Courrier International - 19.09.2019

(avery) #1

  1. 7 JOURS Courrier international — n 1507 du 19 au 25 septembre 2019


Arabie Saoudite.


Le risque


d’un embrasement


Avant les attaques d’installations pétrolières saoudiennes
du 14 septembre, le président américain avait montré des
signes de bonne volonté à l’adresse de Téhéran. Il en paie
maintenant le prix, commente ce quotidien conservateur.

7 jours dans
le monde

—The Wall Street Journal New
Yo rk

D


epuis que le président Trump s’est
retiré de l’accord de 2015 sur le
nucléaire iranien, la République
islamique teste la détermination des États-
Unis par une escalade militaire dans tout
le Moyen-Orient. L’implication probable
de l’Iran dans les attaques de ce week-end
contre des installations pétrolières
saoudiennes marque une nouvelle
phase dans cette entreprise de
déstabilisation, et ce n’est pas un
hasard si cela s’est produit alors
que Trump envisage une approche
plus modérée vis-à-vis de Téhéran.
L’Arabie Saoudite a réduit sa production
quotidienne de pétrole d’environ 5,7 mil-
lions de barils [soit plus de la moitié de sa
production totale] après ces frappes. Les
rebelles houthistes soutenus par l’Iran ont
revendiqué ces attaques, mais le secrétaire
d’État, Mike Pompeo, a tweeté que l’Iran
était responsable et que “rien ne [ prou-
vait] que ces attaques venaient du Yémen”.
L’Iran rejette ces accusations, même si
généralement il recourt à des alliés pour
éviter toute confrontation directe. Or, il
n’existe pas d’autres coupables plausibles.

[emmenée par Riyad]. Les houthistes sont
devenus de plus en plus agressifs, atta-
quant des sites en Arabie Saoudite et des
pétroliers en mer Rouge. Si les Saoudiens
cèdent le Yémen aux houthistes, l’Iran
aura gagné une nouvelle guerre par pro-
curation, cette fois sur la péninsule ara-
bique. Les Saoudiens sont loin d’être des
alliés idéaux, mais les sénateurs améri-
cains qui veulent mettre fi n au soutien
américain à Riyad devraient songer que
ce qui se profi lerait est une domination
régionale de l’Iran.
Les Iraniens, au même titre que les
Saoudiens, sondent Trump. Ils testent
sa détermination à exercer une “pres-
sion maximale”, et ils perçoivent une cer-
taine faiblesse. L’Iran a abattu un drone
américain cet été, et Trump s’est refusé à
une riposte militaire, malgré les conseils
de son entourage. Par ailleurs, Trump a
hâte de négocier directement avec le pré-
sident iranien, Hassan Rohani, et Pompeo
a émis l’idée d’une réunion sans carac-
tère offi ciel entre les deux hommes lors
de la prochaine Assemblée générale des
Nations unies. Trump a même envisagé de
reprendre l’idée du président Emmanuel
Macron, à savoir celle de verser une ligne
de crédit de 15 milliards de dollars aux mol-
lahs pour leur meilleur comportement. Or,
ce week-end, l’Iran a attaqué notre allié.
Voilà comment il remercie les États-Unis
de leur bonne volonté.
Les sanctions américaines ont pénalisé
les exportations de pétrole brut de l’Iran,
mais Téhéran gagne encore des centaines de
millions de dollars d’autres produits pétro-
liers. Le sénateur Lindsey Graham soutient
qu’il faudrait envisager des attaques directes
contre les sites de production iraniens, et
la République islamique doit savoir qu’une
telle option n’est pas exclue.
La coalition saoudienne a aussi besoin
de davantage d’aide pour intercepter les
livraisons d’armes iraniennes aux hou-
thistes. Les Américains redoutent à juste
titre de s’impliquer davantage au Yémen,
mais une victoire de l’Iran et la mise en
place d’un régime inspiré du Hezbollah
à Sanaa seraient contraires aux intérêts
américains. Imaginez une nouvelle Syrie
ou un nouveau Liban.
Trump pourrait également s’excuser
auprès de [son ex-conseiller à la Sécurité
nationale] John Bolton, qui avait averti à
maintes reprises que l’Iran profi terait des
manifestations de faiblesse de la Maison-
Blanche. Bolton a donné sa démission la
semaine dernière en raison de désaccords
politiques, notamment sur l’Iran. Les évé-
nements de ce week-end donnent raison
à l’ancien conseiller. Les pressions exer-
cées par le gouvernement Trump avaient
fonctionné jusqu’à présent. Y renoncer ne
ferait qu’encourager Téhéran à prendre
plus de risques militaires.—
Publié le 15 septembre

On est au-delà d’un confl it local entre
deux puissances régionales. Ces attaques
ont entraîné une baisse de 5 % de la produc-
tion pétrolière planétaire. Les Saoudiens
ont promis de puiser dans leurs réserves
pour compenser les pertes, mais les prix
du pétrole pourraient augmenter et mettre
à mal une économie mondiale déjà fra-
gile si le royaume n’était pas capable de
rétablir la production assez rapidement.
Cette attaque n’est qu’un nouvel
épisode dans ce qui est déjà une
guerre par procuration entre l’Iran
et l’Arabie Saoudite, un important
allié des États-Unis. L’étendue des
dégâts conduit à se demander dans
quelle mesure les Saoudiens sont
capables de se défendre contre de futures
attaques de drones. Le renseignement et
la défense aérienne d’Arabie Saoudite ne
semblent pas à la hauteur. Les recettes
saoudiennes seraient pénalisées par une
diminution de la production pétrolière,
et les incertitudes ne manqueront pas de
compliquer l’[imminente] introduction en
Bourse de la compagnie pétrolière natio-
nale, Aramco.
Même si ce ne sont pas les houthistes qui
ont mené cette attaque, l’Iran soutient leur
guerre contre une coalition arabe au Yémen

Une menace


pour l’économie


mondiale


L


’envolée soudaine des prix du
pétrole, le 16 septembre, survient
au pire moment pour l’économie
mondiale, s’inquiète le Financial Times.
“L’industrie est moribonde un peu partout
dans le monde, le confl it commercial entre
les États-Unis et la Chine n’est pas résolu et
certaines économies parmi les plus impor-
tantes sont au bord de la récession”, liste le
journal fi nancier britannique. Selon les
économistes, l’attaque contre les installa-
tions pétrolières d’Abqaiq et de Khurais,
en Arabie Saoudite, “pourrait causer des
dommages signifi catifs à l’économie mon-
diale si la hausse des prix qui en résulte
devait durer au-delà de quelques mois”.
Au lendemain des frappes en Arabie
Saoudite et de l’annonce de la réduc-
tion de la production quotidienne de
5,7 millions de barils, les prix de l’or noir
ont crû de 20 %, le plus fort taux depuis
l’invasion du Koweït par les troupes de
Saddam Hussein, en 1990. Riyad s’est
entretenu avec plusieurs membres de
l’Organisation des pays exportateurs de
pétrole (Opep) et d’autres États pétro-
liers comme la Russie, indique le Wall
Street Journal. Les autorités saoudiennes
auraient signifi é aux pays producteurs de
pétrole qu’ils n’avaient pas besoin d’ac-
croître leur production.

Réserves. Même si elles ont diminué ces
dernières années, les réserves du royaume
saoudien pourraient en eff et suffi re à
continuer d’approvisionner ses clients,
à condition que l’interruption dans sa
production ne dure pas trop longtemps.
Selon un analyste de Barclays cité par
le journal des milieux d’aff aires améri-
cains, ces réserves pourraient compen-
ser le manque pendant trente-cinq jours.
La question cruciale pour l’économie
mondiale est bien celle-là : de combien de
temps l’Arabie Saoudite aura-t-elle besoin
pour remettre en état ses installations?
Et en fonction de la réponse, il faudra
accroître la production ou bien puiser
dans les réserves ailleurs dans le monde.
Pour l’économie mondiale, les pertur-
bations de la production saoudienne,
si elles persistaient, seraient une mau-
vaise nouvelle. Même si les États-Unis
résistent bien, l’économie chinoise, for-
tement dépendante des importations de
pétrole, pourrait en pâtir. Et par consé-
quent, tous ses partenaires commer-
ciaux, c’est-à-dire beaucoup de monde. En
d’autres termes, la croissance mondiale.
— Courrier international

ÉDITO

↙ Sur la cuve, le drapeau saoudien et sa profession
de foi musulmane. Dessin de Hachfeld
paru dans Neues Deutschland, Berlin.
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