Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1

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SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019 international| 3


Merkel sort son « plan vert »


La coalition allemande veut répondre à la montée du vote écologiste


berlin ­ correspondant

V


oilà longtemps que
l’issue d’un conseil des
ministres, à Berlin,
n’avait été aussi atten­
due. Un an et demi après sa labo­
rieuse mise en place, la grande
coalition d’Angela Merkel devait
dévoiler, vendredi 20 septembre,
un ensemble de mesures censées
permettre à l’Allemagne, d’ici à
2030, de réduire ses émissions de
gaz à effet de serre de 55 % par rap­
port à leur niveau de 1990. La
baisse n’est aujourd’hui que de
30 %, alors que Berlin s’était en­
gagé, en 2007, à ce qu’elle soit de
40 % en 2020... Présentées à l’orée
d’une semaine de mobilisation
inédite en faveur de la protection
du climat à travers le monde, ces
annonces témoignent de la place
centrale prise par ces questions
dans le débat public allemand, en
même temps qu’elles constituent
un pari politique risqué pour une
chancelière affaiblie à la tête
d’une majorité fragile.
Prévu depuis le début de l’été, ce
conseil des ministres extraordi­
naire, entièrement consacré à la
lutte contre le réchauffement cli­
matique, a fait l’objet d’une dra­
maturgie savamment orchestrée.
Le 19 juillet, lors de sa conférence
de presse annuelle, Mme Merkel l’a
présenté comme le temps fort de
la rentrée politique. Le 11 septem­
bre, au Bundestag, elle a qualifié
le changement climatique de
« défi pour l’humanité », promet­
tant des « décisions majeures »
pour les jours à venir. Dans sa
coalition, tous se sont mis à
l’unisson. Annegret Kramp­Kar­
renbauer, présidente de l’Union
chrétienne­démocrate (CDU) et
ministre de la défense, a promis
de « mettre le turbo » pour proté­
ger le climat. Olaf Scholz, ministre
des finances, vice­chancelier et
candidat à la présidence du Parti
social­démocrate (SPD), répète
que « le compte à rebours a com­
mencé ». Markus Söder, chef de la
CSU bavaroise, martèle que « ce
serait un péché de ne rien faire ».

Tensions profondes
Les responsables de la coalition se
sont à nouveau donné rendez­
vous, jeudi, à la chancellerie. Ils y
ont passé toute la nuit, avec pour
objectif de présenter un catalogue
de mesures d’une trentaine de pa­
ges. Une ultime séance de négocia­
tions révélatrice des tensions pro­
fondes qui traversent le gouverne­
ment, au­delà d’un accord de prin­
cipe sur des objectifs généraux.
Certaines mesures qui devaient
être annoncées vendredi ont été
consensuelles, comme la baisse
des taxes sur les voyages en train,
leur hausse sur les vols aériens à
l’intérieur du pays, ou l’augmenta­
tion des primes pour l’achat de vé­
hicules électriques ou d’appareils
de chauffage individuels propres.
D’autres, en revanche, faisaient
toujours l’objet d’âpres arbitrages,
dans la nuit de jeudi à vendredi.
La première concerne la taxa­
tion du carbone. Les sociaux­dé­
mocrates plaident pour l’instaura­
tion d’une taxe sur le carburant et
les dépenses de chauffage. De leur
côté, les conservateurs souhaitent
étendre le système européen
d’échange de quotas d’émissions
aux secteurs du transport et du bâ­
timent, à l’origine de 40 % des
émissions de CO 2 en Allemagne.
Un système à la fois plus long à
mettre en œuvre et moins dou­

loureux pour les industriels et les
consommateurs. Le deuxième dé­
saccord porte sur la mise en
œuvre des mesures. Depuis plu­
sieurs mois, Svenja Schulze, mi­
nistre sociale­démocrate de l’envi­
ronnement, milite pour une loi
fixant pour chaque ministère des
objectifs chiffrés en matière de ré­
duction des émissions de CO 2 , avec
possibilité de retenues budgétai­
res en cas de manquements. Les
conservateurs y sont opposés.

Recul historique
Troisième point encore en discus­
sion, dans la nuit de jeudi à ven­
dredi : le financement, qui pour­
rait dépasser les 100 milliards
d’euros d’ici à 2030. Afin de ne pas
enfreindre la limite de 0,35 % de
déficit public inscrite dans la Cons­
titution, les conservateurs plai­
dent pour l’émission d’« obliga­
tions­climat » à hauteur de 35 mil­
liards d’euros par an, soit 1 % du
PIB, sans que cette dette soit
comptabilisée dans le budget fédé­

ral. Le SPD s’y est jusque­là opposé.
Que les négociations soient si dif­
ficiles n’a rien d’étonnant. Dans le
« contrat de coalition » signé, en
février 2018, entre la CDU­CSU et le
SPD, le climat occupe une place se­
condaire. Quasi absent de la cam­
pagne des législatives de septem­
bre 2017, le sujet ne s’est invité
dans le débat public qu’en octo­
bre 2018, lors des régionales en Ba­
vière et en Hesse, avant de s’impo­
ser pendant la campagne des
européennes de mai. Trois scru­
tins marqués par un recul histori­
que de la CDU­CSU et du SPD, dont
des cohortes entières d’électeurs
ont voté pour les Verts, en particu­
lier chez les jeunes.
Les mesures annoncées ven­
dredi ne doivent pas tromper. Les
écologistes sont crédités de 22 % à
24 % dans les intentions de vote
aux législatives, 5 points derrière
les conservateurs et 7 à 9 points de­
vant le SPD, ce qui n’est jamais ar­
rivé. La CDU­CSU et le SPD savent
qu’ils n’ont aucun intérêt à se lais­

ser déborder par un phénomène
qui dépasse les seuls succès électo­
raux des Verts. Vendredi, plus de
400 rassemblements étaient ainsi
prévus en Allemagne à l’appel du
mouvement Fridays for Future.
« Plus vert que moi tu meurs », ti­
trait récemment le Spiegel pour
qualifier cette conversion de la
coalition à l’urgence climatique.
Au sein de la majorité, plusieurs
voix se sont élevées pour contrer
la tentation d’une surenchère so­
cialement risquée. A l’instar de
Stephan Weil (SPD), le ministre­
président du Land de Basse­Saxe,
bastion de Volkswagen, qui, dans
la Frankfurter Allgemeine Zeitung,
a mis en garde contre des mesures
fiscales « prises avec le cœur sec » et
risquant de pénaliser les plus mo­
destes, propriétaires d’automobi­
les polluantes ou occupants de lo­
gements énergivores, en résu­
mant sa crainte d’une formule :
« Les “gilets jaunes” français vous
passent le bonjour. »
thomas wieder

Les grandes ambitions


contrariées de la


« chancelière du climat »


Le bilan d’Angela Merkel sur les questions
environnementales reste mitigé

berlin ­ correspondant

J


eudi 16 août 2007. La chance­
lière allemande, Angela Mer­
kel (Union chrétienne­démo­
crate, CDU), et son ministre de
l’environnement, Sigmar Gabriel
(Parti social­démocrate, SPD),
sont au Groenland. Vêtus d’ano­
raks rouges, ils se font photogra­
phier devant un glacier. Les ima­
ges font la « une » des journaux.
Elles symbolisent le rôle moteur
que l’Allemagne entend désor­
mais jouer dans la lutte contre le
réchauffement climatique, alors
que son gouvernement vient de
s’engager à ce que le pays, d’ici à
2020, baisse de 40 % ses émissions
de gaz à effet de serre par rapport à


  1. Deux ans après son arrivée
    au pouvoir, Mme Merkel gagne un


surnom : celui de Klimakanzlerin
(« chancelière du climat »)
Douze années ont passé, et la
Klimakanzlerin est de retour. Les
mesures prises par son gouverne­
ment pour la protection du cli­
mat, vendredi 20 septembre, ne
doivent toutefois pas faire oublier
l’essentiel : son bilan très con­
trasté dans un domaine où elle a
toujours eu de grandes ambitions
mais où ses résultats s’avèrent fi­
nalement limités.
Ces ambitions, Mme Merkel n’a
pas attendu d’être chancelière
pour les afficher. Début 1995, fraî­
chement nommée ministre de
l’environnement, elle avait provo­
qué un vif débat en plaidant pour
une taxation du kérosène. Helmut
Kohl, alors chef du gouvernement,
l’avait sèchement recadrée. Un
camouflet qu’elle s’efforça de faire
oublier en présidant la conférence
mondiale sur le changement cli­
matique, quelques semaines plus
tard, à Berlin. Deux ans avant
l’adoption du protocole de Kyoto,
l’événement fut considéré comme
un succès diplomatique pour
l’Allemagne, en même temps qu’il
révéla les talents de négociatrice
de Mme Merkel, âgée de 40 ans.

Le poids de la CSU et du SPD
Comme chancelière, celle­ci s’est
souvent positionnée en cham­
pionne de la protection du climat
aux yeux de l’étranger. Ce fut le cas
au G7 de Heiligendamm, en 2007,
où elle s’activa pour que l’accord fi­
nal fixe des objectifs chiffrés sur la
réduction des gaz à effet de serre,
sans y parvenir, en raison de l’op­
position du président américain
George W. Bush. Ou encore dans le
cadre du « Dialogue de Petersberg
sur le climat », une série de ren­
contres informelles lancées par
l’Allemagne après l’échec de la con­
férence de Copenhague, en 2009.
Sur la scène intérieure, en re­
vanche, Mme Merkel s’est mon­
trée beaucoup plus prudente.
Certes, sa décision de faire sortir
l’Allemagne du nucléaire en 2022,
annoncée après la catastrophe de
Fukushima, en 2011, s’est accom­
pagnée d’un vaste plan de déve­
loppement des énergies renou­
velables. Mais elle a également
conforté les centrales à charbon,
fortement émettrices de gaz à ef­
fet de serre. Quant au scandale
des moteurs diesel trafiqués, ré­
vélé en 2015, il n’a pas non plus
débouché sur l’adoption de me­
sures drastiques.
Cette timidité n’est pas à mettre
sur le seul compte de Mme Merkel.
L’Union chrétienne­sociale (CSU),
alliée de la CDU en Bavière et
détentrice du ministère fédéral
des transports depuis 2009, a sys­
tématiquement défendu le lobby
de l’automobile. Quant au SPD,
avec qui la chancelière a gouverné
de 2005 à 2009 puis à nouveau
depuis 2013, il a toujours soutenu
le secteur du charbon au nom de
la défense de l’emploi, en particu­
lier dans son bastion historique
de la Ruhr. De ce point de vue, le
bilan décevant de la Klimakanzle­
rin, s’il reste avant tout celui de
Mme Merkel, est également celui
de ses partenaires, conservateurs
et sociaux­démocrates.
t. w.

La décision
de sortir du
nucléaire après
la catastrophe
de Fukushima,
en 2011, a conforté
les centrales
à charbon

« Plus vert que
moi tu meurs »,
titrait récemment
le « Spiegel »
pour qualifier
cette conversion
de la coalition
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