Courrier International - 19.09.2019

(avery) #1

  1. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — n 1507 du 19 au 25 septembre 2019


moyen-


orient


↙ Dessin de Ramsés, Cuba.


—Asharq Al-Awsat
(extraits) Londres

L


orsque l’Iran se fait passer
pour le “porte-parole” de
la Palestine, cela montre
qu’il y a un problème avec la cause
palestinienne. Et les Iraniens ne
sont pas les premiers à s’attribuer
cette fonction. Bien avant eux, le
président syrien Hafez El-Assad

Israël [de la bande de Gaza ou
du Liban], on présente cet acte
comme annonciateur du début
de la fi n de l’État juif. Alors qu’en
réalité ce sont bien les Arabes qui
encaissent les coups.
Les escarmouches entre Israël
et le Hezbollah au mois d’août [et
les cris de victoire du Hezbollah]
ne sont qu’une farce de plus. Mais
il n’y a rien d’étonnant à ce qu’on
se réfugie dans les mystifi cations
quand on se sent vaincu et quand
on est profondément résigné. Dès
1948, la question palestinienne
a servi à l’Égypte, à l’Irak et à la
Jordanie pour justifi er leurs poli-
tiques étrangères et régionales
respectives. Cette appropriation
a pris une telle dimension qu’elle
est devenue un élément essen-
tiel de la légitimité intérieure des
régimes autoritaires qui se revendi-
quaient du nationalisme panarabe.

Tuer le pluralisme. Facteur
aggravant, même les dirigeants
palestiniens se sont laissés entraî-
ner par le discours sacralisant. Ce
qui a eu pour résultat que leur tra-
vail politique, qui par défi nition ne
relève pas du sacré, a paru obso-
lète. Ils ont produit le strict mini-
mum de pensée politique pour
justifi er leur ligne de conduite,
alors qu’il en aurait fallu un maxi-
mum. Ils ont usé et abusé de mots
d’ordre creux et ont été réduits à
mener des politiques contradic-
toires. Cela les a surtout rendus
peu crédibles face à leurs adver-
saires politiques.
Pour ce qui est des Palestiniens
vivant en Israël [dans les fron-
tières de 1948] et qui voudraient
avoir accès à la politique au lieu
d’être abreuvés de mythes,
ils sont interdits de cité. Et
s’ils osent prendre la parole,
ils sont accusés de jouer le jeu de
la “normalisation avec Israël”.
Aujourd’hui, la cause palesti-
nienne paraît comme sclérosée.
Pis, elle ne peut plus s’articu-
ler avec d’autres luttes sociales
ou culturelles, toute autre cause
apparaissant fatalement comme
concurrente. Elle est devenue un
instrument d’une grande effi cacité
pour tuer le pluralisme, réduire à
néant le débat et renforcer tout
régime autoritaire. Ce n’est donc
pas un hasard si cela a produit un
état d’esprit à la Hamas, propice
à toutes les surenchères.
Aujourd’hui, avec l’impasse
dans laquelle se trouvent les
Palestiniens face à la violence

d’Israël et à la perspective d’un
“deal du siècle” [le plan améri-
cain assez biaisé de Trump] totale-
ment inique, il apparaît que, pour
raviver la cause palestinienne, il
faut la repolitiser, la soumettre à
nouveau au débat, l’interroger et
se féliciter à chaque fois qu’elle
suscite des désaccords.
Car tel est le cas de toute cause.
Au minimum, cela rendra impos-
sible que n’importe qui puisse
s’autoproclamer “représentant”
de cette cause qui est, encore
aujourd’hui, adulée de tous mais
instrumentalisée par n’importe
qui. Il est grand temps que cette
mascarade cesse.
—Hazem Saghieh
Publié le 16 septembre

Palestine.


Désacraliser


la cause


Si le combat pour les Palestiniens est aujourd’hui
dans l’impasse, c’est parce qu’il a été sacralisé
par des régimes autoritaires arabes pour étouff er
les critiques. Il est temps de le soumettre au débat.

Mais où est


donc la Te rre


promise?
●●● Ils étaient
400000 réfugiés
palestiniens au Liban. Ils
ne sont plus que 174000.
Les discriminations,
exclusions et politiques
d’intimidation menées
par les diff érents
gouvernements de
Beyrouth ont fait fuir les
Palestiniens vers d’autres
terres plus clémentes.
Début septembre, des
dizaines de milliers de
Palestiniens ont manifesté
devant les ambassades
du Canada, d’Australie
et de l’Union européenne
pour demander l’asile
humanitaire. Au cours
des derniers jours,
24000 Palestiniens
ont postulé pour un visa
d’immigration à
l’ambassade canadienne
à Beyrouth. Mais une
rumeur propagée
sur les réseaux sociaux
commence à les séduire,
révèle Al-Modon. Il y
aurait un vaste territoire
situé entre l’Égypte
et le Soudan, et qui n’est
sous la juridiction d’aucun
des deux pays,
qui pourrait accueillir tous
les réfugiés de la terre.
Les Palestiniens
commencent à rêver
de ce pays imaginaire.

[1970-2000] était déjà passé maître
dans ce domaine. Lui qui avait tué
plus de Palestiniens qu’Israël, lui
qui avait divisé l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP)
pour la noyer dans une guerre qui
s’était soldée par la terrible défaite
de 1982 [avec l’invasion israélienne
du Liban] et qui avait conduit l’OLP
à se rendre, exsangue, à la table
des négociations d’Oslo, celui-là

même avait continué de jouer la
comédie, s’érigeant en “représen-
tant” des Palestiniens.
Quant à Bachar El-Assad, suc-
cédant à son père non seule-
ment à la tête de la mal nommée
“République” syrienne, mais aussi
dans le rôle usurpé de “représen-
tant” de la Palestine, il n’a pas
cessé de nuire aux Palestiniens,
comme en témoigne la destruc-
tion du camp de réfugiés pales-
tiniens de Yarmouk [en 2018, au
sud de Damas].
Quelle est donc cette équation
qui fait que n’importe qui peut se
prétendre “représentant” de la
Palestine, quand bien même ses
actes suggèrent tout autre chose?
Il y a surtout un dysfonctionne-
ment dans les cerveaux et dans
les cœurs arabes.
C’est probablement la
manière dont on évoque le
sujet, depuis des généra-
tions, qui est principa-
lement en cause. Car
les régimes arabes, et
plus particulièrement
les régimes militaires,
l’ont dépouillé de sa
dimension politique
pour en faire une
cause sacrée.
Le but était
de la préser-
ver de toutes
ces questions
très terre à
terre que sont
la construc-
tion de l’État,
le dévelop-
pement de

la société et la gestion concrète
du quotidien pour améliorer les
conditions de vie. La cause étant
“sacrée”, il fallait la prendre en
bloc, sans rien ajouter, ni retran-
cher, ni modifi er.
Toute critique, tout débat
sérieux apparaissaient dès lors
comme un outrage ou une trahi-
son. C’est ainsi qu’à chaque fois
que quelqu’un lance un obus sur
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