0123
SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019 | 13
Un XV de France loin de son public
Les symptômes d’un profond désamour des Français pour le rugby sont légion
tokyo envoyé spécial
A
ntoine Dupont a
pensé à eux, malgré
tout. « A notre tour de
faire vibrer nos suppor
teurs. » Le jeune demi de mêlée et
ses coéquipiers du XV de France
s’apprêtent à vivre leur premier
match de cette Coupe du monde,
samedi 21 septembre, à Tokyo,
contre l’Argentine. Un premier
match important. Voire décisif
pour la suite des opérations et
une éventuelle qualification en
quarts de finale. Coup d’envoi :
9 h 15, heure française.
Combien de lèvetôt pour allu
mer leur télévision en cette
entame de weekend? Question
délicate, tant les Bleus du rugby
semblent s’éloigner de leur
public. Pas seulement en distance
kilométrique. Dans les esprits
aussi. Début septembre, Max
Guazzini en a encore fait l’expé
rience. « Dans une boutique d’ali
mentation, à Paris, je tombe sur un
joueur actuel du XV de France. Pas
un petit nouveau, précise l’ancien
président parisien du Stade fran
çais (19922011), célèbre pour ses
matchs à guichets fermés et ses
calendriers de joueurs en tenue
d’Adam. Je l’ai salué, bien entendu.
Mais personne ne le connaissait.
C’est moi qui ai dû le présenter. »
Boudés au Stade de France
La veille, les Français disputaient
pourtant leur dernier match de
préparation à domicile. Jamais
match de l’équipe nationale
n’avait rassemblé aussi peu de
spectateurs au Stade de France
que ce vendredi 30 août, à Saint
Denis, contre l’Italie. Environ
30 000. C’estàdire pas grand
monde, dans un stade de
80 000 sièges. Jacques Brunel a
préféré voir le stade à moitié plein,
alors le sélectionneur a trouvé
l’assistance « enthousiaste ».
Autre dégringolade, celle des
audiences. Le testmatch de TF1 a
moins intéressé que le téléfilm de
France 2 La Promesse de l’eau.
Score final : 3,29 millions de télés
pectateurs contre 3 millions. Il
s’agissait certes d’un simple Fran
ceItalie. Un vendredi soir d’été,
de surcroît. Mais les désertions se
multiplient.
En novembre 2018, quelque
50 000 spectateurs à peine ju
geaient bon d’assister au test con
tre l’Afrique du Sud, pourtant
l’une des meilleures nations
mondiales. Ce n’est pas faute
d’avoir fait venir gratis des clubs
de la région. Ni d’avoir bradé les
billets payants : moitié prix pour
ceux de troisième catégorie, pas
sant de 50 à 25 euros.
Ce n’est pas faute, non plus,
d’avoir délocalisé des matchs loin
du Stade de France. Sur des terres
où le rugby espérait profiter de l’ef
fet de surprise, l’affluence a égale
ment déçu. Miaoût, 25 000 spec
tateurs prenaient place à Nice
pour le premier match de l’été
contre l’Ecosse. Soit 10 000 sièges
vacants. Ce soirlà, comme d’habi
tude désormais, aucune annonce
au micro indiquant l’affluence
exacte pendant le match.
L’explication à ces gradins vides
se situe avant tout sur le terrain.
De fait, « on n’est pas une top
équipe mondiale », convient
Arthur Iturria. Qui va même plus
loin : « On n’est personne. » Le troi
sièmeligne a beau porter une
moustache d’antan, il a seule
ment 25 ans.
Ses débuts internationaux
datent de 2017, bien après les der
niers grands frissons de l’équipe
nationale : une finale du Mondial
(2011) et un Grand Chelem au
Tournoi des six nations (2010).
Bien après la Coupe du monde
2007 à domicile, aussi : un succès
populaire pour les Bleus, à défaut
de finale.
Leur sélectionneur d’alors pré
side désormais la Fédération fran
çaise de rugby (FFR). Sollicité par
Le Monde, Bernard Laporte n’a
pas souhaité commenter l’évolu
tion observée. Le dirigeant attend
surtout beaucoup de la prochaine
Coupe du monde en France, celle
de 2023.
Ce moisci, la « fédé » relaie une
enquête censée inciter à l’opti
misme : plus de 73 % des sondés
auraient une image positive du
XV de France, selon le millier de
personnes interrogées par le
baromètre Odoxa pour RTL.
Difficile, pour autant, d’occulter
affluences et audiences. Leur
faible niveau relève d’un même
« phénomène conjoncturel », se
lon Christophe Lepetit. Pour le
responsable des études économi
ques du Centre de droit et d’éco
nomie, à Limoges, « différentes
affaires ont terni l’image positive
de ce sport et de la fédération ».
Au premier rang de cellesci, un
dossier toujours en cours : le Par
quet national financier continue
d’enquêter sur des suspicions de
conflits d’intérêts entre Bernard
Laporte et Mohed Altrad, diri
geant du club de Montpellier.
La santé des pratiquants préoc
cupe aussi. Au premier trimestre,
une Fédération de parents de
joueuses et de joueurs de rugby
annonçait au Monde le dépôt de
ses statuts. Avec un leitmotiv :
« Que des décisions soient prises et
suivies dans le temps pour la sé
curité et la santé. » Trois drames
ont précédé cette création : la
mort de trois jeunes, en 2018, tous
à la suite de plaquages.
Entre contreperformances sur
le terrain et inquiétudes extra
sportives, Christophe Lepetit note
une « une inversion de la balance »
avec l’image des footballeurs fran
çais. Très mauvaise en 2010,
quand ces derniers quittaient le
Mondial sudafricain dès le pre
mier tour, sur fond de conflit tra
gicomique entre les joueurs et
leur entraîneur. Excellente
en 2018, année de leur titre mon
dial. « La Fédération française de
football a reconstruit progressive
ment cette image, notamment
grâce à l’Euro 2016 à domicile. »
De moins en moins de licenciés
Pour le moment, comme le grand
public, les pratiquants semblent
se détourner du rugby : 245 000 li
cences lors de la saison écoulée,
contre 289 000 lors de l’exercice
20152016, selon les chiffres fédé
raux communiqués au Monde.
Un sponsor important a égale
ment pris ses distances avec la
FFR. Le constructeur automobile
BMW a tenu à partir dès cet été,
alors que son partenariat pouvait
se renouveler en 2020. Plutôt
payer un dédit que de continuer.
La marque allemande a justifié ce
retrait de manière alambiquée,
par son souhait de « monter en
puissance sur des formats inter
actifs et numériques pour répon
dre aux attentes de plus en plus
diversifiées de ses clients ».
Pour en revenir à la billetterie,
en cherchant bien, on a tout de
même trouvé des dirigeants satis
faits. Ceux de la Ligue nationale
de rugby, l’organisation chargée
des clubs professionnels.
Emmanuel Eschalier, directeur
général, fait valoir « une progres
sion sensible » de l’affluence lors
des matchs du championnat de
France. « Nous sommes passés
d’un peu plus de 10 000 specta
teurs en moyenne par match
en 2007 à un peu plus 13 700 lors de
la saison écoulée. »
Preuve que le « potentiel » existe
toujours, à une échelle plus res
treinte. S’agissant du XV de
France, reste peutêtre à gagner
des matchs.
adrien pécout
Le retour surprise de Virimi Vakatawa chez les Bleus
Ancien de l’équipe de France à VII, le troisquarts centre sera titulaire, samedi, contre l’Argentine pour le premier match du Mondial
tokyo envoyé spécial
U
ne petite boutade du sé
lectionneur, pour com
mencer. Jacques Brunel
a annoncé « la compo pour ceux
qui ne l’ont pas encore eue. » Soit
jeudi 19 septembre, au surlende
main d’un article de L’Equipe indi
quant l’agencement du XV de
France qui disputera son premier
match de la Coupe du monde, sa
medi 21 septembre à Tokyo, con
tre l’Argentine.
Entre autres enseignements : la
présence de Virimi Vakatawa dans
l’équipe de départ. Quelque chose
d’impensable il y a encore peu de
temps. Le troisquarts centre des
Bleus a fait son apparition dans le
groupe en toute fin de prépara
tion, le 21 août, alors qu’il ne faisait
même pas partie des réservistes,
et que certains Bleus se rodaient
déjà ensemble depuis la dernière
semaine de juin. Le nouvel appelé
remplaçait alors Geoffrey Dou
mayrou, forfait pour la suite.
On l’a vu s’avancer timidement,
jeudi, dans la salle du palace to
kyoïte où les Bleus donnent leurs
interviews. Sweat noué à la taille,
le joueur d’origine fidjienne (quoi
que né en NouvelleZélande il y a
vingtsept ans) a parlé aux chaînes
de télévision, attendant patiem
ment son tour. Pas forcément
l’exercice qu’il affectionne le plus.
Mais c’est ainsi : le voilà mainte
nant titulaire, et donc exposé au
pensum médiatique. Cette fois, il
doit sa place sur le terrain à la bles
sure de Wesley Fofana, toujours
touché à une cuisse et ménagé
contre l’Argentine. La blessure de
ce dernier ayant connu une
« complication », la titularisation
de Vakatawa allait de soi, selon
Brunel. « Il a montré beaucoup de
qualités, beaucoup de présence de
puis son arrivée. » Le sélection
neur cite les « entraînements »,
comme le match amical contre
l’équipe japonaise des Yamaha Ju
bilo, le vendredi 13 septembre :
une victoire « douze essais à
trois », selon le décompte du capi
taine Guilhem Guirado, sans da
vantage de précision sur les mar
queurs d’essais.
Des qualités hors norme
Vakatawa, ce sont peutêtre ses
coéquipiers qui en parlent le
mieux. Ils évoquent d’abord un
homme plutôt en retrait dans le
vestiaire. « Virimi, on le connaît. Il
se sent déjà gêné d’être ici,
plaisante ainsi l’ailier Yoann Hu
get. Il dit’’bonjour’’, ’’excusemoi’’,
toujours en train de se faire par
donner. C’est quelqu’un de très
discret. »
Un joueur qui a aussi « des qua
lités hors normes », poursuit ce
même Huget : « C’est un joueur
derrière lequel nous, en tant
qu’ailiers, on peut se mettre. On
sait qu’il est à tout moment
capable de faire une passe qui
sort de derrière les fagots, donc à
nous de rester vigilants pour
avoir un maximum de ballons
derrière Virimi. »
Jacques Brunel s’appuie aussi
sur le testmatch du 30 août con
tre l’Italie, malgré la faiblesse de
l’adversaire (4719). « Sur ce
match, vu ce que Virimi a montré,
on a préféré le mettre sur cette
première rencontre » contre l’Ar
gentine. Une autre alternative à
Fofana existait pourtant, avec
Sofiane Guitoune, finalement
remplaçant.
Avant ce récent match contre
l’Italie, la dernière apparition de
Vakatawa en équipe de France re
montait à fort longtemps. Il avait
été aperçu sur le terrain en Ecosse,
au mois de février 2018. Encore
que. C’est à se le demander, tant il
avait alors semblé en difficulté...
L’international (18 capes) rebon
dit au moment où ne l’attendait
plus. Comme souvent avec lui.
Pendant trois saisons, le trois
quarts (qui peut aussi jouer à
l’aile) n’a connu aucun club. De
2014 à 2017, il faisait partie des ra
res joueurs sous contrat fédéral
avec l’équipe de France à VII. Le
temps de disputer les Jeux olym
piques 2016 de Rio, sans médaille
à l’arrivée. Mais également d’ef
fectuer ses débuts avec l’équipe
de France de rugby à XV, quelques
mois plus tôt, à l’initiative de Guy
Novès, alors sélectionneur : déjà
une victoire sur l’Italie, avec un
essai en prime.
En ce tempslà, la présence de
Vakatawa avec les Bleus du XV re
levait presque du symbole : l’hom
me s’entraînait toute l’année au
Centre national du rugby, à Mar
coussis (Essonne), avec ses cama
rades du VII. De quoi plaider pour
l’extension des contrats fédéraux
aux quinzistes? Ce projet reste
aujourd’hui encore chimérique,
face à l’opposition des clubs.
a. pt.
« Virimi est à tout
moment capable
de faire une passe
qui sort de
derrière les fagots.
A nous, ailiers, de
rester vigilants »
YOANN HUGET
ailier du XV de France
L’équipe de France au sanctuaire Fuji Sengen, à Fujiyoshida (Japon), dimanche 15 septembre. ISSEI KATO/REUTERS
Le test-match
contre l’Italie,
le 30 août,
diffusé sur TF1,
a moins intéressé
que le téléfilm
de France 2
« La Promesse
de l’eau »
LES CHIFFRES
4
Face aux Argentins, les Bleus
ne l’ont emporté qu’à quatre
reprises en dix confrontations
depuis 2008.
4
L’équipe de France a
remporté quatre de ses huit
matchs cette année,
perdant les quatre autres.
Lors du Tournoi des six
nations, les Bleus ont
totalisé deux victoires
et trois défaites. Leurs trois
matchs préparatoires au
Mondial se sont soldés par
deux victoires et une défaite.
9
Les Argentins restent sur
une série de neuf défaites,
dont une face à la France
en novembre 2018 (28-13).
Des Jaguares toutes griffes dehors
L’équipe d’Argentine, qui affrontera la France, samedi
21 septembre, à Tokyo, pour son premier match de la Coupe
du monde, sera très « monocolore », au sens où les joueurs
qui la composeront seront, pour une très grande majorité
d’entre eux (treize), issus des rangs d’une seule formation :
celle des Jaguares. La franchise joue tout au long de l’année
contre les meilleures provinces de l’hémisphère Sud, dans
le cadre du Super Rugby. Cette saison, les Jaguares ont atteint
la finale, battus, en juillet, par les Néo-Zélandais des Crusaders.
Les Français trouveront malgré tout, face à eux, une vieille
connaissance : le demi d’ouverture Nicolas Sanchez,
qui évolue au Stade français.