Courrier International - 19.09.2019

(avery) #1

  1. Courrier international — no 1507 du 19 au 25 septembre 2019


À 20 ans, ce prodige


du Bronx est salué


comme l’un des plus


grands talents 


du skate américain.


Une fierté pour


les New-Yorkais,


dans un univers


dominé par les riders


de la côte Ouest.


—The New York


Times Magazine,


N e w Yo r k


Tyshawn Jones


a dompTé new york


permettent de se propulser, lui et sa planche, par-dessus
ou sur tout ce qu’il veut, donnant parfois l’impression de
rester suspendu une fraction de seconde au mitan de son
saut. Tyshawn Jones a découvert le skate à travers les jeux
vidéo, et on a parfois le sentiment qu’il se fie aux lois sur-
naturelles de ces mondes imaginaires pour savoir ce qu’il
peut faire ou non sur une planche.
Un après-midi de décembre, un lundi, Tyshawn est
invité à se rendre à T.F. West par son sponsor, la marque
de vêtements Supreme, qui lui a fait croire qu’il allait sim-
plement me donner une interview. En fait, il est là pour
s’entendre dire de la bouche de Jake Phelps, le rédacteur
en chef de Thrasher [un mensuel américain de référence
dans le monde du skate], qu’il vient de remporter le prix
du Skateur de l’année, décerné par le magazine – c’est-
à-dire la plus haute distinction, si tant est qu’il en existe
d’autres, à récompenser le skate de rue. La cérémonie se
résume à peu de chose : Jake Phelps arrive sur les lieux
avec un cameraman, et Tyshawn ne met pas longtemps
à comprendre ce qui se trame.

“T’e s chau d ?” lui demande Jake Phelps.
“Grave !” répond Tyshawn, scellant le deal
d’une étreinte virile.

Quelqu’un traîne une poubelle vers un spot, à peu près
au milieu du terrain, et Jake Phelps demande à Tyshawn de
réaliser, en passant par-dessus, un switch kickflip [figure
qui consiste à faire tournoyer sa planche sur elle-même
lors du saut en se servant de son pied faible comme pied
d’appel] pour le photographe de Thrasher. Tyshawn, qui
vient d’avoir 20 ans, est somnolent en raison d’un déca-
lage horaire et d’une overdose de Fortnite [l’un des jeux
vidéo les plus populaires au monde]. Il rentre tout juste
du Japon, où il était en compagnie de l’équipe de Supreme
pour assister à la première de Blessed, le deuxième film de
skate long format produit par son sponsor, dont il

p


armi les spots préférés de Tyshawn Jones, il y
a le terrain de sport William F. Passannante, à
Greenwich Village. Même pour des skateurs
habitués à s’adapter à leur environnement, le lieu
présente un intérêt plus que limité : un simple
carré de bitume aux couleurs d’un terrain de
base-ball. Pas d’arêtes waxées, pas d’escaliers à jumper, pas
même de courbe, ne serait-ce que symbolique ; et, dès que
vous quittez le terrain à proprement parler, le sol devient
trop grossier pour être skatable. Pourtant, les skateurs
new-yorkais en ont fait un de leurs lieux de rendez-vous,
connu des jeunes du cru sous le nom de T.F. West – pour
Training Facility [site d’entraînement], une façon ironique
de se dire entre eux qu’il n’y a rien à rider ici.
À part les poubelles, qui, sous réserve qu’elles ne débordent
pas, peuvent constituer des obstacles ad hoc. La plupart
des skateurs les couchent, de sorte qu’elles leur arrivent
juste au-dessous du genou. Tyshawn Jones, lui, les laisse
généralement debout. L’année dernière, il a tourné à T.F.
West une vidéo de quelques minutes sur laquelle il mul-
tiplie les figures au-dessus des poubelles. Il donne une
telle impression de facilité que les corbeilles semblent
moins être des obstacles que des repères visuels, comme
le petit bonhomme qui sert à donner l’échelle quand on
dessine un gratte-ciel ou une baleine. Les Adidas vertes
de Tyshawn Jones, siglées à son nom, sont ornées d’une
poubelle de New York en miniature ; la marque fabrique
d’autres récipients, grandeur nature, pour les boutiques
de skate, avec le nom de “TYSHAWN” barrant leur bord
supérieur en grosses lettres.
Cela faisait longtemps que le milieu du skate n’avait pas
vu émerger de personnalité aussi marquante que Tyshawn
Jones. Quelqu’un qui, sorti de nulle part ou presque, redé-
finit ce qu’il est physiquement possible de faire sur une
planche. Tyshawn conjugue avec une aisance diabolique
force, souplesse, détente verticale, délicatesse et sens du
timing (ce que les skateurs appellent le “pop”), qui lui → 42

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