LeTemps260919

(Romina) #1

LE TEMPS JEUDI 26 SEPTEMBRE 2019


22 Der


Sur la façade du Royal, à Tavannes,
il est inscrit en lettres capitales:
cinéma, théâtre, variétés. C’est un
bâtiment d’un autre siècle, plein de
mémoire industrielle, de nuits
ouvrières, de guerriers au repos.
Vernissage du disque de Chris-
tophe Calpini, un soir de sep-
tembre. Il entre sur scène presque
à reculons, comme si on l’avait
poussé là. Quand il émet trois mots
depuis sa batterie, personne ne les
distingue. Et pourtant dans sa
musique, dans ce lyrisme saturé
d’électricité, tout s’entend parfai-
tement. La peur et l’oubli. Un chant
de l’intérieur.
On le connaît depuis très long-
temps, quand il portait encore des
cheveux courts, mais aussi des
cheveux bien plus longs, cette
barbe qui n’était pas encore salée,
la même coquetterie dans l’œil qui
donne toujours l’impression qu’il
regarde au-delà de vous. Chris-
tophe Calpini est un monstre d’ici.
Né à Rolle il y a exactement cin-
quante ans. Il a fabriqué du rap
romand, avec Silent Majority. Il a
monté un groupe, Mobile in
Motion, dont l’album en 2001 trou-
vait le point de friction entre les
entrailles du jazz et le sang de
l’électronique – une espèce de
bibliothèque du son universelle,
aux parasitages numériques.


Angoissé de tout
Alain Bashung entend la chose.
Ils se retrouvent tous au studio
ICP, à Bruxelles – il y a le guitariste
Marc Ribot qui fomente des acci-
dents dans le fond de la cabine.
Avec Mobile in Motion, avec son
collègue de burin Fred Hachadou-
rian, Calpini produit six titres de
l’album L’Imprudence, dont un
morceau d’ouverture dont on a le
sentiment aujourd’hui qu’il parle
de lui: «Tu l’auras toujours ta belle
gueule/Tu l’auras ta superbe/A
défaut d’éloquence.» Christophe
Calpini, parce qu’il est un agora-
phobe notoire et un angoissé de
tout, est fasciné par ceux qui
donnent de la voix.


Avec le pianiste Pierre Audétat, il
fonde Stade, une machine à accueil-
lir des poètes, des rappeurs, des
solistes; c’est une plateforme de
lancement, un tapis volant qui
semble toujours s’effilocher et se
reconstituer dans le même temps.
La batterie de Calpini prend sa
forme définitive. Elle ressemble à
une batterie traditionnelle dont elle
prend certains éléments, mais elle
ouvre sur des mondes préenregis-
trés, des banques infinies, ce que
Christophe appelle  ses «bigor-
neaux». Ce ne sont pas seulement
des chants d’animaux triturés
jusqu’à l’infini, mais des trains qui
passent, une éolienne dans le décor,
une casserole sur un feu doux.
Tous les espaces que Christophe
Calpini n’osera jamais conquérir, il
les enferme dans sa boîte à sons.
Son instrument est une caravelle
immobile. Parce que, en plus de
tout le reste, il déteste bouger. Il est
aérodromophobe (il a peur des
avions), amaxophobe (peur de la

«Aujourd’hui, même pour un ignorant comme moi, il est possible d’écrire


des arrangements. Je me sens comme l’André Rieux de La Côte»


La tempête


intérieure


CHRISTOPHE CALPINI


Le batteur vaudois publie
un disque magistral avec cordes,
voix et souffle. Portrait d’un discret
dont les machines s’emballent

ARNAUD ROBERT

conduite), sidérodromophobe
(peur du train), sans compter tout
un tas d’autres phobies dont per-
sonne n’a encore songé à inventer
le nom. Quand il tournait avec le
musicien Rodolphe Burger, on lui
envoyait un chauffeur en lequel il
avait plus ou moins confiance pour
contenir son anxiété. On ne raconte
pas du tout cela pour se moquer.
Mais parce que c’est un élément clé
pour comprendre le personnage.
L’essentiel de ses voyages sont
donc imaginaires. L’album qu’il
sort aujourd’hui, dont il a long-
temps retardé la parution par peur
de l’abandon, s’intitule Motion
Sickness. Le mal des transports. Ce
disque est pour son auteur un arra-
chement longtemps différé, une
douloureuse expérience de lâcher-
prise. Pour l’auditeur, il est un
puissant témoignage de liberté.
Calpini y travaille son obsession:
le passage entre l’analogique et le
numérique. Le crépitement du
vinyle, qui est pour lui un puissant

moteur de nostalgie, partage le
territoire avec des cliquetis codi-
fiés, des cris informatiques.

Une aventure sociale aussi
Christophe Calpini est hanté par
le lyrisme singulier des machines,
la traduction mathématique des
émotions. Il n’aime rien tant que
le moment précis où la program-
mation est submergée par l’air
vibré. Ainsi, dans ce vernissage de
Tavannes, un quatuor à cordes
s’est installé avant lui, mené par
la violoncelliste Sara Oswald.
«Aujourd’hui, même pour un
ignorant comme moi, il est pos-
sible d’écrire des arrangements.
Je me sens comme l’André Rieux
de La Côte.»
Ah oui, avec tous les empêche-
ments qu’on a énumérés chez
Calpini, on a omis de signaler qu’il
est d’une drôlerie féroce, qu’il est
un cuisinier impeccable, qu’il
n’aime rien tant que s’entourer
d’amis et de faire frémir les
raclettes dans sa maison du pied
du Jura. Sa musique est donc une
aventure sociale. Au Royal, son
vieil ami le trompettiste Erik
Truffaz faisait des caresses dans
l’échine. Tandis que des chan-
teurs invités (Christian Halbrit-
ter, Lyn M) taraudaient la chair
des poules. Cet album est une
odyssée cinématographique, une
forêt des signes.
Calpini écrit la plupart du temps
des lignes cycliques au charme
mélancolique; il se montre parfois
plus ambitieux encore comme
dans cette pièce Under Apple
Trees ou dans By the Porthole, à
l’émotion plus fragile, aux frotte-
ments ardents. Alors, il ne faut
pas imaginer que Christophe Cal-
pini va dans un proche avenir
passer à l’avant-scène ou qu’il se
lancera dans une tournée mon-
diale de sa propre musique. Mais
il dit qu’il a déjà deux albums
enregistrés qu’il sortira un jour.
Il y éclaire des zones d’ombre
encore intactes. Des terres qui
n’ont pas encore été battues. n

MARION MARCHETTI

A quelques pas du village des Prés-d’Orvin
commence une des nombreuses randonnées
qui jalonnent le Chasseral et guident les gour-
mands vers plusieurs métairies, fermes-au-
berges typiques du Jura bernois. «Ces fermes
exploitent le pâturage en altitude et offrent un
service de restauration aux promeneurs. La
plupart ont été construites il y a plusieurs siècles
par les bourgeoisies des communes environ-
nantes», explique Jean-Jacques Amstutz. Ce
passionné de montagne accompagne les curieux
sur les sentiers de la région Jura & Trois-Lacs. Ici,
il conseille d’aller jusqu’au Mont-Sujet pour
ensuite redescendre en direction des métairies.
Le départ se situe à l’arrêt Les Prés-d’Orvin-Le

Grillon, accessible en bus depuis Bienne, et plonge
les marcheurs dans un paysage luxuriant. Sur le
chemin, des vaches écossaises gratifient les pas-
sants d’un mouvement de tête; plus loin, leurs cou-
sines angus  affichent fièrement leur pelage
noir. Des murs de pierres sèches délimitent les
zones des élevages depuis le XVIIe siècle et offrent
des espaces propices à différentes espèces de
plantes, d’insectes et de reptiles, contribuant à
enrichir la biodiversité de la région.
Depuis la Métairie Jobert, à 1301 m d’altitude, les
randonneurs admirent la vue prenante sur le pay-
sage jurassien; on perçoit au loin l’antenne du Chas-
seral, dont les rayures rouges et blanches s’entre-
mêlent à une dizaine de kilomètres. L’architecture
en spirale de la tour de Moron, construite en 2004
par des apprentis maçons de toute la Suisse, est

également visible au loin. En plus, les animaux de
la métairie offrent un spectacle réjouissant: chiens,
chats, chevaux, moutons, et même un cochon viet-
namien font le bonheur des enfants.
La famille Bühler occupe la Métairie Jobert
depuis bientôt cent ans, c’est aujourd’hui Aline
qui y accueille les randonneurs: «Je suis venue
par amour et je ne suis jamais repartie!» lance-
t-elle, souriante. En hiver, ses enfants bravent la
neige à moto pour se rendre à l’école. Pendant ce
temps, elle prépare des plats de la région pour
les randonneurs; les röstis au gruyère d’alpage
sont un délice. n

Métairie-Restaurant Jobert, Jobert 273, Orvin (BE),
tél. 032 489 19 12, di-lu 10-17h, je-sa 10-22h. 

Le Jura bernois pour les


promeneurs gourmands


(SEBASTIEN KOHLER)

PROFIL
1969 Naissance à Rolle,
le 3 février.

1983 Cours de batterie
du Conservatoire populaire
de Genève.

1994 Commence à collaborer
avec le pianiste Pierre Audétat,
son frère en sons, au sein
du groupe Silent Majority.

2002 Produit six titres
pour l’album «L’Imprudence»
d’Alain Bashung.

2013 Publie son premier album
solo, «Slit Sensilla».

2019 «Motion Sickness».


Un jour, une idée


(DR)
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