Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1
0123
SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019
styles

| 27


Simplicité retrouvée chez Prada,


minimalisme hard pour Bottega


Veneta, lignes pures chez


Emporio Armani... La fashion


week milanaise s’éloigne


du cliché du glamour italien


MODE


O


n évoque beaucoup le
côté sexy et glamour
de la mode italienne,
et ce cliché s’est sou­
vent révélé en accord avec la réa­
lité. Mais, pour l’été 2020, les créa­
teurs milanais s’écartent plus que
jamais de la figure de la « bomba ».
Dans les premières collections de
cette fashion week qui a débuté
mercredi 18 septembre, c’est un
mélange de douceur et d’épure ri­
goureuse qui domine. Un esprit
commercial sert de fil conduc­
teur à l’expression d’une féminité
nuancée et moderne.
Ceux qui aiment la Miuccia
Prada flirtant avec le kitsch et la
culture pop décalée auront sans
doute été surpris par sa nouvelle
proposition. Dans un décor de
carrelages multicolores façon Te­
tris, la créatrice opère un retour à
la simplicité poétique qui a fait
son succès dans les années 1990.
Pas de mohair jaune poussin,
donc, ni d’imprimé « Frankens­
tein », cette fois : des robes en cré­
pon de coton couleur vanille suc­
cèdent à des tailleurs à gros bou­
tons, des chaussures en cuir
tressé, des jupes droites en ve­
lours de soie et des blouses à col
cravate. Il y a là un petit air de
bourgeoise sage des années 1930
avec à peine quelques notes fan­
taisie – du cuir or ou jaune fluo, de
grandes broderies de plumes ar­
gent, des motifs graphiques effet
papier peint qui sont une signa­
ture maison. C’est comme un
concentré du style Prada dans sa
version la plus rigoriste et intem­
porelle. La collection est toujours
volontairement au bord du
« terne », mais c’est aussi de cette
façon que Miuccia Prada se re­
belle contre le beau classique.
Sur le mood board (tableau où
sont rassemblées les inspira­
tions du show), on reconnaît
Bette Davis dans The Anniversary,
une comédie sombre des années
1960 où la star joue une mère
abusive aussi excentrique que

venimeuse. De cela, Silvia Fendi
n’a au fond gardé que l’atmos­
phère sixties, des couleurs et des
imprimés. Pour sa première col­
lection femme en solo, sans Karl
Lagerfeld disparu en février der­
nier, la créatrice opte pour une al­
lure joyeuse et pleine de douceur,
surtout pas morbide (il aurait dé­
testé cela et ce n’est pas dans le ca­
ractère de la Romaine).
Soies matelassées aux teintes
dragée, tissus­éponges imprimés
de grands ramages, voile de coton
à petits carreaux, jeux de transpa­
rences et de textures, rencontre
du raphia, du veau velours dé­
coupé comme une dentelle,
du Lycra et des sequins brodés...
La créatrice invente des cocons
sensuels. Ultraféminine, sa col­
lection est aussi lumineuse
qu’originale ; elle invite à la déca­
dence douce sous le soleil. Une sa­
crée promesse.
Le jeune Anglais Daniel Lee si­
gnait jeudi soir sa deuxième
collection pour Bottega Veneta.
Sous les dalles de verre au sol, on
retrouve, comme un « marquage
de territoire », le tressé matelassé
(en version XXL) dont il a fait sa si­
gnature dès sa première collec­
tion. Venu de chez Céline période
Phoebe Philo, il maîtrise les règles
du minimalisme et choisit ici la li­
gne dure. Combinaison­trench,
maxi parka et bermuda en cuir
extra­souple, robes asymétriques
en maille, dos nus en soie, sou­
liers­sculptures en cuir tressé et
matelassé : c’est luxueux et radi­

cal. Après le classicisme de son
prédécesseur Tomas Maier, on
sent une envie de tout changer et
d’imposer autre chose. Mais le
public de Bottega Veneta est­il
prêt pour ce style « hard chic »?
Ailleurs, les grands noms du mi­
nimalisme prônent la douceur.
Dans la salle noire et toute en géo­
métrie acérée du show Emporio
Armani, c’est un déluge de pastels
et de matières métallisées textu­
rées. Les lignes pures et les
tailleurs souples qui ont fait la cé­
lébrité du designer Giorgio Ar­
mani gagnent dans ce colorama
une légèreté rassurante et enve­
loppante. Rebrodées d’argent et
de paillettes effet pierres des lu­
nes, les robes du soir scintillent
comme des étoiles filantes, éphé­
mères et hors du temps, comme
la mode Armani.
A la direction artistique de Jil
Sander, Lucie et Luke Meier sont
chargés de donner un nouveau
visage à une marque ultraépurée.
Une mission périlleuse dont ils
s’acquittent avec subtilité. Sur de
longues silhouettes qui accumu­
lent parfois veste, pantalon et sur­
jupe, ils posent les détails justes :
un drapé décalé sur un buste, de
longues franges de soie sur une
robe colonne, un col ou une cein­
ture de raphia amovible sur une
veste de cuir ou une jupe en soie.
Le duo de designers parvient à
instiller un côté sensuel et pres­
que exotique à un vocabulaire
mode très strict. Il y a du mouve­
ment et de la vie dans leurs

silhouettes et, au passage, ils dres­
sent le portrait d’une femme à la
personnalité complexe, à la fois
rêveuse sensible et frigide.
N21 n’est pas la marque la plus
« hype » ou la plus connue de Mi­
lan, mais son directeur artistique,
Alessandro dell’Acqua, lui cons­
truit une identité moderne et
sans prétention. Délicate et gra­
phique, la collection mixte con­
fronte imprimés à microfleurs,
coupes masculines strictes et dé­
coupes dévoilant les bras et les
épaules, cuir et mousseline,
maille fluide déstructurée et ta­

lons­sculptures. L’hybride d’idées
contraires est séduisant, plausi­
ble et sans prétention.
La note d’intention de la col­
lection Max Mara référence
l’auteure la plus cotée de la télévi­
sion contemporaine : Phoebe Wal­
ler­Bridge. Créatrice de Killing Eve
(une série phénomène qui met en
scène une femme agent du MI5 et
une tueuse charismatique, Villa­
nelle), elle a aussi été chargée de
remanier le scénario du dernier Ja­
mes Bond pour alléger son côté
macho daté. Et les héroïnes ambi­
guës et stylées de la scénariste ne
renieraient pas la garde­robe pro­
posée ici. Tailleurs bermudas mul­
tipoches (déclinés en gris strict ou
en pastel), bouche rouge noire,
chaussettes montantes et escar­
pins constituent un uniforme de
base idéal. Même les longues ro­
bes du soir à volants asymétriques
assument leur côté sport­mili­
taire. Dangereuses et chics, ces
femmes d’affaires et d’action déli­
vrent un message féministe très
moderne, d’autant plus efficace
qu’il est subtil et ludique.
Dans ce climat plein de nuances
et de pragmatisme, Moschino dé­
fend son statut d’élément pertur­
bateur. Culture pop, kitsch et sur­
réalisme restent les signatures
d’un style inventé par Franco
Moschino et perpétué par l’Amé­
ricain Jeremy Scott. Pour l’été, ce­
lui­ci a prévu un programme « ar­
tistique » : du Picasso en motifs
ou sculpture 3D à porter (idéal
pour prendre les transports en
commun en paix), des broderies
en strass de couleur, des robes­
guitares et volants à pois. C’est
comme si Barbie, Frida Kahlo et
la Carmen de Georges Bizet (qui
est d’ailleurs sur la bande­son)
avaient fusionné dans une explo­
sion maximaliste. Et si on doute
de se balader un jour en robe­ta­
bleau (au sens littéral du terme et
avec cadre doré intégré), une
mode qui ne se prend pas au sé­
rieux, c’est toujours distrayant.
Voire salutaire.
carine bizet

Prada.
TIZIANA FABI/AFP

Fendi.
LUCA BRUNO/AP

Jil Sander.
MIGUEL MEDINA/AFP

MILAN | PRÊT-À-PORTER PRINTEMPS-ÉTÉ 2020


milan


en mouvement


CHEZ EMPORIO ARMANI, 


LES ROBES DU SOIR 


REBRODÉES D’ARGENT 


ET DE PAILLETTES 


SCINTILLENT COMME 


DES ÉTOILES FILANTES

Free download pdf