2019-08-09_50_Yam (1)

(Ben Green) #1
Entretien 45

Comment définiriez-vous votre métier de
directeur de restaurant?
Être le maître de maison, voilà ce que
j’aime. À chaque service, j’imagine que
je reçois les gens les plus importants
de ma famille, que je leur parle de
ce restaurant depuis longtemps et
qu’ils arrivent à l’instant. Je réfléchis
constamment à la manière dont je
peux accueillir les clients. Et bien 15
fois par soir, je vais avoir « de la famille
et des amis » et les recevoir avec mon
cœur et non ma tête. Je suis là pour leur
procurer du plaisir, de l’émotion, en
leur racontant des histoires. Et je n’ai de
cesse de transmettre cette passion à mes
équipes.


Pourquoi les métiers de salle sont-ils parfois
dévalorisés?
Car certains se construisent sur des
frustrations. Ils pensent qu’ils sont
uniquement là pour faire manger
des clients, apporter des plats. C’est
extrêmement réducteur, et je n’ai jamais
considéré mon métier ainsi.


Comment bien accueillir les clients?
Il faut avant tout connaître par cœur
l’endroit dans lequel vous vivez. La
cuisine que je représente devient un
second moi, une deuxième nature.
Nous sommes tels des illusionnistes
en salle car au final on parle aux
clients de recettes qu’on ne réalise pas
nous-mêmes. Ce sont d’autres têtes et
d’autres mains qui font ces plats, à nous
d’apporter un brin de poésie, de passion
à travers les mots. Et la richesse de la
langue française est magique pour cela.


Quels conseils donnez-vous aux nouveaux
arrivants en salle?
Une des premières questions que je leur
pose est : « Que représente pour vous
une table trois étoiles? » 9 fois sur 10,
ils me répondent : « La rigueur ». Une
vision réductrice car en considérant
qu’il faut avant tout être rigoureux, et
donc aller vers la perfection, on perd
toute l’humanité de notre métier. Je ne
veux surtout pas mettre la pression sur
l’équipe de salle. J’accepte l’erreur à
partir du moment où il y a beaucoup de
gentillesse. Chaque geste qui est fait doit
être empreint de douceur. Si un serveur
adopte une telle attitude, le client le
ressentira immédiatement.

Quelle est la clé pour bien présenter un plat?
À la Vague d’Or, j’ai 5 chefs de rang :
tous tendent vers le même objectif,
procurer du plaisir et de l’émotion,
mais chacun doit l’atteindre avec ses
propres mots. Nous sommes face à
5 personnalités différentes, il paraît
donc logique que leur discours soient
différents. C’est sûrement la part la
plus délicate de ce métier. L’idée n’est
surtout pas de leur faire apprendre une
présentation par cœur, pour qu’elle soit
restituée telle quelle aux clients. Je leur
explique la façon de faire, mais les mots
doivent être les leurs. Pour cela, à moi
de les mettre dans de bonnes conditions
et de leur faire comprendre que chaque
terme employé a son importance. Vous
avez tous les sens à disposition, la parole,
le regard, le toucher, tout est là. À nous
d’entremêler ces éléments pour trouver
la plus belle réalisation. Notre travail est

aussi dans la recherche, savoir parler de
la composition du plat, du producteur
qui se cache derrière un ingrédient...

Avec Arnaud Donckele, vous formez un binôme
assez hors norme. Parlez-nous de votre
relation...
Tout s’est fait très naturellement.
Nous parlons le même langage,
avons les mêmes valeurs, sommes des
amoureux constants de la vie. Depuis
2008, nous sommes sur le même
chemin. On part en vacances ensemble,
nos épouses s’entendent à merveille,
nos enfants aussi. Lorsqu’Arnaud
crée une recette, nous échangeons
sur la façon de l’appréhender, je lui
dis de quelle manière je vais raconter
l’histoire de ce plat.

RENCONTRE AVEC

THIERRY DI TULLIO

Voilà bien longtemps que nous avions envie de mettre en avant la salle


dans les pages de Yam. Si les chefs, pâtissiers et autres sommeliers ont su faire


reconnaître leur talent et sortir de leurs coulisses, les métiers de salle restent


encore (trop) discrets. Pour démarrer cette mise à l’honneur, nous ne pouvions


tomber sur meilleur porte-parole. Thierry Di Tullio, directeur de la restauration


de l’Hôtel Cheval Blanc Saint-Tropez, nous parle de son métier passion.


TEXTE LESLIE GOGOIS | PHOTO PHILIPPE VAURÈS SANTAMARIA


Thierry Di Tullio vu par Arnaud Donckele
Thierry est une rencontre clé dans ma vie
professionnelle. Il est arrivé à la Pinède en
tant que directeur de la restauration en


  1. Il avait précédemment travaillé à la
    Réserve et chez Hélène Darroze. La première
    chose que je lui ai dite? Je veux qu’on se
    tutoie, qu’on déjeune et dîne ensemble en
    cuisine tous les jours. Notre amitié s’est faite
    naturellement et ne cesse de s’approfondir.
    En 2009, nous avons été élus Espoir de la
    cuisine, puis en 2010, nous avons décroché
    la deuxième étoile et en 2013, la troisième.
    Nous avons toujours énormément travaillé.
    À nos débuts, le soir, Thierry mettait les
    nappes sur les tables tandis que je repassais.
    Nous tournions les artichauts ensemble,
    on a constamment travaillé main dans la
    main. J’éprouve un respect infini pour son
    investissement, son engagement. Sa grande
    force, c’est qu’en tant qu’amoureux du
    produit, il sait raconter les plats. La cuisine
    n’est pas forcément simple à comprendre,
    mais lui arrive à mettre les mots justes. Il
    est aussi une des rares personnes à pouvoir
    me dire des choses que je n’accepterais pas
    de quelqu’un d’autre. Comme tout binôme,
    il nous arrive de ne pas être d’accord, mais
    nous somme toujours honnêtes l’un envers
    l’autre. C’est notre force.

Free download pdf