22 |disparitions SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019
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3 SEPTEMBRE 1936
Naissance à Hammam
Sousse (Tunisie)
1956 Etudes militaires
à Saint-Cyr puis à l’école
d’artillerie de Châlons-
sur-Marne
1958-1974 Directeur
de la sécurité militaire
de Tunisie
1974 Attaché militaire
à l’ambassade de Tunisie
au Maroc
1980 Ambassadeur
en Pologne
1984 Nommé secrétaire
d’Etat à la sûreté natio-
nale sur fond d’« émeutes
du pain »
1986 Ministre de
l’intérieur
1987 Nommé premier
ministre, il dépose Habib
Bourguiba et le remplace
à la tête de l’Etat
1994 Unique candidat à
l’élection présidentielle, il
obtient 99,9 % des suffra-
ges. Réélection en 1999,
2004 et 2009
2011 Annonce son inten-
tion d’abandonner le
pouvoir en 2014, à la fin
de son mandat
14 JANVIER 2011 Quitte
la Tunisie
19 SEPTEMBRE 2019
Mort en Arabie saoudite
Zine ElAbidine
Ben Ali
Ancien président de la
Tunisie, de 1987 à 2011
L
e président déchu de Tu
nisie, Zine ElAbidine Ben
Ali, est mort jeudi 19 sep
tembre à l’âge de 83 ans en
Arabie saoudite, où il vivait en exil
depuis la révolution de 2011.
Après plus de deux décennies
d’un pouvoir répressif, Ben Ali
avait été renversé début 2011 par
un mouvement populaire, point
de départ d’une vague de révoltes
dans la région connue sous le
nom de « printemps arabe ».
Il aura tenu vingttrois ans au
pouvoir, mais sera tombé en
moins d’un mois. De Zine ElAbi
dine Ben Ali, les Tunisiens gar
deront sans doute le souvenir de
sa dernière apparition télévisée,
le 13 janvier 2011 : l’homme qui
les a fait trembler pendant pres
que un quart de siècle semble
défait, presque apeuré. « Je n’étais
pas au courant », « on m’a
trompé », « je vous ai compris »,
ditil, presque suppliant.
Mais c’est déjà trop tard : ce
troisième discours en une se
maine sonne comme un aveu de
faiblesse. La rue ne veut plus d’un
homme dont elle sait qu’il ne tient
jamais ses promesses. Elle conti
nue d’exiger sa démission. Vingt
quatre heures plus tard, Ben Ali
quitte le pays pour Riyad, en Ara
bie saoudite, dans des conditions
piteuses, en compagnie de tout
son clan, en pleine débandade.
Ce départ a l’allure d’une fuite et
achève de ruiner son image. Le
raïs apparaît soudain comme un
tigre de papier. Il n’inspire plus
que des sarcasmes, mais cette
foisci les Tunisiens peuvent cla
mer haut et fort ce qu’ils disent
tout bas depuis des années : ils
haïssent cet homme dont l’Eu
rope, France en tête, s’obstine à
chanter les mérites, pour trois
raisons au moins : sa lutte contre
l’islamisme, le statut de la femme
tunisienne – inégalé dans le
monde arabe depuis Bourguiba –
et enfin la prospérité économi
que de la Tunisie, petit pays dénué
de ressources en hydrocarbures, à
l’inverse de ses puissants voisins.
Des trois dirigeants du
Maghreb, le président Ben Ali
aura sans doute été le plus exécré
par son peuple. Même ceux qui
profitaient du système qu’il avait
instauré le détestaient. Rares
sont ceux qui se souviennent
aujourd’hui que, lors de son arri
vée au pouvoir, le 7 novem
bre 1987, le tombeur du président
Habib Bourguiba avait soulevé un
immense espoir.
« Il a toujours été fragile »
En destituant en douceur le « père
de la nation », devenu sénile, celui
qui est alors premier ministre li
bère les Tunisiens de trente ans
de bourguibisme et d’une fin de
règne chaotique. « L’époque que
nous vivons ne peut plus souffrir ni
présidence à vie ni succession
automatique à la tête de l’Etat qui
excluraient le peuple », annonce le
nouvel homme fort du pays, dans
sa première allocution à la radio
nationale, ce qui provoque un
enthousiasme presque incrédule.
De ce militaire de formation,
par ailleurs diplômé d’électro
nique (son hobby), on ne sait
cependant pas grandchose à
l’époque. Le nouveau venu a
51 ans. Il est silencieux et cultive
même le mystère.
Tout au long de sa carrière, Ben
Ali va faire preuve d’habileté, et
même de rouerie. De 1958 à 1974,
il est directeur de la sécurité
militaire. Après l’échec de l’union
tunisolibyenne auquel il est
soupçonné d’avoir été mêlé, il est
envoyé en exil comme attaché
militaire à Rabat, au Maroc. Il re
vient trois ans plus tard à Tunis, à
la direction de la sûreté. C’est sans
états d’âme qu’il mate des mani
festations, en janvier 1978.
Nouvel exil en avril 1980 : sous
la pression de Wassila Bourguiba,
l’épouse du vieux président, il est
écarté de son poste de directeur
de la sûreté. « En apprenant la
nouvelle, il est tombé inanimé de
sa chaise, dans le bureau du minis
tre de l’intérieur. C’est alors que j’ai
mesuré sa fragilité psychologique.
Il a toujours été fragile, contrai
rement aux apparences », raconte
un témoin de la scène.
Ben Ali est alors envoyé à Varso
vie comme ambassadeur. Quatre
ans plus tard, il est rappelé à Tu
nis. Les « émeutes du pain » vien
nent de se produire. On a besoin
de cet homme d’ordre. En octo
bre 1984, il est nommé secrétaire
d’Etat à la sécurité nationale.
« A un militaire qui le félicitait, il a
riposté : “Cette foisci, ce sera diffi
cile de me faire quitter le ministère
de l’intérieur” », se souvient l’un
de ses anciens collègues. C’est à
partir de ce moment que Ben Ali
tisse sa toile sur le pays.
Pour arriver à ses fins, le mili
taire devenu policier va agiter
l’épouvantail islamiste. Devenu
ministre de l’intérieur en 1986, il
déclare à ses collègues, interlo
qués, lors du premier conseil des
ministres auquel il participe :
« Dans notre lutte contre les isla
mistes, nous devons recourir à
deux méthodes : la désinformation
et les délinquants. Nous allons les
sortir de prison pour leur confier
des tâches de police. » Le système
Ben Ali est né. Il ne fera que se ren
forcer au fil du temps, jusqu’à ren
dre l’atmosphère irrespirable.
Après son accession au palais de
Carthage, le nouveau président
applique à la lettre sa stratégie. Il
fait la chasse aux islamistes, avant
de s’en prendre à la gauche, puis à
tous les démocrates. La presse est
muselée, le multipartisme inter
dit – à l’exception d’une opposi
tion de décor –, la liberté d’asso
ciation confisquée et la justice
mise aux ordres.
Chacun vit sous le règne de l’ar
bitraire. Quiconque se rebiffe
s’expose à des représailles de
tous ordres, des plus mesquines
aux plus violentes : filature, dé
tention arbitraire, confiscation
de passeports, tabassages en rè
gle, lignes téléphoniques cou
pées, communications Internet
détournées, domiciles mis à sac,
locaux professionnels cambrio
lés, assèchement économique
par le biais de licenciements,
d’intimidations ou de redresse
ments fiscaux, campagnes d’in
sultes ordurières contre les oppo
sants et les militants des droits de
l’homme, tortures...
Passe-droits et rackets
Des années durant, la peur va l’em
porter sur la rage. Pourtant, le mé
contentement grandit. La popula
tion a le sentiment qu’elle s’est fait
gruger. On lui avait promis la
prospérité en échange des libertés,
désormais confisquées : elle es
time n’avoir ni l’une ni les autres.
Avec une économie diversifiée et
un taux de croissance de 6 % à 8 %
par an, la situation économique
du pays n’est pourtant pas si mau
vaise. Mais la répartition des ri
chesses est inégale, ce qui entraîne
rancœurs et frustrations.
D’année en année, le problème
du chômage, en particulier des
jeunes, s’installe comme une
bombe à retardement. Le palais
de Carthage, qui utilise la déli
vrance des diplômes comme un
outil démagogique, n’en prend
pas la mesure. Dans les foyers, on
tient Ben Ali responsable de tout
ce qui ne va pas : la crise de l’em
ploi tout d’abord, mais aussi les
salaires trop bas – le minimum est
à 250 dinars, soit 130 euros –, les
passedroits, le racket des petits
fonctionnaires, des policiers no
tamment. Ou encore l’obligation
d’adhérer au parti au pouvoir, le
Rassemblement constitutionnel
démocratique (RCD), pour obte
nir un travail, une bourse, un per
mis de construire, etc.
Les Tunisiens vivent de plus en
plus mal ce maillage étouffant de
la société par le RCD et ses affidés
- comités de quartier et indica
teurs. Les parents s’inquiètent
pour leurs enfants. « Qu’allons
nous leur léguer? Un pays où l’Etat
de droit n’est qu’un mot en l’air? »,
s’interrogentils en substance,
avec anxiété et colère, tout en
poussant leur progéniture à émi
grer au Canada ou en Australie,
faute de pouvoir traverser la Mé
diterranée, puisque les Européens
bouclent leurs frontières.
Au fil du temps, un sujet en
vient à dominer tous les autres,
alimentant la frustration géné
rale : la mainmise de la famille sur
le pays. Autrement dit la rapine
exercée par « les frères, les gendres,
les neveux, les Trabelsi, les Ben Ali,
les Materi, tout ce clan qui ne cesse
de grossir et de s’accaparer les ri
chesses du pays », se diton à voix
basse, avec exaspération. Le res
sentiment ne cesse de grandir.
Les Tunisiens n’ont que mépris
pour le couple présidentiel.
A partir du milieu des années
2000, le chef de l’Etat se coupe
du pays. Lui qui excellait, du
fond de son palais, à prendre le
En 1988.
JACQUES LANGEVIN/
SYGMA VIA GETTY
IMAGES
pouls du petit peuple, grâce à ses
innombrables relais policiers, se
retranche dans une bulle fami
liale soigneusement entretenue
par sa seconde épouse, Leïla Tra
belsi, une ancienne coiffeuse de
vingt et un ans sa cadette, qu’il a
épousée en 1992, après avoir di
vorcé de sa première épouse,
Naima Kéfi. Tous ceux qui lui
portaient la contradiction sont
écartés, ne restent que les flagor
neurs. S’il continue, chaque ma
tin, de se lever tôt, Ben Ali ne tra
vaille plus qu’à mitemps au pa
lais de Carthage.
Sitôt la matinée terminée, il re
gagne sa résidence privée, à Sidi
Bou Saïd, pour déjeuner avec le
dernier de ses cinq enfants, son
jeune fils, Mohammed Zine, né
en 2005, qu’il adule. Sa santé est
plutôt bonne. Le président souf
fre d’arthrose, en particulier des
genoux, mais rien n’est jamais
venu confirmer le cancer de la
prostate que lui prête la rumeur.
L’avertissement de Gafsa
En 2008, les émeutes de Gafsa, qui
devraient constituer un sérieux
avertissement, sont sousesti
mées par le régime. Une année
durant, cette région déshéritée
de l’intérieur, traditionnellement
frondeuse, va être secouée par des
troubles, sur fond de chômage,
de mauvaise qualité de vie et
d’absence de perspectives.
C’est d’une autre province
oubliée, presque plus démunie
encore, que va pourtant partir
la déflagration. Le 17 décem
bre 2010, Mohamed Bouazizi,
26 ans, s’immole par le feu devant
le siège du gouvernorat de Sidi
Bouzid, petite ville dans le centre
du pays. La police vient de lui con
fisquer les fruits et légumes qu’il
vendait pour faire vivre les siens,
au motif qu’il n’avait pas de per
mis. Humiliation insupportable.
En se supprimant, ce jeune étu
diant au chômage entend protes
ter contre la hogra, ce mépris
dont les jeunes se plaignent d’un
bout à l’autre du Maghreb. Moha
med Bouazizi ne sait pas que son
acte désespéré va entraîner le
soulèvement de ses compatrio
tes et aboutir à la chute de Ben Ali
le dictateur.
Après la révolution, il ne remet
tra jamais les pieds en Tunisie,
où il est l’objet de multiples
condamnations pour homicides
volontaires ou malversations fi
nancières. A quelques exceptions,
son clan demeure lui aussi en
exil. A partir de l’année 2015 pour
tant, son image s’améliore légère
ment au sein d’une partie de la
population, exaspérée par l’insta
bilité politique et surtout la ré
gression socioéconomique. Une
petite musique du type « c’était
mieux avant » se glisse ainsi dans
les débats publics.
Abir Moussi, une ancienne hié
rarque du l’exRassemblement
constitutionnel démocratique
(RCD), le parti de Ben Ali dissous
en 2011, essaie de capitaliser
sur ces velléités nostalgiques en
développant les activités de sa for
mation, le Parti destourien libre
(PDL). Jouant sur l’aspiration d’un
segment de la population à un
pouvoir fort, Mme Moussi tient un
discours souverainiste et farou
chement antiislamiste. Mais son
échec au premier tour de la pré
sidentielle du 15 septembre, où
elle ne recueille que 4 % des suf
frages, montre bien que, malgré le
désenchantement postrévolu
tionnaire, les Tunisiens ne sont
pas prêts à adouber les héritiers
de Ben Ali.
florence beaugé