Les Echos - 07.10.2019

(Michael S) #1
menteur potentiellement dange-
reux. Des deux côtés de la Manche,
l’affaire semble entendue : le Brexit
devant intervenir le 31 octobre, c’est
au Conseil européen des 17 et
18 octobre que doit être tranché le
dossier, entre dirigeants des Etats
membres. En toute logique, ce ven-
dredi devrait donc constituer une
perspective « raisonnable » pour
trouver un terrain d’entente,
comme l’a affirmé Leo Varadkar, le
Premier ministre irlandais.

Pas de tunnel en vue
Problème : à Bruxelles, peu croient
à ce scénario. La proposition britan-
nique, intervenue mercredi der-
nier, semble en effet trop loin du
but. « Tout le monde parle d’un tun-
nel de négociation mais la vérité, c’est
qu’à ce stade, on ne peut même pas
entrer dans ce tunnel », se désole
une source européenne.
Si les Vingt-Sept se sont gardés,
initialement, de balayer cette pro-
position d’un revers de main, c’est
pour deux raisons. D’abord, elle
représentait une « vraie avancée »,
reconnaît un diplomate, en envisa-

de mettre un terme à l’alignement
réglementaire avec le S ud, qui cons-
tituerait pourtant la pierre angu-
laire d’un éventuel accord.
Londres, de son côté, continue de
dire que la balle est dans le camp de
Bruxelles. Dans le « Sunday
Express » et le « Sun on Sunday »,
Boris Johnson demande à l’UE de
montrer « sa propre disposition à
conclure un accord ». « Il n’y aura
plus d’indécision ou de retard »,
met-il en garde : « Le 31 octobre,
nous allons faire le Brexit. »

« No delay »
« New deal or no deal but no delay »,
avait-il twitté dès vendredi soir,
après la publication de documents
où Downing Street promettait à la
justice écossaise de respecter la loi
anti-« no deal » en demandant un
report à Bruxelles s’il n’arrivait pas
à arracher un accord avant le
19 octobre. La plus haute juridic-
tion écossaise doit dire ce lundi s’il
encourt une peine d’amende ou
même de prison en cas de non-res-
pect de cette loi. Les scénarios les
plus fous circulent, à Londres, sur

Alexandre Counis
— Correspondant à Londres
et Gabriel Grésillon
— Correspondant à Bruxelles


On ne compte p lus l es « semaines d e
la dernière chance » qui, dans la
saga du Brexit, n’ont débouché sur
aucun épilogue. Mais celle qui
s’ouvre ce lundi p ourrait prendre un
parfum nouveau : celui de l’amer-
tume, voire de l ’agressivité, entre d es
partenaires de négociation, qui se
livrent désormais à un jeu de poker


ROYAUME-UNI


Plusieurs points
de la proposition
de Boris Johnson
posent problème
aux Vingt-Sept.


A tel point qu’ils
refusent pour l’instant
d’entrer dans la
dernière ligne droite
des discussions.


geant de maintenir les deux Irlan-
des dans un même espace régle-
mentaire. Ensuite, il était
politiquement essentiel d’envoyer
un signal de bonne volonté. Un con-
sensus a donc émergé pour « laisser
sa chance à la discussion », indique
un participant.
Mais après les politesses d’usage,
les langues se délient et la vérité
crue apparaît. Le négociateur des
Européens, Michel Barnier, a
estimé, ce week-end, qu’il y avait
« au moins deux problèmes extrême-
ment graves » à résoudre. Boris
Johnson propose en effet de main-
tenir une frontière sur l’île
d’Irlande, quoique sous une forme
allégée qui reste floue. Et il veut don-
ner à l’Irlande du Nord la possibilité

« [Il y a] au moins
deux problèmes
extrêmement
graves. »
MICHEL BARNIER

économies mondiales. Le classe-
ment Doing Business de la Banque
mondiale ou le Global Competitive-
ness index du Forum économique
mondial y figurent en bonne place.

Plus large que le seul
monde de l’entreprise
Environnement macroéconomi-
que, écosystème entrepreneurial,
stabilité politique et sociale, éduca-
tion, qualité de vie et de l’environne-
ment sont au n ombre des critères d e
leur analyse. « Ce c oncept de compéti-
tivité [...] ne saurait en effet se réduire
à la seule question des coûts du travail
ou de la fiscalité », témoignent Pascal
Raidron, président d’Eight Interna-
tional, et Alexis Karklins-Marchay,
associé d’Eight Advisory.
A leurs yeux, la compétitivité
d’un pays définit sa capacité à tirer
avantage de son intégration inter-
nationale dans le but d’améliorer
sur le long terme le niveau de vie de

l’ensemble de ses citoyens. A la
lueur de l’étude, il ressort que les
libertés économiques renforcent la
compétitivité d’une économie. Le
progrès social et la démocratie
favorisent la compétitivité. Mieux :
protéger l’environnement et pro-
mouvoir le développement écono-
mique et humain sont des objectifs
compatibles.

La France progresse
Dans cet exercice, la France, mal-
gré les récentes tensions sociales
liées aux manifestations des gilets
jaunes, montre des signes d’amé-
lioration significatifs, estiment les
auteurs. Au cours des dernières
années, l’Hexagone a progressé
dans plusieurs classements inter-
nationaux en lien avec l’économie,
parmi lesquels l’Indice de Mondia-
lisation et le Global Competitive-
ness Index. La France peut aussi
compter sur l a qualité de ses infras-

La compétitivité d’un pays n’est pas
seulement une affaire de bas salaire
et relevant du seul milieu des entre-
prises. C’est à partir de ce constat
que le cabinet Eight International a
publié, mardi, pour la première fois
une analyse bien plus détaillée.
Dans leur étude, les experts ont a na-
lysé 38 classements internationaux
de référence établis par des organi-
sations nationales et internationa-
les pour les vingt-cinq plus grandes


CONJONCTURE


Dans une étude publiée
par le cabinet
Eight International
sur la compétitivité
des vingt-cinq plus
grandes économies
mondiales, la France
améliore sa position.


tructures et sur la productivité de
ses salariés, points forts générale-
ment identifiés par les investis-
seurs étrangers, souligne Eight
International. Elle bénéficie d’un
rayonnement exceptionnel : selon
le magazine « US News & World
Report », elle est aujourd’hui le 2e
pays à la plus forte influence cultu-
relle au monde.
Que ce soit en matière de perfor-
mance environnementale ou en
matière de santé, le pays demeure
bien classé. Le système économique
français s’illustre par son réseau

2


e


La position de la France
dans le classement
sur l’influence culturelle
des pays dans le monde.

la manière dont le Premier minis-
tre peut s’y prendre pour contour-
ner habilement cette loi. L’un d’eux
consisterait à écrire deux lettres à
Bruxelles : l’une pour réclamer un
report, l’autre... pour demander à
Bruxelles d e ne p as en tenir
compte! Tout aussi rocamboles-
que, un autre serait, comme l’évo-
quait à nouveau samedi le « Tele-
graph », de convaincre le Hongrois
Viktor Orban de p oser son veto à un
nouveau report.
Une chose est sûre : si Boris John-
son échoue à conclure un accord,
certains à Londres pensent déjà à
l’après. Le « Telegraph » évoque la
piste d’une stratégie de blocage des
institutions européennes. Le « Sun-
day Times » n’hésite pas à parler de
John Bercow, le speaker de la
Chambre des c ommunes, pour suc-
céder à Boris Johnson à la tête d’un
gouvernement par intérim. Mais
selon le même journal, le Premier
ministre menacerait de rester à
Downing Street même s’il perdait
un vote de défiance au Parlement.
Et il pourrait aller jusqu’à mettre la
reine au défi de le congédier !n

Brexit : inquiétante cacophonie


à quelques jours de l’échéance


G. G. et Derek Perrotte
— Bureau de Bruxelles

L’Elysée et Sylvie Goulard
retiennent leur souffle. Comme
attendu à l’issue d’une audition,
mercredi, où elle aura été rude-
ment attaquée, le Parlement
européen a officiellement
refusé, jeudi, de donner – à ce
stade au moins – son feu vert à sa
nomination comme commis-
saire en charge d’un super por-
tefeuille du marché intérieur, de
l’industrie et de la défense.
La droite (PPE), la gauche
(S&D, GUE) et les Verts récla-
ment des explications supplé-
mentaires à l’ex-eurodéputée, et
éphémère ministre des Armées
en 2017, sur l’affaire des emplois
fictifs des eurodéputés Modem
et sur son travail pour l’Institut
Berggruen, un centre de
réflexion américain, de 2013 à
2016, parallèlement à son
second mandat au Parlement
européen.

Des questions écrites en ce
sens lui ont été envoyées, ven-
dredi midi, par les coordina-
teurs politiques des commis-
sions en charge de son audition.
Ce document de 11 pages en
anglais, dont « Les Echos » ont
obtenu copie, maintient une
forte pression. « Pouvez-vous
indiquer clairement, par oui ou
non, si vous démissionnerez de
votre poste de commissaire en cas
de mise en examen? » peut-on y
lire. Ses liens avec l’institut Berg-
gruen, et son dirigeant, le finan-
cier Nicolas Berggruen, sont
aussi vivement pointés du doigt.

La droite à la manœuvre
Sylvie Goulard a jusqu’à mer-
credi soir pour répondre par
écrit. La candidate française
devrait ensuite être convoquée
pour une seconde audition, le
14 ou le 15 octobre. Ce sera le
moment de vérité. Ses partisans
n’envisagent pas que le PPE, et
son puissant contingent alle-
mand, aille jusqu’à la retoquer,
ce qui fragiliserait aussi la prési-
dente é lue Ursula v on der Leyen,
proche d’Angela Merkel.
De nombreux parlementai-
res s’interrogent aussi sur sa
capacité à mener de front le très
vaste éventail de missions qui lui
seront confiées. Paris aurait
ainsi été trop bien « servi » en
récompense des manœuvres
d’Emmanuel Macron pour pla-
cer l’A llemande au sommet de
l’exécutif européen. « Elle devra
promouvoir le marché unique,
élaborer une stratégie pour
l’industrie, y compris la numéri-
sation, tout en veillant sur notre
politique de défense, de sécurité et
d’espace. Et aussi le secteur
audiovisuel! [...] Nous pensons
que le beurre est étalé sur trop de
pain », indique le groupe S&D.n

Sylvie


Goulard


fragilisée


à Bruxelles


EUROPE


Le Parlement
européen demande
un supplément
d’information et une
nouvelle audition
de la candidate
à la Commission
européenne.

Les scénarios les plus fous circulent, à Londres, sur la manière dont le Premier ministre, Boris Johnson, pourrait tenter de contourner la loi « anti no-deal »
que veut lui imposer son Parlement. Photo Isabel Infantes/AFP


Internet, la qualité de ses instituts de
recherche, ses publications scienti-
fiques, l’espérance de vie, la qualité
des routes ou encore la fiabilité du
réseau de distribution d’eau.
Tout n’e st pas pour le mieux dans
le meilleur des mondes p our autant.
La France affiche de piètres perfor-
mances sur le plan de la fiscalité du
travail, des pratiques d’embauches
et de licenciement, sur la mobilité
des travailleurs, la complexité des
barrières commerciales ou encore
le poids des réglementations gou-
vernementales. A cela s’ajoute le ris-
que d’attaques terroristes. Résultat :
pour Eight International, « la France
n’est pas parvenue jusqu’à présent à
exprimer ses pleins potentiels. Pour
autant, la dynamique affichée par sa
progression dans les différents classe-
ments est positive et n’avait pas été
observée depuis de nombreuses
années ». Le chemin est encore long.
— R. H.

La compétitivité française se redresse progressivement


« Nous pensons
que le beurre
est étalé sur trop
de pain »
LE GROUPE S&D

MONDE


Les EchosLundi 7 octobre 2019

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