Courrier International - 10.10.2019

(Brent) #1

La province canadienne


de l’Alberta se vante


d’avoir éradiqué


les rongeurs sur son sol.


Alors que l’urbanisation


et le réchau ement


climatique favorisent


la prolifération des rats,


la guerre chimique menée


par l’Alberta peut-elle


et doit-elle être prise


en exemple?


—Foreign Policy, Washington



  1. Courrier international — n 1510 du 10 au 16 octobre 2019


MAGAZINE
À l'Est, une créativité insoupçonnée • Peinture. 54
Sri Lanka, des saveurs à part • Gastronomie .... 57

360


ENVIRONNEMENT


Nos ennemis


les rats


D


ans une zone de 29 kilomètres de long, à la
frontière entre les provinces canadiennes
de l’Alberta et de la Saskatchewan, les huit
membres de l’unité de lutte antiparasitaire
veillent au grain. Armés de mort-aux-rats et
de fusils de chasse, ils traquent chaque jour
le moindre rongeur nuisible.
Bien qu’elle inspecte plus de 3 000 fermes par an, il
est rare que la patrouille antirats de l’Alberta en croise
un en chair et en os. La province de 4,3 millions d’ha-
bitants, qui s’étend sur 662 000 kilomètres carrés [soit
1,2 fois la superfi cie de la France métropolitaine], ne
compte aucun rat – à l’exception de la petite poignée
qui s’égare chaque année dans la zone d’extermination.
Depuis 1950, un programme strict de dératisation a

maintenu ces nuisibles à l’écart de la région. Exception
faite de certaines îles isolées, comme le territoire bri-
tannique de Géorgie du Sud, c’est une situation unique
au monde.
Ce succès, dont s’enorgueillit la population, repose sur
des campagnes d’information effi caces. Les Albertains
peuvent composer un numéro pour signaler la pré-
sence du moindre rongeur – et les fausses alertes sont
fréquentes. Les enfants apprennent à l’école à repérer
les envahisseurs, et la possession d’un rat domestiqué
est punie d’une amende pouvant
atteindre 5 000 dollars canadiens
[3 500 euros].
On estime que les souris et les
rats causent chaque année dans
le monde 18,3 milliards d’euros de
dégâts et ravagent près d’un cin-
quième de la production alimen-
taire totale. Et ils ne font pas que
manger : ils urinent également
avec enthousiasme, contaminant
les denrées alimentaires. Si, au
Moyen Âge, ils ont pu propager la
peste noire, ils sont aujourd’hui le
vecteur d’autres maladies.
Les rats sont arrivés au Canada
au e siècle, mais la situation
géographique de l’Alberta a pro-
tégé la province pendant deux
cents ans supplémentaires. Ce
n’est qu’à la fin de la Seconde
Guerre mondiale que les premiers
rongeurs apparaissent à la fron-
tière avec la Saskatchewan. Le
gouvernement albertain met alors
en place sa politique raticide. Ce
n’était pas une première mondiale :
la participation des États à la lutte
contre les nuisibles a fait un bond
au e siècle, notamment du fait
de nouvelles théories sur la pro-
pagation des maladies et de l’élan
fédérateur de l’eff ort de guerre.
Au Vietnam, par exemple, les
rats prolifèrent après la création
des égouts de Hanoï au début du
e siècle. Pour parer à ce fl éau, les autorités colo-
niales françaises instaurent en 1902 un système de
prime pour chaque queue de rat – jusqu’à ce que les
responsables se rendent compte que les autochtones
élevaient des rongeurs pour toucher la récompense.
À Washington, l’association féline locale soutient en
1917 un programme d’élimination des chats errants.
“Ils y voyaient une menace pour leurs précieux chats
domestiques, explique Hayden Wetzel, un historien
de la région. Comme c’était la guerre, ils utilisaient le
slogan ‘Tuer un chat, c’est servir le pays !’”

↑ → Des affi ches émises par le gouvernement
de l’Alberta, dans l’après-guerre. Elles appellent
les habitants à faire leur travail de citoyens
en signalant les rats aux services compétents.
Photos Provincial Archives of Alberta (PA1579/1 ci-dessus,
et A17202b ci-contre)
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