Courrier International - 19.09.2019

(avery) #1

Courrier international — no 1507 du 19 au 25 septembre 2019 Lettre aux futurs habitants des maLdives. 35


Le Pacifique lutte


●●● Les États insulaires du Pacifique sont
en première ligne face à la montée des
eaux : déjà, à Fidji, plusieurs villages
rendus inhabitables ont été reconstruits
loin des côtes. Ces quinze micro-États
menacés ont su se rendre incontournables
dans les négociations climatiques.
— En 2015, leur activisme diplomatique
a permis de fixer, dans l’accord final
de la COP21 à Paris, l’objectif de limiter
la hausse moyenne des températures
à 2 degrés d’ici à 2100, rappelle
le magazine Time. Une gageure pour
ces 15 micro-États.
— En 2017, Fidji a dirigé la COP23
et a lancé le dialogue de Talanoa,
une plateforme de discussions sur les
efforts consentis par les États pour limiter
leurs émissions de gaz à effet de serre.
— En 2019, ils ont rappelé, en juillet,
la nécessité d’une “action urgente” dans
la Déclaration de la baie de Nadi, signée
à Fidji. À New York, le secrétaire général
des Nations unies, António Guterres,
entend quant à lui placer ces pays au cœur
du débat politique et moral lors du
Sommet Action Climat, le 23 septembre.

Chronologie


“Nous devons les présenter
comme des individus
qui cherchent des solutions.”
Darren Brunk, OxFAm, NOUveLLe-zÉLANDe

—Stuff Welling ton

L


a mer engloutit lentement la terre de Josephine
Lagi. Sa famille vit aux îles Salomon depuis
des générations, et elle assiste impuissante
aux dégâts infligés à son île par les caprices
du bouleversement climatique. La montée
des eaux fait disparaître les plages et l’habi-
tat. La situation empire chaque jour, mais Lagi
et sa famille s’adaptent. Ils comptent parmi les
habitants des îles du Pacifique qui choisissent
d’essayer d’“atténuer” les effets du changement
climatique et de s’en accommoder plutôt que de
les fuir. Ils construisent des digues pour enrayer
la montée des eaux. Ils ne comptent quitter leur
maison sur leur petite île qu’en “dernier recours”.
“Nos ancêtres et nos grands-parents y sont nés. La
maison a été transmise de génération en génération.
Déménager serait un crève-cœur.”
Les parents de Lagi sont les premiers témoins
des bouleversements les plus importants et les
plus graves. Depuis qu’elle a elle-même démé-

nagé à Wellington pour terminer ses études, elle
constate, à chacun de ses retours annuels, com-
bien le paysage a changé par rapport au souve-
nir qu’elle en garde. “Quand j’étais petite, le dessin
de la côte était complètement différent”, dit- elle.
Quand le moment viendra de quitter son foyer
rendu inhabitable, cette famille aura au moins
la satisfaction d’avoir tout mis en œuvre pour
sauver son île ravagée par le changement clima-
tique. Ces dernières années, un grand nombre
d’habitants des îles du Pacifique, dépassés par les
effets du climat sur leurs habitations, à Kiribati
et Tuvalu par exemple, ont fait une demande
d’asile en Nouvelle-Zélande. Mais leurs demandes


  • malgré l’attention internationale dont elles ont
    fait l’objet en 2015 et 2017 – ont toutes été rejetées.
    Le terme “réfugié climatique” a beau être très
    utilisé, il n’est pas considéré comme un terme
    adéquat ou suffisamment précis pour décrire
    ceux qui sont contraints de quitter leur foyer à
    cause du changement climatique. Vernon Rive,
    chargé de cours sur l’environnement à l’univer-
    sité de technologie d’Auckland, préfère parler de
    “personnes déplacées à cause du climat” ou de
    “migrants climatiques”, mais pas de “réfugiés”.
    Pour Darren Brunk, spécialiste de l’humanitaire
    à Oxfam Nouvelle-Zélande, l’utilisation du terme
    “réfugié” dans cette situation est une manière
    de faire rentrer de force le sujet du climat dans
    la Convention des Nations unies sur le statut des
    réfugiés, signée à Genève en 1951 [prévue alors
    pour des cas de persécutions politiques].
    Josephine Lagi ne trouve pas ce terme pro-
    blématique, mais elle comprend ses connota-
    tions négatives. La perception que la société a
    des réfugiés peut dissuader les habitants des îles
    de se réclamer de ce statut. “Il n’y a rien de mal à
    être un réfugié climatique, mais il faut tenir compte
    de la situation, certaines personnes n’ont sans doute


pas envie d’être vues comme tel”, explique-t-elle. De
nombreux habitants des îles ne veulent pas être
considérés comme des victimes, dit Vernon Rive,
mais plutôt comme “des gens qui prennent leur destin
en main et qui se donnent les moyens de conserver
leur souveraineté sur leurs territoires et les eaux”.
Il suffit de constater les tentatives de nom-
breuses communautés de lutter contre le dérè-
glement climatique. Darren Brunk a été témoin
de ces efforts d’adaptation dans plusieurs régions
du Pacifique. “Ils nous font comprendre que nous,
en Nouvelle-Zélande, ne devons pas les présenter
comme des réfugiés, mais plutôt comme des indivi-
dus qui cherchent des solutions.” Mais si les effets
du changement climatique s’aggravent, s’adap-
ter ne suffira plus. Vernon Rive pense que “des
déplacements ou des transferts de lieu de résidence
à l’intérieur des pays sont inévitables à court ou à
moyen terme”.
S’installer sur le même territoire mais dans
un autre lieu sera possible dans “certains pays
du Pacifique qui ont des terres en hauteur, proba-
blement pas dans d’autres (notamment Kiribati et
T u v a lu)”. Même si ce n’est pas ce qu’elle sou-
haite, Josephine Lagi comprend la nécessité de
partir en cas d’urgence climatique. “Nou s n’au-
rons pas d’autre choix que de déménager et de cher-
cher asile ailleurs.” Si c’est le cas, elle espère qu’il y
aura des lois pour protéger les habitants des îles
du Pacifique afin de les aider à s’installer dans
d’autres pays.
—Brittney Deguara
Publié le 24 mai

S’adapter


plutôt qu’être


réfugié


Le contour des îles Salomon


a déjà changé sous l’effet


du changement climatique.


Mais les habitants refusent


pour le moment de partir,


constate ce site néo-zélandais.

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