LeTemps260919

(Romina) #1

LE TEMPS JEUDI 26 SEPTEMBRE 2019


18 Sport


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ALEXANDRE PEDRO
t @alexandrepedro


Le rugby doit peut-être son nom
à une ville du Warwickshire au
cœur de l’Angleterre. Pour la pro-
nonciation en français, l’usage
serait plutôt au «rrrubi» en forçant
sur le «r» et tant pis pour le «g».
Une affaire d’accent donc, de tra-
dition et de terroir, celui qui
englobe le Sud-Ouest et quelques
correspondants plus éloignés
comme le Var, la Charente-Mari-
time ou l’Isère. Mais les temps


changent et l’ovalie sort depuis
quelques années de son lit pour
irriguer d’autres territoires, en
particulier ceux de la banlieue
parisienne.
Pour la première Coupe du
monde en 1987, le seul «banlieu-
sard» du XV de France s’appelle
Franck Mesnel, demi d’ouverture
bien né de Neuilly-sur-Seine et
étudiant en architecture aux
Beaux-Arts de Paris. Trente-deux
ans plus tard pour la neuvième
édition au Japon, ils sont trois à
représenter la banlieue, celle des

Rabah Slimani, Yacouba Camara et Demba Bamba. Le rugby français à l’ère du métissage. (RICH FURY/WORLD RUGBY/VIA GETTY IMAGES)

Elle plaque,

elle plaque,

la banlieue

RUGBY Pour la Coupe du monde qui se


déroule actuellement au Japon, le XV


de France s’appuie sur trois joueurs


formés en banlieue parisienne.


Si les talents émergent de plus en plus


à l’ombre des tours, une frontière


culturelle existe encore


barres de HLM et des dalles en
béton: les piliers Rabah Slimani
(Sarcelles), Demba Bamba
(Saint-Denis) et le troisième ligne
Yacouba Camara (Bobigny puis
Massy). Un contingent qui aurait
pu être plus important sans la dis-
grâce de dernière minute du
vice-capitaine des Bleus, Mathieu
Bastareaud (Massy), et celle de
Sekou Macalou (Sarcelles), plus en
odeur de sainteté auprès du sélec-
tionneur Jacques Brunel, après
une troisième mi-temps agitée à
Edimbourg en 2018.

Mais les chiffres sont là. Avec
34 000 licenciés en 2017, l’Ile-de-
France s’affiche comme le premier
comité du pays, de quoi s’étouffer
avec un haricot tarbais pour les
défenseurs les plus obtus du rug-
by-cassoulet. Ceux que Mourad
Boudjellal, médiatique président
du RC Toulon, adore bousculer. «Si
le rugby veut se développer, il sera
obligé de prendre en compte la
nouvelle typologie de la France et
celle-ci est Black-Blanc-Beur, pré-
venait-il en 2013 dans un entretien
à La Provence. Aujourd’hui, si une
certaine partie du pays ne s’y inté-
resse pas du tout, c’est parce qu’il
est très conservateur et qu’il cor-
respond à un côté franchouillard.»

«Un sport de Blancs»
Vice-président de la Fédération
française de rugby, Serge Simon
le concède volontiers: «Notre sport
est compliqué, on ne peut pas l’im-
planter n’importe où et n’importe
comment.» En effet, difficile
d’imaginer 30 gamins se plaquer
sans ménagement sur le béton
tout en respectant les zones de
ruck. Mais autant que ses règles
nébuleuses – quand on n’est pas
tombé tout petit dans la marmite
–, le rugby doit gagner la bataille
culturelle. International en 2008,
Ibrahim Diarra le considérait
«comme un sport de Blancs» avant
qu’une dirigeante de Viry-Châtil-
lon ne l’emmène à un entraîne-
ment.
A Toulouse, capitale historique
du rugby français, le jeu n’a jamais
cherché à pénétrer les cités de
Bagatelle ou du Mirail de l’autre
côté du périphérique. Aux quar-
tiers aisés et aux villages le rugby,
aux banlieues le football. «Les cités
n’ont aucun goût pour le rugby,
assure le pilier des Bleus Rabah
Slimani, interrogé par le JDD.
Quand je descendais en bas de
l’immeuble avec mon ballon ovale,
personne ne voulait jouer avec
moi. C’était foot-foot-foot.»
Si la commune du Val-d’Oise a
donné le meilleur joueur de la Pre-
mier League en 2016 avec le Fran-
co-Algérien Riyad Mahrez, Slimani
a bifurqué, lui, dès ses 8 ans vers
le ballon ovale; une question de
gabarit un peu, mais aussi un tra-
vail de détection réalisé dans les
écoles par l’Association amicale et
sportive de Sarcelles. Une

approche indispensable pour per-
mettre aux enfants d’aller vers ce
sport étranger à leur univers local
et familial. «Le rugby est un sport
très initiatique. Pour franchir le
portail d’un stade, il faut une sorte
de tutorat», observe Didier Retière,
l’actuel directeur technique natio-
nal (DTN), qui estime que la bar-
rière est plus «sociale que géogra-
phique».
Alain Gazon a été le premier de
ces tuteurs à Massy (Essonne) au
début des années 1990. L’éducateur
est un peu devenu le «monsieur
banlieue» du rugby français, loin
de sa Dordogne natale quittée à
18  ans pour «monter en région
parisienne pour le boulot». Jamais
redescendu depuis, il a poussé vers
le rugby quelques futurs interna-
tionaux comme Mathieu Bas-
tareaud, Yacouba Camara et Jimmy
Marlu, tout premier enfant de
banlieue à porter le maillot frappé

du coq en 1998. «L’Ile-de-France,
c’est presque un cinquième de la
population française, rappelle-t-il.
Le potentiel est là, pas dans la
Creuse. Mais c’est un sacré boulot,
il faut avoir la foi. J’ai mis le bleu
de chauffe et je suis allé dans les
écoles pour les faire venir.»
Et quand il repère un talent, il
s’agit encore de convaincre les
parents de laisser leur enfant pra-
tiquer «ce sport de barbares»,
pour reprendre les mots de Serge
Betsen à Clichy (Hauts-de-Seine).
Monsieur et Madame Betsen
n’imaginent pas leur fils devenir
l’un des meilleurs flankers de la
planète dans les années 2000 et
même un capitaine du XV de
France. Le genre d’exemple qui

peut faire naître des vocations et
aider à changer les mentalités. «A
Massy, on s’est fait traiter de tous
les noms, mais je les prévenais:
«On va vous insulter, vous traiter
de sale Noir ou sale Arabe, appre-
nez à vous maîtriser et répondez
sur le terrain.» Le métissage, ce
n’est pas naturel dans le rugby
français», regrette Alain Gazon.

Des parents moins réticents
Mais si ce sport a gardé un fond
de sauce conservateur, le passage
au professionnalisme a fait son
œuvre. Autoproclamé «meilleur
championnat du monde», le Top
14 propose un salaire mensuel
moyen de 20 000 euros brut. Un
Rabah Slimani émarge par
exemple à 50 000 euros au poste
très recherché de pilier droit.
«Avant, les parents me deman-
daient: «Mais on peut gagner sa vie
avec le rugby?» Cette question, on
ne l’entend plus. Le rugby est
devenu attractif financièrement»,
assure Gazon, aujourd’hui respon-
sable de l’école de rugby du Racing
92, un des poids lourds du cham-
pionnat de France. Héritier du très
chic Racing Club de France, le club
cultive toujours un charme bour-
geois discret à l’image de ses ins-
tallations du Plessis-Robinson,
dans les Hauts-de-Seine, le dépar-
tement le plus riche du pays.
Mais sous l’impulsion d’Alain
Gazon, il a ouvert son centre de
formation aux talents des ban-
lieues à l’image du troisième ligne
Jordan Joseph, issu d’une famille
haïtienne installée à Sarcelles et
double champion du monde des
moins de 20  ans. «Des mecs
comme lui qui ont du talent, du
gaz et de l’envie, il y en a d’autres.
C’est dommage de se priver d’un
tel réservoir, déplore-t-il sans
tomber pour autant dans le fan-
tasme. Une équipe, c’est un
mélange, je ne vois pas un XV de
France démarrer avec 15 mecs de
banlieue dans les prochaines
années. La banlieue ne va pas sau-
ver toute seule le rugby français.»
Contre l’Argentine (23-21) en
ouverture de la Coupe du monde,
le salut est d’ailleurs venu d’un
drop de Camille Lopez, enfant de
Mauléon aux confins du Pays
basque, à deux pas du Béarn. Le
«rrrubi» français n’a pas encore
tout à fait fini de rouler les «r». ■

«Si le rugby veut se
développer, il sera
obligé de prendre
en compte la
nouvelle typologie
de la France,
Black-Blanc-Beur»
MOURAD BOUDJELLAL,
PRÉSIDENT DU RC TOULON

Sebastian Coe, bis
Pas de surprise à Doha (Qatar). Sebastian Coe
a été réélu à la tête de la Fédération
internationale d’athlétisme lors du congrès
organisé en amont des Championnats du
monde qui débuteront ce vendredi. Le
Britannique de 62 ans, seul candidat en lice, a
obtenu la totalité des 203 suffrages et
poursuivra donc le travail entamé en 2015 sur
les chantiers de la corruption et du dopage
dans sa discipline. L. PT

Rohan Dennis remet ça
Intouchable. Rohan Dennis a conservé son
titre de champion du monde du contre-la-
montre, mercredi dans le Yorkshire
(Angleterre). L’Australien de 29 ans s’est
facilement imposé sur le parcours de
54 kilomètres: il a laissé le Belge Remco
Evenepoel (deuxième) et l’Italien Filippo
Ganna (troisième) à plus d’une minute.
Meilleur Suisse, Stefan Küng termine dixième
à 2’46’’. L. PT

EN BREF

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