Le_Monde_-_21_09_2019

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INTERNATIONAL


SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019

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L’ONU sonne la mobilisation pour le climat


Antonio Guterres organise un sommet exceptionnel pour pousser les Etats à annoncer des actions concrètes


new york ­ envoyée spéciale

L


e dérèglement climatique
est plus rapide que nous. »
Depuis des mois, Anto­
nio Guterres n’a de cesse
de répéter cet avertissement. Le
secrétaire général des Nations
unies l’assène à chaque rendez­
vous diplomatique, lors du G
ou du G7, après chaque catastro­
phe, comme l’ouragan Dorian qui
a ravagé les Bahamas, ou à cha­
que déplacement, par exemple
lorsqu’il visite les petites îles du
Pacifique menacées par la mon­
tée des eaux. Mais, refusant de
céder à la fatalité, il assure égale­
ment que « cette bataille pour nos
vies, nous pouvons la gagner ».
Pour remporter ce combat
contre les émissions de gaz à ef­
fet de serre, il a convié les Etats
du monde entier à New York, du
samedi 21 au lundi 23 septembre,
pour un sommet exceptionnel
sur le climat. Avec une condi­
tion : que les dirigeants arrivent
avec des « plans concrets et réalis­
tes et non pas des discours », dans
le but de véritablement accélérer
la décarbonation de l’économie.
L’hôte de la cérémonie, dont il
maîtrise l’agenda puisqu’elle ne
relève pas des négociations cli­
matiques à proprement parler,
s’est même permis d’adresser des
requêtes plus spécifiques à la cen­
taine de pays qui seront présents.
Il demande aux dirigeants de
s’engager à atteindre la neutralité
carbone d’ici à 2050, et à indiquer
clairement qu’ils présenteront
des objectifs climatiques natio­
naux plus ambitieux en 2020.
Ce n’est pas tout. Antonio
Guterres a également appelé les
gouvernements à abaisser leurs
rejets carbonés de 45 % d’ici à
2030, à stopper tout nouveau
projet de centrale à charbon

après 2020 et à mettre fin aux
subventions aux énergies fossi­
les. Du jamais­vu pour un secré­
taire général de l’ONU.
« Antonio Guterres a mis la
barre haut, exactement là où elle
doit être, juge Laurence Tubiana,
directrice de la Fondation euro­
péenne pour le climat. C’est un
moment de vérité pour l’accord de
Paris, à un an d’une échéance cru­
ciale. » L’accord de Paris de 2015,
conçu comme un processus dy­
namique, prévoit que les Etats
soumettent de nouveaux plans
de réduction des émissions, plus
ambitieux, tous les cinq ans.

Coup d’accélérateur
La première échéance survient
en 2020, année de la mise en
œuvre effective de leurs promes­
ses. A un moment où les élans
nationalistes freinent toute
velléité de leadership climatique,
le sommet de New York se
veut donc être le coup d’accéléra­
teur de ce processus.
Car les jours sont comptés. Alors
que les scientifiques appellent à
réduire immédiatement les gaz à
effet de serre, les engagements
pris par les 196 pays signataires de
l’accord de Paris pour faire décroî­

tre leurs émissions sont insuffi­
sants : ils mettent la planète sur
une trajectoire de réchauffement
de 3,2^0 C d’ici à la fin du siècle – à
supposer qu’ils soient tenus, puis­
que les émissions continuent
d’augmenter année après année.
Respecter ce traité international,
qui vise à maintenir le réchauffe­
ment bien en deçà de 2^0 C, et si
possible 1,5^0 C, implique donc de
tripler, voire de quintupler le ni­
veau d’effort.
« Nous vivons un moment criti­
que. La population sent, com­
prend et même désormais vit l’ur­
gence climatique », analyse
Pierre Cannet, codirecteur des
programmes du Fonds mondial
pour la nature (WWF) France.
« Ce nouveau sommet s’inscrit
dans un profond changement de
société, avec une reprise de con­
trôle des citoyens ainsi qu’une
mobilisation des entreprises »,
poursuit­il. En 2014, Ban Ki­
moon, le prédécesseur d’Antonio
Guterres, avait organisé un
grand sommet similaire pour
faire pression sur les dirigeants
avant l’adoption de l’accord de
Paris. Depuis cinq ans, la mobili­
sation citoyenne a gagné en am­
pleur et en poids.

Vendredi 20 septembre, dans
plus de 150 pays, plusieurs mil­
lions de citoyens, en particulier
des jeunes, ont prévu de descen­
dre dans les rues pour une
« grève globale » pour le climat.
En particulier à New York, où les
manifestants seront rejoints par
Greta Thunberg, la jeune Sué­
doise devenue une icône de la
lutte contre le réchauffement.
Samedi, plus de 600 de ces jeu­
nes se réuniront à l’ONU pour un
sommet de la jeunesse pour le cli­
mat – une première. Ils devront
émettre des propositions de solu­
tions, qu’ils soumettront aux di­
rigeants lundi. Ce jour­là, lors du
sommet pour l’action climatique,
une soixantaine de pays, choisis
pour avoir élaboré les stratégies
les plus ambitieuses, présente­
ront leurs plans. Parmi eux, figu­
rent la France (le président Em­
manuel Macron fera le déplace­
ment avec la ministre de la transi­
tion écologique et solidaire,
Elisabeth Borne, et sa secrétaire
d’Etat, Brune Poirson), le Royau­
me­Uni (avec le premier ministre
Boris Johnson), l’Allemagne (avec
la chancelière Angela Merkel),
l’Inde (avec le premier ministre
Narendra Modi), la Chine (repré­
sentée à un niveau ministériel)
ou encore le Chili, qui accueillera
la COP25 en décembre.
Des coalitions de pays, de villes,
de régions, d’entreprises et
d’autres représentants de la so­
ciété civile exposeront égale­
ment des initiatives, « suscepti­
bles d’être mises en œuvre tout de
suite et répliquées », précise le
Mexicain Luis Alfonso de Alba,
l’envoyé spécial du secrétaire gé­
néral pour le sommet. Il s’agira
par exemple de s’engager à se
passer du charbon, à améliorer
l’efficacité énergétique ou à
effectuer une transition vers une

ville verte. Ces coalitions ont été
formées dans le cadre de
neuf pistes de travail dirigées par
différents pays, qui compren­
nent la transition énergétique, la
transition industrielle, la rési­
lience et l’adaptation, les solu­
tions fondées sur la nature ou le
financement climatique.
Comment juger du succès de ce
sommet qui risque de cumuler
réelles avancées et effets d’an­
nonce? « Il s’agira de voir si beau­
coup de pays, notamment parmi
les gros émetteurs, s’engagent sé­
rieusement à rehausser leurs ef­
forts d’ici à 2020, répond Luis Al­
fonso de Alba. Et si des initiatives
substantielles émergent des coali­
tions, notamment en ce qui con­
cerne la fin du charbon. »

Attente forte
Selon un décompte du pro­
gramme des Nations unies pour
le développement, publié le
18 septembre, 75 pays, représen­
tant 37 % des émissions mondia­
les de gaz à effet de serre, seraient
prêts à relever leur contribution
à l’accord de Paris. Ce panel, dont
la moitié est représentée par les
petits Etats insulaires, ne compte
toutefois pas les nations les plus
émettrices. Alors que les chefs

d’Etat et de gouvernement des
Etats­Unis, du Canada, de l’Aus­
tralie et du Brésil ne feront pas le
déplacement, l’attente est forte
envers la Chine et l’Union euro­
péenne. « Nous sommes très
confiants que la Chine arrive avec
des engagements clairs et un ni­
veau d’ambition plus élevé », as­
sure Luis Alfonso de Alba.
En marge du G20 de juin, la
Chine s’était engagée, dans une
déclaration commune avec la
France et Antonio Guterres, à
« accroître ses efforts » et à publier
d’ici à 2020 sa « stratégie à long
terme de développement à faibles
émissions de gaz à effet de serre ».
Pékin reste toutefois très flou sur
la nature de son intervention à la
tribune de New York.
De son côté, l’Union euro­
péenne, troisième pollueur mon­
dial après la Chine et les Etats­
Unis, a échoué, lors d’un conseil
de juin, à adopter un objectif de
neutralité carbone en 2050, mal­
gré le soutien de 24 pays. Le
Conseil européen espère obtenir
un consensus « dans les prochains
mois », afin que l’UE puisse pré­
senter à l’ONU sa stratégie à long
terme « début 2020 ».
Pour beaucoup d’observateurs,
si la neutralité carbone est un
bon point d’arrivée, la trajectoire
doit être revue à la hausse. « A
New York, la France doit annon­
cer son soutien à la relève de l’am­
bition européenne sur le climat
pour 2030, comme l’Allemagne
est en train de le faire », explique
Neil Makaroff, responsable des
politiques européennes au Ré­
seau Action Climat. Alors que
l’Europe a promis de réduire ses
émissions d’au moins 40 % d’ici
à 2030, Antonio Guterres l’ap­
pelle à passer à − 55 % à cette date,
et les ONG à − 65 %.
audrey garric

Préparatifs,
le 15 septembre,
en amont de la
20 e marche pour
le climat, à New
York. JOHANNES
EISELE/AFP

« Nous vivons un
moment critique.
La population
sent, comprend et
même désormais
vit l’urgence
climatique »
PIERRE CANNET
codirecteur des programmes
du WWF France

Attentes financières des pays du Sud


La question du financement, pour permettre notamment l’adap-
tation des pays les plus vulnérables, sera également au cœur
des enjeux du sommet. Selon les dernières données de l’OCDE,
les pays développés ont versé 71 milliards de dollars (64 mil-
liards d’euros) aux pays en développement en 2017, un montant
en progression, mais encore loin de l’objectif de 100 milliards
de dollars par an d’ici à 2020. A New York, certains Etats
pourraient s’engager à augmenter leur contribution au Fonds
vert pour le climat, l’un des mécanismes financiers créés pour
mobiliser l’argent des pays du Nord en faveur de ceux du Sud.
Dans deux communiqués séparés, mardi, la Chine et l’Inde ont
demandé aux pays développés de leur fournir l’aide financière
nécessaire à l’accroissement de leurs plans climatiques.
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