Courrier international — no 1510 du 10 au 16 octobre 2019 33
de ses succès a lieu en dépit d’eux. Et rien
– pas même son intronisation dans le club le
plus select des États-Unis – ne paraît apai-
ser sa crainte qu’il existe un club encore plus
fermé et secret, où ses ennemis complotent
pour qu’il n’y reste pas.
Cette étrange anxiété liée à son statut de pré-
sident ronge Trump, même quand il a l’avan-
tage. Après son investiture, il a longtemps été
obsédé par la taille de la foule qui s’était dépla-
cée pour la cérémonie. Et à l’approche du cen-
tième jour de son mandat, Trump a sommé
les conseillers de la Maison-Blanche d’inven-
ter à la dernière minute une réussite législa-
tive pour qu’il puisse la citer.Trump sait rebondir. Au fil de son mandat,
les victoires sont devenues plus rares, tandis
que la désapprobation s’est faite de plus en plus
bruyante. Malgré tout, pour Trump, la menace
d’une destitution est un nouveau jalon établi
par ses détracteurs, et on peut supposer que
son sentiment d’injustice n’en sera que ren-
forcé. Si l’on se fie à l’histoire, les Américains
peuvent s’attendre à un comportement encore
plus imprévisible de la part d’un
président déjà sujet à l’instabilité.
Mais cette instabilité ne signi-
fie pas forcément qu’il ne sera
pas réélu en 2020. Trump tire
une grande partie de sa réussite
politique de sa capacité à tra-
duire des décennies d’affronts
personnels en un message populiste. Il a le
chic pour transformer les vexations infligées
par “les élites” en cris de ralliement auprès
de ses sympathisants. Et il semblerait que les
équipes chargées de sa campagne de réélec-
tion cherchent à tirer parti des inquiétudes du
président liées à sa procédure de destitution.
Le jour même de l’annonce par les démo-
crates de l’ouverture de leur enquête, Trump
a publié sur Twitter une vidéo où plusieurs
grandes figures du Parti démocrate parlaient
de destitution. À la fin de ce montage habile,
l’écran devient noir et un message en lettres
capitales apparaît :
“PENDANT QUE LES DEMOCRATES
CHERCHENT UNIQUEMENT À BATAILLER
CONTRE TRUMP, TRUMP SE BAT POUR
VOUS.”
—McKay Coppins
Publié le 27 septembre—The Atlantic (e x t r a i t s)
Washing tonD
epuis l’éclatement de la crise politique la
plus grave de son mandat, Donald Trump
semble se complaire chaque jour davan-
tage dans son supposé statut de victime.
Sur Twitter – principale arène où il
s’apitoie sur son sort –, le président amé-
ricain fulmine en continu contre les démo-
crates de la Chambre des représentants. Trump
leur reproche, entre autres, de se livrer à une
“chasse aux sorcières”, une “arnaque” et une
campagne de “harcèlement”.
Trump a aussi déclaré qu’“aucun président
dans l’histoire du pays n’[avait] jamais été aussi
maltraité” que lui. Le locataire de la Maison-
Blanche exprime ici une facette fondamentale
de son identité, et il est probable qu’elle guide
son comportement tout au long de la bataille
sur son éventuelle destitution.
Si l’on en croit Trump lui-même, il a depuis
toujours été perpétuellement assiégé par une
cabale de jaloux déterminés à le détruire. Le
complot de ces saboteurs a pris différentes
formes au cours de sa carrière. À
l’époque où, héritier d’un empire
immobilier dans le Queens, il
espérait réussir à Manhattan,
les méchants étaient “l’aristo-
cratie” méprisante de la ville, qui
ne l’invitait pas à ses soirées et se
moquait de ses exubérances. Plus
tard, c’est devenu les banquiers qui refusaient
de lui prêter de l’argent, les journalistes qui se
moquaient de ses petites mains et les républi-
cains qui ont refusé de soutenir sa candida-
ture aux primaires de 2016. Sans oublier les
bureaucrates du deep state (l’État dans l’État,
lire page suivante) qui tentent aujourd’hui de
saboter son gouvernement.
Ces gens qui le dénigrent occupent une
grande place dans l’imagination de Trump.
Chaque échec qu’il subit est leur faute ; chacunUn art consommé
de la victimisation
Tout au long de sa carrière, Trump a donné dans l’auto-apitoiement
et dénoncé des cabales visant à lui nuire. La procédure
en destitution n’est, pour le locataire de la Maison-Blanche,
qu’un complot supplémentaire ourdi contre lui.À en croire Trump,
il a depuis Toujours
éTé assiégé par une cabale
de jaloux déTerminés
À le déTruire.la “mafia” de trump
Sur la couverture du New Yorker
daté du 7 octobre, on peut voir
Trump et son avocat personnel, Rudy
Giuliani, jeter l’Oncle Sam par-dessus
bord comme dans un crime mafieux.“attrape-moi si tu peux”
C’est un Trump défiant qui figure
à la une du magazine Newsweek
daté du 18 octobre.un président acculé
Pour le magazine américain Time,
Trump s’est lui-même mis dans les
“beaux draps” de l’impeachment et
se retrouve aujourd’hui dos au mur.À la une
le stratège sourCe
the atlantic
Washington, États-Unis
Mensuel, 462 000 ex.
theatlantic. com
Cette vénérable
publication, née
en 1857, où écrivent
les plumes les plus
prestigieuses du
moment, s’est donné
pour mission d’être
le porte-parole
de l’idée américaine.
Depuis la publication
des premiers textes
de Mark Twain
aux reportages
de guerre de
Nathaniel Hawthorne,
le titre poursuit
toujours cet idéal.← “Je suis un escroc”.
Dessin de Kevin Siers
paru dans The
Charlotte Observer,
États-Unis.cagle cartoons