Le_Monde_-_21_09_2019

MLemagazine du Monde —21 septembre 2019

Étouffépar ses parents,

moqué par ses cama-

rades, le héros de

Christinecroit s’émanci-

per grâceàsavoiture.

La voituren’est plus unobjet maudit qui

bouleverse l’ordred’une sociétéprospère, mais

l’instrument signifiant lastandardisation d’un

pays.Avecelle,viennent les filles et les amis, puis

une respectabilitéetune confianceensoi repo-

sant sur la possession matérielle.

Carpenterainsisté pourtourneravec descomé-

diens inconnus, afin defairedeChristine–une voi-

turesii ncarnée qu’elleaunprénom –lav edettedu

film, et de donner ainsiàcedernier unetonalité

documentaireens’épargnant la présencede

vedettes.Le réalisateur revisitel’imagerie cinéma-

tographique des années 1950.

Son personnage principal, unefois émancipé,

arbo re le même blousonrouge que James Dean

dansLa Fureur de vivre,sauf quecelui-cicesse

d’êtr eunsigne de libération, comme dans le film

de Nicholas Ray, mais devient lesymbole de son

enfermement. Carpenter s’autorise aussiàposer

l’hypothèse,subversive, que les maux de l’adoles-

cenceaméricaine tiennent plusàson conformisme

qu’àune imaginairevoituremeurtrière.

Christine(1h51), de JohnCarpenter,édité

parCarlottadansuncoffretBlu-RayetDVD.

AuCouRs Des Années 1980,l’ADAptA-
tion Des RomAns Destephen King
devient un genreensoi du
cinéma américain. Unevague
étrennéeavec le succèsdeCarrie
(1976), de Brian DePalma, et de
Shining(1980), deStanley
Kubrick.Standby Me,Misery,DeadZone,
Simetierre,les droitscinématographiques des
romans de King se négocientavant même leur
publication, les lecteurs de l’écrivain américain ne
voyant aucun inconvénientàdécouvrir un livre
déjà divulgué sur grand écran.
En 1983, l’adaptation deChristinepar John
Carpenter–l’un destextes les plus quelconques
de Stephen King, soit l’histoired’une voitureissue
d’une chaîne d’assemblage du Detroit des
années 1950,qui serévèle hantée,indestructible,
et assassine–relève,pour leréalisateur améri-
cain, de lastrictecontraintematérielle.Carpenter
sort de l’échec cinglant deTheThing(1982),
vision nihiliste et métaphysique d’une invasion
extraterrestrequi commençedans unestation
isolée de l’Antarctique et dont le dénouement
envisage la fin du monde.Lepublic américain
préfèrelavision optimiste d’un filmtout aussi
magnifique,sorti au même moment, l’histoire
d’unextraterrestrebeaucoup moins belliqueux :
E.T.,de Steven Spielberg.
Se pliant auxexigences de lacommande,
Carpenter s’inscrit dans une autretendance, très
en vogue àl’époque:let eenage movie,avecles
productions John Hughes, qui met en scène les
désarrois adolescents et la vie au lycée.

Àtravers le portrait

d’un adolescent gauche,

qui se métamorphose en

achetant une automobile

des années 1950–la

voitureaméricaine par

excellence, symbole de la

puissancedes États-Unis

après-guerre–,Carpenter

réalise un film sur lerêve

américain et le malaise

adolescent.

Le DVDdeSamuelBlumenfeld. “Christine”.

Pages

coordonnéespar

ClémentGhys

94

Illustr

ation Sa

toshi Hashimot

opour

MLem

agazine du Monde

.1983

Columbia Pictures Industries, Inc.