- D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1510 du 10 au 16 octobre 2019
amériques
—Semana Bogotá
V
ingt-six ans après la mort
de Pablo Escobar [en
1993], les hippopotames
échappés de son zoo privé conti-
nuent à causer des problèmes en
Colombie. À en croire le biologiste
Germán Jiménez, l’espèce prolifère
de plus en plus dans le Magdalena
Medio [vallée inter andine, située
à cheval sur plusieurs départe-
ments]. Or il n’existe pour l’ins-
tant aucune stratégie pour limiter
leur reproduction.
Les hippopotames sont arrivés
dans le pays dans les années 1980,
quand le trafiquant de drogue a
voulu les ajouter à sa ménagerie
personnelle, située dans le munici-
pio [subdivision administrative du
département] de Puerto Triunfo,
à 165 kilomètres de Medellín. À
cette occasion, il a fait venir trois
femelles et un mâle, qui, après
sa mort, allaient devenir l’une
des attractions du parc à thème
construit sur le site de l’Hacienda
Nápoles [une propriété de 3 000
hectares qui appartenait à Pablo
E scob a r].
Toutefois, au début de 2006,
alors que ces animaux étaient
censés être en captivité, des
rumeurs ont commencé à circuler
selon lesquelles des habitants des
environs en avaient repéré le long
du fleuve Magdalena. La situation
a attiré l’attention des scienti-
fiques et des autorités chargées
de la protection de l’environne-
ment, car cette espèce originaire
d’Afrique cause d’importants
dégâts aux écosystèmes.
Depuis lors, un groupe impor-
tant de chercheurs, colombiens
et étrangers, se sont penchés
sur la question, notamment le
biologiste David Echeverri, de
la Société autonome régionale
des bassins du Negro et du Nare
(Cornare), Elizabeth Anderson,
codirectrice du département de
la terre et de l’environnement à
l’Université internationale de
Floride, et le biologiste Germán
Jiménez.
“Ces animaux, si lourds à l’âge
adulte, piétinent beaucoup la terre, ils
altèrent les sols et consomment 70 ou
80 kilos d’herbe par tête, explique
Jiménez à Semana. Ce sont de véri-
tables tondeuses.”
D’après certaines études, les
poissons, les plantes et toutes
sortes d’espèces propres au
Magdalena Medio sont tou-
chés, notamment les caïmans,
les lamantins ou les loutres, qui
vivent dans les zones humides et
les marécages où s’implantent les
hippopotames.
On sait qu’en Afrique de nom-
breux poissons meurent à cause
de la pollution provoquée par les
déjections de ces animaux. “Ils
défèquent beaucoup dans les fleuves
et les marigots où ils vivent, et cela
peut priver les poissons d’oxygène”,
souligne le biologiste.
L’impact de ces hippopo-
tames sur l’environnement
en Colombie reste diffi-
cile à évaluer : on ne sait
pas encore précisément
quelles espèces ont été
affectées par la pré-
sence de ces gigan-
tesques animaux
dans les zones
humides et les
marécages.
ces 60 ou 80 animaux pourraient
de ve nir 400”, assure le spécialiste.
“Ils vivent dans des conditions
proches de ce qu’ils connaissaient
en Afrique, à une température opti-
male, poursuit-il. À ceci près qu’ils
n’ont pas de prédateurs naturels, si
bien que c’est un paradis pour eux.”
En effet, quand un hippopotame
adulte n’a pas de concurrence,
son espérance de vie et, partant,
sa capacité de reproduction sont
très élevées.
Les projections concernant leur
croissance et les zones qui seront
les plus touchées seront présen-
tées en détail à la fin de l’année
dans la revue Oryx, une publi-
cation britannique internatio-
nale des Presses universitaires de
Cambridge. Y sera publiée notam-
ment une fiche officielle sur l’hip-
popotame qui habite en Colombie,
le risque d’invasion et les stratégies
possibles pour gérer ces animaux.
Ce point est l’un des plus com-
plexes, selon Jiménez, car les hip-
popotames sont des animaux dont
l’entretien coûte très cher. La
Cornare a mis en place une zone
de gestion près du Parque Nápoles
il y a trois ans, pour commencer à
limiter l’invasion de cette espèce
exotique [allochtone], en particu-
lier des plus jeunes, dans le but de
les réinstaller ailleurs.
Problème national. Depuis que
la présence de ces animaux dans
des zones forestières a été signa-
lée, un débat a lieu pour savoir qui
devra supporter les coûts et com-
ment gérer au mieux ces pachy-
dermes. Car en définitive, ces
hippopotames ne devraient pas
être en liberté dans un milieu
naturel qui n’est pas le leur, étant
donné les dommages qu’ils causent
à d’autres espèces et aux écosys-
tèmes. Ainsi, stériliser ces animaux
en utilisant des médicaments peut
coûter plus de 20 millions de pesos
Les premiers éléments appor-
tés par les scientifiques à propos
de cette zone sont une série de
1 500 enquêtes préliminaires
menées auprès de la population
pour évaluer le nombre d’hip-
popotames et leurs interactions
avec les hommes. Mais plusieurs
autres travaux de recherche sont
en cours, en particulier une étude
d’impact environnemental, réa-
lisée par plusieurs universités
(Javeriana, université d’Antio-
quia, UPTC, San Diego), afin
de déterminer comment les hip-
popotames déplacent la faune
autochtone.
Une autre étude est réalisée
par l’Institut Humboldt, qui per-
mettra de savoir où sont situés
les animaux et de recueillir des
données techniques sur l’espèce.
“Ce que nous disent les gens dans
les enquêtes, c’est que la population
de ces hippopotames est en hausse,
souligne Jiménez. Leur nombre
varierait entre 60 et 80.” Ce qui est
préoccupant, c’est qu’ils se repro-
duiraient plus vite en Colombie
[que dans leur milieu naturel],
car ils atteignent plus rapide-
ment qu’en Afrique leur matu-
rité sexuelle. Ainsi, “d’ici à 2050,
[5 400 euros] par animal. Cela sup-
pose toute une logistique pour aller
chercher l’animal, le capturer et
monter un hôpital de campagne.
La chasse et l’abattage sont tota-
lement exclus. En 2009, quand
Pepe, le seul hippopotame mâle de
Pablo Escobar, a été abattu pour
éviter qu’il ne détériore les cultures
ou qu’il ne blesse quelqu’un après
s’être échappé [de l’Hacienda
Nápoles], les écologistes ont fait
passer une loi interdisant la chasse
des hippopotames en Colombie.
Les renvoyer sur leur conti-
nent d’origine serait encore plus
absurde. Outre le coût, du fait que
ces spécimens ont quitté l’Afrique
depuis longtemps, leur patrimoine
génétique a changé et cela pour-
rait entraîner des risques pour les
hippopotames africains.
Pour Jiménez et les autres
experts qui travaillent sur cette
question, la prolifération de ces
hippopotames dans le Magdalena
Medio devrait être considérée
comme un problème national, et
plus seulement local. “On n’en parle
aux informations que lorsque des
habitants en croisent dans Doradal
[un village de la région], les filment,
et que cela devient amusant, com-
mente-t-il. Mais s’ils se sont dépla-
cés sur des distances comprises entre
70 et 100 kilomètres, les autorités
doivent intervenir de manière plus
énergique.”
Constituent-ils un danger pour
la population? Jiménez affirme
qu’en plus de trente ans aucun
accident n’a été signalé. Mais dans
un accès de fureur, ils peuvent se
jeter sur quelqu’un et le tuer. “Dans
les villages, nous avons observé que
des enfants les toréent, s’approchent
d’eux et même si ces animaux ne
prennent pas la décision de sortir de
l’eau, ils se montrent agressifs.”
Toujours selon Jiménez, ces
animaux défendent farou-
chement leur territoire, et
sous le coup de la colère
ils peuvent atteindre 25
à 30 km/h. Leurs mor-
sures peuvent provoquer des
blessures très graves, parfois
mortelles. Ceux qui les aper-
çoivent devraient donc se tenir
sur leurs gardes.—
Publié le 2 octobre
Colombie. Les
encombrants hippos
de Pablo Escobar
Le narcotrafiquant affectionnait les animaux exotiques et avait créé un zoo
dans sa propriété. Faute d’avoir bien géré cet héritage, la Colombie est
aujourd’hui encombrée par une population d’hippopotames qui a proliféré.
Il n’existe aucune
stratégie pour limiter
leur reproduction.
Dans un accès
de fureur, ils peuvent
se jeter sur
quelqu’un et le tuer.
↙ Sur la pancarte : Merci de ne pas donner à
manger aux animaux. Dessin de Lauzan, Chili.