Courrier international — no 1510 du 10 au 16 octobre 2019 transversales. 45
SOURCES : EUROSTAT, “THE ECONOMIST”
2017
80
90
100
110
20182019
Industrie
automobile
Total
Marche arrière
Production industrielle
en Allemagne ( janvier 2017 = 100)
—Welt am Sonntag Berlin
l
e 25 septembre, pen-
dant que 4 000 salariés
de l’équipementier auto-
mobile ZF descendent dans la
rue pour défendre leur emploi
à Friedrichshafen, au bord du
lac de Constance, le conseil de
surveillance de son concurrent
Continental se réunit à Hanovre
et examine un plan du type
de celui qu’ils veulent empê-
cher. Après la réunion, Elmar
Degenhart, le patron du groupe,
adopte un programme d’écono-
mies drastique.
Continental va suppri-
mer jusqu’à 20 000 de ses
244 000 emplois dans le monde
dans les dix années à venir, dont
7 000 rien qu’en Allemagne. Des
licenciements économiques ne
sont pas exclus. Il va fermer
plusieurs usines, dont celle de
Limbach-Oberfrohna, en Saxe,
qui fabrique des systèmes d’injec-
tion Diesel, et celle de Roding, en
Bavière, qui produit des pompes à
haute pression pour les moteurs.
Rien que sur ces deux sites, près
de 1 800 postes vont être suppri-
més ou délocalisés.
Ce qui est en train de se passer
à Friedrichshafen, Limbach-
Oberfrohna et Roding n’est qu’un
début. La crise de l’industrie
automobile et le big bang tech-
nologique frappent durement
les salariés. L’automobile alle-
mande a peur. La question n’est
plus de savoir qui supprimera des
emplois mais quand et combien.
Un moteur électrique ne com-
porte pas de pompe à haute pres-
sion, de boîte de vitesses ni de
système d’injection et comprend
moins de pièces qu’un moteur à
combustion. Volkmar Denner,
le patron de Bosch, le plus gros
équipementier automobile du
monde, ne cesse de répéter qu’il
faut dix fois moins d’ouvriers
pour fabriquer un moteur élec-
trique que pour produire un
moteur Diesel.
De plus, le secteur est en
récession et l’automatisation
contribue à faire disparaître les
emplois. Pour l’Allemagne, qui
repose sur l’industrie automo-
bile comme nul autre pays, le
problème est systémique.
Effondrement. Le nom des
entreprises touchées le montre
clairement : Daimler a annoncé
un plan d’économies, BMW aussi,
mais sans citer de chiffres, Audi
entend économiser des milliards
et Volkswagen a décidé de sup-
primer 4 000 emplois de plus.
Il y a une différence entre les
constructeurs et leurs fournis-
seurs. Les premiers offrent
encore des garanties d’emploi
à long terme, les plans d’éco-
nomies ne devraient pas repo-
ser sur des licenciements ni sur
des fermetures d’usines, mais
sur la suppression des heures
supplémentaires, l’extension du
travail à temps partiel à
partir d’un certain
âge, des départs
à la retraite anti-
cipée et le non-
renouvellement
des contrats à
durée déterminée.
Les équipemen-
tiers ont essayé d’en
faire autant mais se
sont heurtés à des
limites, même les
géants comme Bosch,
ZF et Continental.
“On a pratiquement
épuisé les mesures
douces”, c o n f ie u n
dirigeant. Le big bang
s’est selon lui produit trop vite
pour qu’on puisse le surmon-
ter. “On peut gérer les évolutions
structurelles mais pas les rup-
tures structurelles”, explique Uwe
Gackstatter, responsable des
systèmes de transmission chez
Bosch. En imposant des normes
d’émission de CO² toujours plus
strictes, et à atteindre pour la
plupart dès 2025, les dirigeants
politiques ont accéléré le passage
à la voiture électrique.
Sur les groupes de discussion
Facebook, les salariés de ZF se
demandent à partir de quel âge
il faudra partir. Aucune sup-
pression d’emploi n’a pourtant
été officiellement annoncée à
Friedrichshafen. Dans deux,
trois ans seulement, on aura net-
tement moins besoin de boîtes
de vitesses à huit rapports, tout
le monde le sait – y compris les
ouvriers de l’usine de Sarrebruck
qui les fabriquent.
La direction de ZF ne cesse de
répéter que le moteur à combus-
tion ne disparaîtra pas du jour au
lendemain et que les véhicules
hybrides, qui associent moteur
à essence et moteur électrique,
pourront même générer de la
croissance. L’équipementier a
cependant dans ses tiroirs un
projet qui a fait descendre les
salariés dans la rue : la délocali-
sation de 2 200 emplois à l’étran-
ger, soit un quart des effectifs du
département systèmes de trans-
mission. Le processus pourrait
commencer en 2022 et ce serait
la fin de la garantie de l’emploi.
Pas question de renouveler des
contrats dans cette situation,
soutient ZF, qui planche sur
divers scénarios.
Même sans bouleverse-
ments techniques, le monde
de l’automobile va connaître
des mouvements tectoniques.
La croissance, si croissance il
y a, aura lieu en Chine et en
Europe de l’Est. Et c’est là-bas
que seront produits les véhi-
cules. Volkswagen projette de
construire une usine, très proba-
blement en Turquie, qui assem-
blera des Passat et des Skoda
Superb. Il y a pourtant longtemps
que le groupe n’exploite pas à
fond tous ses sites allemands.
Mais il souhaite désormais pro-
duire plus près des clients et
exige que ses fournisseurs en
fassent autant.
Les chiffres montrent que l’Al-
lemagne a un problème. Si les
ventes d’automobiles ne baissent
que légèrement dans le pays, la
production s’est effondrée. Elle
a diminué d’environ 12 % sur les
sept premiers mois de l’année, pour
atteindre 2,8 millions d’unités. Les
experts du Center Automotive
Research (CAR) tablent sur 4,7 mil-
lions d’automobiles pour l’en-
semble de l’année, contre un peu
moins de 6 millions en 2016.
Et les constructeurs ne pensent
pas que le vent tournera de sitôt.
Un PDG a déclaré à ses proches
que le nombre de véhicules pro-
duits en Allemagne pourrait passer
sous la barre des 4 millions, soit
une baisse d’environ un tiers.
Volkmar Denner a déjà annoncé
d’importantes suppressions d’em-
plois chez Bosch. Une centaine de
salariés en CDD ont dû partir. Le
groupe ne souhaite pas fixer un
nombre précis de suppressions
de postes pour les prochaines
années. “L’activité dans le secteur
des systèmes de transmission tra-
ditionnels baissera”, se contente
de déclarer Uwe Gackstatter. Le
groupe ne garantit pas que la res-
tructuration se fera sans licencie-
ments. En revanche, il n’a pour le
moment aucun projet de fermeture
d’usine, déclare un porte-parole.
La situation est encore plus cri-
tique pour les petits équipe-
mentiers spécialisés dans
quelques pièces destinées
uniquement aux moteurs
à combustion.
“Elmar Degenhart est
sous pression et dans ce cas
on a tendance à prendre
des mesures radicales”,
observe un concurrent.
Le patron de Continental
fait cependant l’admiration
de certains. “Degenhart est
l’un de ceux qui rectifient rapide-
ment le cap”, déclare Ferdinand
Dudenhöffer, le directeur du
CAR. Les autres devront eux
aussi finir par supprimer des
emplois. En attendant, “ils
comptent sur l’arrivée d’un véhi-
cule hybride quelconque et voient
l’avenir en rose”.
—Philipp Vetter
Publié le 29 septembre
Malaise dans
l’automobile
Industrie. Licenciements, fermetures d’usines,
délocalisations... En Allemagne, un secteur clé
de l’économie est en plein bouleversement.
Si croissance
il y a, elle aura
lieu en Chine
et en Europe de l’Est.
Un moteur électrique
nécessite dix fois
moins d’ouvriers
qu’un moteur Diesel.
↙ Dessin de Bado
paru dans Le Droit,
Ottawa.