à ses voisins, que cela soit
au large de Taïwan, du Japon ou en

MATHIEU
DUCHÂTEL
Directeur du
programme Asie de
l’Institut Montaigne

Il a dit


« La Chine
cherche à imposer
un contrôle
administratif effectif
en mer de Chine
du Sud. »

« Rien ne peut
ébranler
les fondations
de notre grande
nation.
Rien ne peut
empêcher
la nation et le
peuple chinois
d’aller de l’avant. »
XI JINPING
Président de la république
populaire de Chine

bles : elle est sur tous les fronts,
comme en témoigne la multiplicité
de ses programmes d’équipement.
Les progrès sont particulièrement
impressionnants dans la marine, où
l’armée n’est plus seulement là pour
défendre les côtes chinoises mais
pour être le porte-drapeau de la
puissance chinoise à une échelle
globale. L’investissement de la Chine
dans sa puissance militaire lui ouvre
des options en politique étrangère et
transforme son rapport de force
avec tous les pays de la planète.

Où se situent ses points faibles?
La Chine est une puissance mili-
taire de premier rang avec des vul-
nérabilités importantes. Elle cons-
truit des porte-avions mais n’a pas
de groupe aéronaval opérationnel,
ce qui limite sérieusement sa pro-

DR

MONDE


Mercredi 2 octobre 2019Les Echos

Free download pdf