Les Echos - 07.10.2019

(Michael S) #1

Les Echos Lundi 7 octobre 2019 EXECUTIVES// 37


Propos recueillis par
Vincent Bouquet


1


les salariés de la génération y,
nés entre 1980 et 1995, sont-ils
vraiment différents de leurs aînés?
Certains besoins, comme la quête de sens
ou l’envie de flexibilité dans la façon de tra-
vailler, sont cross-générationnels, mais les
membres de la génération Y ont une
demande plus affirmée de transparence.
Elle peut se matérialiser, par exemple, par
un souhait de partage de la grille des salai-
res. Un sujet longtemps resté tabou dans
l’entreprise, où il n’était pas question d’évo-
quer le montant de sa rémunération avec
ses collègues. En règle générale, ces salariés
sont beaucoup moins complaisants avec
l’e ntreprise et n’hésitent pas à questionner
l’ordre préétabli qui pouvait sembler
immuable pour les plus anciens. Cela peut
conduire à la remise en question du pouvoir
ou de la manière de partager les fruits du
travail accompli. Il n’est pas rare de voir des
jeunes réclamer une association directe à la
réussite de leur entreprise, alors que la logi-
que hiérarchique, a priori, ne le permet pas.


2


N’y a-t-il pas un risque
de rupture?
Tout l’enjeu est de faire travailler ensemble
des générations qui, on le sait, ne sont pas
tout à fait synchronisées dans leurs atten-
tes. Avec l’apparition des n ouveaux métiers,
l’entreprise doit avoir conscience que les
niveaux hiérarchiques sont moins perti-
nents aux yeux des plus jeunes. Le statut et
le parcours ne suffisent plus pour imposer
une autorité. Parfois, certains jeunes auront
le pouvoir car ils seront les seuls à détenir
les connaissances liées à une pratique nou-
velle. Contrairement aux idées reçues, le
partage d’expériences n’a jamais été aussi
fort qu’aujourd’hui dans les entreprises. Le
mentoring et le reverse mentoring en sont
la preuve : les générations ont à apprendre
des unes et des autres, et ce à tous les
niveaux de l’organisation. Toutefois, les
seniors ne doivent pas se transformer en
donneurs de leçons car les plus jeunes ne le
supportent plus. La communication à
l’intérieur de l ’entreprise n’est p lus la même.
Très verticale auparavant, elle tend à deve-
nir plus horizontale.

3


Comment les entreprises
peuvent-elles s’adapter?
On peut observer une demande de recon-
naissance très forte des jeunes générations
qui va bien au-delà de ce que les entreprises
rencontraient jusqu’à p résent. Les membres
de la génération Y ont besoin de retours,
qu’ils soient positifs ou négatifs, sur leur tra-
vail, auxquels i ls sont beaucoup plus o uverts

que les salariés des générations précéden-
tes. Des dispositifs type « évaluation 360 »
peuvent aussi être encouragés pour répon-
dre au besoin d’une plus grande horizonta-
lité – qui ne fait cependant pas disparaître
toute hiérarchie. Le défi pour les organisa-
tions est de retenir des talents qui sont plus
facilement prêts à partir que leurs aînés. La
prévisibilité des carrières n’existant plus
dans les entreprises, obtenir le grade supé-
rieur n’étant plus acquis pour eux, ils seront
plus ouverts aux opportunités qui s e présen-
tent à l’extérieur, y compris dans des domai-
nes qui nécessitent une reconversion. Tout
l’enjeu est de trouver de nouveaux leviers
managériaux pour répondre à ces attentes
différentes. Promettre un titre ronflant, par
exemple, à des personnes pour qui cela est
moins important que l’impact de leur
métier e st inutile. On peut imaginer a ssocier
plus largement cette nouvelle génération
aux problématiques qui animent l’entre-
prise. Sans leur donner l’illusion qu’elles
sont décisionnaires, leur donner le senti-

ment qu’elles sont écoutées et qu’elles peu-
vent s’exprimer renforce leur engagement.
Les entreprises ont encore besoin d’un
temps d’adaptation pour comprendre ces
besoins nouveaux, et mettre au point des
outils adéquats afin d’y répondre.n

En quête de transparence


et de sens, les jeunes


générations bouleversent le mode


d’organisation des entreprises,


qui cherchent la martingale


pour répondre à leurs attentes.


« Les seniors
ne doivent pas
se transformer
en donneurs de leçons
car les plus jeunes
ne le supportent
plus. »

« Les Y sont beaucoup


moins complaisants


avec l’entreprise »


XAVIER D’AUMALE ASSOCIÉ SERVICES DIGITAUX ET FINANCIERS


CHEZ RUSSELL REYNOLDS ASSOCIATES


vingt dernières années de carrière


  • sachant qu’un salarié est toujours
    considéré comme senior dès ses
    45 ans –, et plus encore à partir de
    60 ans, ne s’improvise pas. Quelques
    initiatives ouvrent la voie pour prendre
    en compte l’allongement de la durée de
    vie professionnelle.


Des actions pour les garder
en emploi plus longtemps
L’année dernière, Aviva a lancé en
Grande-Bretagne un projet pilote de
« mi-vie ». A la clef, un programme de
développement personnel avec bilan
professionnel, bilan de santé et état des
lieux des finances personnelles. Un plan
d’actions « anti-retraite » proposait des
solutions pour prolonger la vie active,
tandis que managers et responsables
RH de l’entreprise étaient sensibilisés
aux avantages offerts par les profils
seniors, en particulier quand il s’agit
d’entrer en contact avec une clientèle
âgée. Sur l’un de ses sites, le groupe a
par ailleurs identifié parmi ses salariés
plus âgés des tuteurs et leur a proposé
des horaires de travail flexibles.
En France, « outre les dispositifs de
départ progressif, l’aménagement des
conditions de travail permettant d’être
compétent dans la durée, c’est-à-dire

formé et motivé, reste exceptionnel,
souligne Marc Raynaud, le fondateur du
cabinet InterGénérationnel. Ni l’espace
de travail ni le temps de travail ne sont
adaptés au fait que les gens qui vieillis-
sent doivent peut-être ralentir ».
Chez BNP Paribas, deux formules leur
proposent un temps partiel : hebdoma-
daire à 80 %, rémunéré 90 %, et annua-
lisé à 60 %, rémunéré 66 %. Des disposi-
tions rares.
L’idée de la transmission des savoirs,
par le biais du mentorat et du tutorat,
progresse, elle, plus largement : un gros
tiers des entreprises les pratiquent
selon les estimations d’InterGénération-
nel. De même, les dispositifs de mécénat
de compétences connaissent un certain
succès. Comme Orange, BNP Paribas a
inclus une possibilité d’engagement au
service de missions d’intérêt général
dans des ONG partenaires, dans ses
accords et plans seniors, en cours de
négociation pour être renouvelés.
« Le maintien dans l’emploi reste l’axe à
privilégier dans la politique d’emploi des
salariés seniors », indique une porte-pa-
role du groupe bancaire. BNP Paribas a
déjà mis en place différents indicateurs
en la matière, y compris sur le taux
d’embauche des plus de 45 ans, qui sont
aujourd’hui confidentiels.

Outre-Manche, plusieurs grandes entre-
prises, parmi lesquelles Barclays, ont
dernièrement recensé le nombre de
leurs « plus de 50 ans » et se sont enga-
gées à augmenter leur part dans leurs
effectifs de plus de 10 %, d’ici à 2022. La
démarche, lancée par Assystem en 2013


  • qui consiste à recruter des seniors
    experts –, est plus modeste : elle con-
    cerne, à terme, une trentaine de person-
    nes tout au plus. Mais le groupe d’ingé-
    nierie est en train de faire école avec ses
    « Space Cowboys », le nom donné à
    l’équipe pour marquer les esprits.
    Hubert Labourdette, vice-président des
    opérations stratégiques, qui en est à
    l’origine, présentera l’expérience aux


DRH du secteur dans quelques semai-
nes. Sa dernière recrue a 64 ans.
En pleine stratégie de développement
international, Assystem, dont 77 % de
l’effectif a moins de 45 ans, peinait pour
réunir en interne des spécialistes expé-
rimentés en projets complexes nucléai-
res. Après la constitution d’un noyau de
quatre personnes, Hubert Labourdette
en recrute dix-sept autres à l’extérieur
avec une ligne de conduite : au-delà de
leur double expérience sûreté nucléaire
et management de projet, il veut des
profils seniors « qui ont fait le deuil de
toute ambition » hiérarchique et de
responsabilité de business. « Il faut,
explique-t-il, que l’expert ait fait ce che-
minement, qu’il se place sans ambiguïté
au service de l’entreprise et qu’il ait envie
de se réaliser autrement qu’en accédant à
des postes de management », même
lorsque le reste de la population senior
de l’entreprise se retrouve chez les
managers et les patrons de division.
Indépendamment de la grille des salai-
res, quelques ajustements managériaux
ont été nécessaires. « Les seniors doivent
pouvoir être autonomes dans leur travail,
gérer leur temps et exprimer leur avis, dit
Hubert Labourdette. C’est un peu
disruptif. ». Comme les millennials,
donc ?n

Valérie Landrieu
@ValLandrieu


E


n pleine réforme des retraites,
Benoît Serre, le vice-président
délégué de l’Association natio-
nale des DRH (ANDRH), a renvoyé
aux entreprises la responsabilité de
faire travailler les salariés plus long-
temps. Le fait que la vie professionnelle
puisse être allongée ne fait pas de doute,
mais les chiffres démontrent que les
entreprises ne savent pas encore le
traduire au plan pratique, a-t-il, en
substance, pointé avant d’évo-
quer la création d’un index de l’emploi
des seniors.
Sur le sujet, l’embarras des entreprises
est perceptible. Dans les faits, nombre
d’entre elles attendent passivement, au
mieux, le départ de leurs salariés plus
âgés. Changer de modèle pour gérer les


Les politiques d’emploi des seniors


restent un sujet d’embarras


pour les entreprises. Quelques


dispositifs contenus dans des


accords et de récentes initiatives


ouvrent toutefois la voie pour


prendre en compte l’allongement


de la durée de vie professionnelle.


Sortez les seniors du placard!


CARRIÈRE


Les jeunes vont-ils
(vraiment) sauver
le monde?

Réponse sur
echo.st/m332130

?


L’ idée de la transmis-
sion des savoirs,
par le biais du
mentorat et du tutorat,
progresse. De même,
les dispositifs de
mécénat de compéten-
ces connaissent
un certain succès.

INTERVIEW


Pour Xavier d’Aumale, « le défi
pour les organisations
est de retenir des talents qui
sont plus facilement prêts à
partir que leurs aînés ».
Photo Russell Reynolds
Free download pdf