LeTemps260919

(Romina) #1

LE TEMPS JEUDI 26 SEPTEMBRE 2019


6 Suisse


FATI MANSOUR
t @fatimansour


Michael Lauber a eu chaud. L’As-
semblée fédérale a fini par le réé-
lire de justesse pour un troisième
mandat à la tête du Ministère
public de la Confédération (MPC).
Il lui fallait 122 voix pour passer,
il en a obtenu 129 sur les 243 bul-
letins valables. Ce score serré
montre que ses méthodes et sa
personnalité divisent tous partis
confondus. Le chef de l’autorité
de poursuite pénale repart donc
pour un règne de quatre ans avec
un capital confiance très entamé,
une procédure disciplinaire sur
le dos et des tensions encore vives.
Michael Lauber a gagné cette
bataille mais le champ de ruines
demeure.


Champ de tensions
Il avait pris place dans la tribune
du public, entouré des deux pro-
cureurs généraux suppléants
Ruedi Montanari et Jacques Ray-
roud (le malheureux qui devra
assurer désormais la direction du
méga-dossier FIFA et gérer les
conséquences procédurales d’une
triple récusation). Michael Lauber
avait un air soucieux en écoutant
les intervenants se succéder pour
attaquer son attitude ou louer ses
compétences. Et pour cause. La
Commission judiciaire avait pré-
avisé en sa défaveur et rien n’était
joué d’avance pour ce scrutin à
bulletins secrets, malgré les
signaux positifs émanant récem-
ment des grands partis.
Visiblement soulagé d’avoir
franchi cette épreuve, Michael
Lauber a pu toutefois constater
que le résultat du vote est loin
d’atteindre celui de 2015. Lors de
sa première réélection, il avait
recueilli 195 voix sur un total de
216 bulletins. Sans oublier le score
soviétique (203 voix sur 206 bul-
letins) qui avait marqué son élec-
tion en 2011. A l’adresse des jour-
nalistes présents, il a remercié le
parlement pour sa confiance et
dit vouloir s’engager pour «un
Ministère public fort, efficace et
moderne ainsi que pour la pour-
suite du combat contre toutes les
formes de grande criminalité du
XXIe siècle».
Son action, Michael Lauber va
devoir la mener désormais dans
un contexte très particulier. La
question de ses rencontres infor-


melles et non protocolées avec
Gianni Infantino, le patron de la
FIFA, est loin d’être réglée. Pour
avoir peut-être caché certaines
informations à l’autorité de sur-
veillance du Ministère public de
la Confédération (AS-MPC), il fait
toujours l’objet d’une enquête dis-
ciplinaire. Celle-ci traîne en lon-
gueur car il a obtenu que l’expert
nommé pour conduire cette pro-
cédure soit écarté faute de base
légale tout en recevant la bénédic-
tion du Tribunal administratif
fédéral quant au choix particulier
de ses avocats (les mêmes que
ceux de Sepp Blatter). L’Autorité
de surveillance a recouru au Tri-
bunal fédéral pour clarifier l’en-
semble.
C’est peu dire, un climat délétère
s’est installé entre Michael Lauber
et son autorité de surveillance. Le
premier remettant en question la
compétence, le sérieux et l’action
de la seconde. Surtout depuis l’en-
trée en scène, début 2019, de son
nouveau président, le Zougois
Hanspeter Uster, beaucoup plus
critique à son égard. Ces tensions

ont déjà amené les Commissions
de gestion à s’emparer de la ques-
tion. Celles-ci examinent désor-
mais les contours du contrôle
dont peut faire l’objet le parquet
fédéral.

Recours tous azimuts
Sur le terrain judiciaire, rien
n’est réglé. Michael Lauber a
recouru au Tribunal fédéral
contre la décision qui l’empêche
de faire réviser sa récusation dans
le dossier emblématique de la
FIFA. Les effets de cette récusa-
tion sur l’avancement des procé-
dures pénales (notamment celles
des deux autres procureurs
embarqués dans ces discrètes
rencontres avec la partie plai-
gnante) sont encore difficiles à
évaluer. Hier, trois nouvelles
demandes de récusation ont été
rejetées (car jugées tardives ou
peu substantielles) en lien avec le
football. Mais d’autres dossiers
(celui des fonds ouzbeks l’a déjà
été) sont susceptibles d’être tou-
chés par les mêmes vices liés aux
méthodes d’enquête peu ortho-

doxes pratiquées par le parquet
fédéral.
Pour ne rien arranger, le Tribu-
nal pénal fédéral (TPF) – qui siège
à Bellinzone et tranche dans les
affaires portées par le MPC (crime

organisé, blanchiment d’argent à
caractère international ou crimi-
nalité économique complexe) –
traverse lui-même une profonde
crise. A l’interne, deux juges,
Giorgio Bomio (PS) et Claudia
Solcà (PDC), n’ont pas été recon-

duits à leur fonction de présidents
de la Cour des plaintes et de la
Cour d’appel. Cette dernière place
sera reprise par Olivier Thor-
mann (PLR), ancien procureur en
chef du MPC, poussé vers la sortie
et récusé dans le complexe du
football. Autant dire encore beau-
coup de problèmes (de récusation
ou d’inimitié) en perspective.

Remonter la pente
Les deux magistrats concernés
par cette réorganisation avaient
rendu des décisions défavorables
à Michael Lauber dans le dossier
FIFA. Mais c’est leur opposition
au choix du plénum de proposer
la reconduction d’une direction
purement UDC et germanophone
(avec le président Stephan Blätter
et la vice-présidente Sylvia Frei
élus à l’origine pour une période
transitoire) qui leur vaut d’être
pareillement mis sur la touche
par leurs collègues. D’ici la fin de
l’année, si le plénum maintient sa
proposition d’un duo UDC à la tête
de tout le TPF – malgré le souhait
de diversité déjà exprimé par la

Commission judiciaire – l’Assem-
blée fédérale aura une nouvelle
réélection tendue à gérer.
Bref, le Ministère public de la
Confédération, son autorité de
surveillance, le Tribunal pénal
fédéral, tous sont traversés par des
secousses dont on ne voit pas la fin.
Reste à savoir si sa réélection
désormais entérinée, Michael Lau-
ber va adopter une posture plus
conciliante, apaiser les tensions et
travailler enfin, comme il dit, à la
poursuite de la grande criminalité.
En ce domaine, il aura toujours
beaucoup à faire. Si le bilan d’un
procureur général reste difficile
à évaluer – et ne peut certaine-
ment pas être réduit au nombre
de condamnations obtenues ou à
la quotité des peines infligées –,
celui-ci se mesure aussi à sa capa-
cité de donner des impulsions, de
soutenir un raisonnement qui
puisse être accepté par les juges
et d’avoir assez de leadership
pour s’imposer face aux autres
pouvoirs. Une pente qu’il lui fau-
dra remonter après cette timide
réélection. n

De l’inquiétude au soulagement: Michael Lauber avant et après sa réélection, finalement par 129 voix sur les 243 bulletins valables. (FABRICE COFFRINI/AFP)

Michael Lauber réélu dans la douleur

PARQUET FÉDÉRAL Le troisième mandat du procureur général de la Confédération s’annonce plutôt difficile. Procédure disciplinaire


en cours, recours tous azimuts, intrigues et attaques répétées, un semblant de sérénité ne reviendra pas de sitôt


Le MPC,
son autorité de
surveillance,
le Tribunal pénal
fédéral, tous sont
traversés par des
secousses dont on
ne voit pas la fin

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