Courrier International - 10.10.2019

(Brent) #1

  1. À LA UNE Courrier international — no 1510 du 10 au 16 octobre 2019


sUr NotrE sitE

courrierinternational.com

Le mot “impeachment”
est confus pour nous,
mais aussi pour les
Américains. The Wall
Street Journal a donc
fait le point pour
ses lecteurs sur
ce mot dérivé du latin,
et désormais utilisé
avec l’émoji pêche
(peach, en anglais).
Le mot du jour :
“impeachment”,
un article à lire
sur notre site.

—Los Angeles Times (e x t r a i t s) Los Angeles

D


epuis presque trois ans, le président Trump
essaie d’imposer aux hauts fonctionnaires
de l’administration fédérale ses caprices et
ses exigences, n’hésitant pas à se débarras-
ser des réfractaires aux plus hauts éche-
lons, tout en façonnant un cabinet capable
de satisfaire ses obsessions et ses priorités. Le
signalement du lanceur d’alerte qui a contribué
à déclencher la tempête de la destitution montre
bien que Trump n’a pas encore gagné la partie.
Et certains des hauts fonctionnaires qui assurent
le bon fonctionnement du gouvernement – au
sein des instances chargées de faire respecter la
loi, des agences de renseignement et ailleurs, ce
que Trump appelle péjorativement le “deep state”
[l’État dans l’État] – n’ont pas l’inten-
tion de le laisser faire.
Il n’y a que le mandat de Trump qui
ait été marqué par autant de fuites pro-
venant de la Maison-Blanche, par une
enquête de près de deux ans diligen-
tée par un procureur spécial [Robert
Mueller, chargé de l’enquête sur l’in-
gérence russe dans la présidentielle de 2016] et
de nombreux revers devant les tribunaux fédé-
raux sur des sujets chers au président, notam-
ment l’immigration et l’environnement.
Mais le lanceur d’alerte qui a allumé la mèche
de l’impeachment en exposant les agissements

troubles de Trump avec l’Ukraine a utilisé un
procédé auquel le président ne s’était encore
jamais heurté. “Il y a une différence entre faire
fuiter des informations dans les médias et se lancer
dans un processus légal : cela oblige le gouvernement
à ne pas rester les bras croisés”, explique Donald
Moynihan, professeur en politique publique à
l’université de Georgetown.
Le lanceur d’alerte, apparemment un agent de
la CIA, a contacté au départ un membre de la
commission du renseignement de la Chambre des
représentants pour savoir ce qu’il devait faire. Il
lui a été conseillé de faire un rapport à l’inspec-
teur général des services de renseignement, ce
qui a permis d’activer le cadre légal pour le pro-
téger d’éventuelles représailles ou de la divulga-
tion de son identité.
Son rapport accuse Trump d’avoir
trahi son serment en demandant au
président ukrainien, lors d’un entre-
tien téléphonique, le 25 juillet, d’en-
quêter sur Joe Biden.
Trump s’est déchaîné sur le lanceur
d’alerte, et non sur le contenu du coup
de fil, et a menacé de révéler son iden-
tité. “Notre pays doit savoir qui est cette personne,
parce que c’est à mon avis un espion”, a-t-il déclaré
en soutenant que seuls les lanceurs d’alerte “légi-
times” devraient bénéficier d’une protection.
Trump est en conflit avec les services secrets
américains depuis son élection. Il n’a pas hésité

L’ENNEmi

Un motif inédit pour


l’impeachment


Une procédure en destitution sur une
question de politique étrangère. Ce risque,
les pères fondateurs des États-Unis
l’avaient déjà identifié, souligne The New
York Times. P our les pères fondateurs,
qui ont rédigé la Constitution et son article
sur l’impeachment, l’un des plus graves
délits était de céder au “désir de puissances
étrangères d’exercer un ascendant malvenu
sur nos institutions”. D’après eux,
il n’y avait pas de plus grande menace
qu’un président corrompu par des forces
venues de l’étranger, rappelle le quotidien.
Un cas qui se présente aujourd’hui pour
la première fois : “Contrairement aux
précédentes procédures en destitution
impliquant les présidents Andrew Johnson,
Richard Nixon et Bill Clinton, l’actuelle
procédure d’impeachment
porte sur la question de savoir si un
président peut solliciter ou accepter l’aide
de l’étranger pour faire avancer sa carrière
politique et son intérêt personnel.”
Mais le président retourne l’argument,
rappelle The New York Times : “Si ce coup
de fil remarquable avec le président
de l’Ukraine n’est pas considéré comme
légitime alors à l’avenir aucun président
ne pourra JAMAIS PLUS parler avec
un autre dirigeant étranger”, a fulminé
Trump sur Twitter.
Les rédacteurs de la Constitution avaient
bien anticipé les dangers d’une influence
étrangère sur un président américain.
Au cours des premières années
de la république, “l’éventualité d’une
intervention étrangère était source
de grandes inquiétudes, voire d’une
certaine paranoïa”, assure Corey
Brettschneider, professeur de sciences
politiques à l’Université Brown.
Or depuis ses débuts, la présidence Trump
est minée par des questions d’ingérence
étrangère, rappelle The New York Times.
Le procureur spécial Robert Mueller
a conclu son enquête sur l’ingérence
russe dans la présidentielle de 2016
en disant qu’il n’avait pas trouvé
de preuves suffisantes afin d’étayer la
thèse d’une conspiration entre la Russie
et l’équipe de campagne de Trump.
Si le président en a profité pour
en conclure que ses liens avec la Russie
étaient donc une “affaire montée de toutes
pièces” par ses opposants, l’enquête
de Mueller n’en a pas moins mis au jour
des contacts répétés entre les associés
de Trump et des personnalités russes.
D’après ses conclusions, le Kremlin
a bien cherché à faire élire Trump,
et son équipe de campagne n’a pas refusé
l’aide la Russie, bien au contraire.


Contexte


Le “deep state” se rebiffe


À l’instar du lanceur d’alerte qui a osé déposer une plainte contre
Trump, des agents du renseignement et des hauts fonctionnaires
n’entendent pas se laisser faire, au grand dam du président,
qui crie à nouveau au complot de l’“État profond” contre lui.
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