Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1

32 | 0123 SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019


0123


A


vant même d’être inves­
tie à la tête de la Com­
mission de Bruxelles,
l’Allemande Ursula von
der Leyen a démarré fort. Elle
a ouvert deux polémiques, le
10 septembre, en dévoilant son
équipe. Ce sont surtout les intitu­
lés de deux postes qui posent
question. Un nouveau et un ab­
sent. Le premier problème est la
création d’un portefeuille sur la
« protection du mode de vie euro­
péen ». Le second est la disparition
du mot culture. Ces polémiques se
nourrissent l’une l’autre, car s’il
est un champ constitutif d’un
mode de vie, c’est bien la culture.
Les Grecs ne vivent pas comme
les Suédois, et c’est tant mieux. La
religion n’a pas la même place en
France qu’en Pologne, et c’est
comme ça. Mais il existe un mode
de vie européen – comme il y en a
un au Japon, en Egypte ou aux
Etats­Unis. Pas besoin d’aller le
chercher loin, il figure dans l’arti­
cle 2 du traité de l’Union : « Va­
leurs de respect de la dignité hu­
maine, de liberté, de démocratie,
d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi
que de respect des droits de
l’homme, y compris des droits des
personnes appartenant à des mi­
norités. » Ajoutons, au risque d’en
chagriner certains : un mélange
de laïcité et de chrétienté, d’his­
toire chaotique et de patrimoine
commun, de localisme et de
mondialisation, d’égalité entre
les femmes et les hommes...
Alors où est le problème? Dans
le mot « protection » et dans l’om­
niprésence du mot migration
dans la lettre de mission qu’Ur­
sula von der Leyen a envoyée au
Grec Margaritis Schinas, le com­
missaire chargé du poste. Mani­
festement ce dernier n’est pas là
juste pour défendre un art de vi­
vre, le cassoulet ou le steak de
renne. Il a pour job le contrôle des
migrants, leur intégration, leur
impact sur l’économie.

La faute d’Ursula von der Leyen
Ça n’a pas loupé. De la gauche à la
droite, jusqu’au président sortant
de la Commission, le libéral Jean­
Claude Juncker, beaucoup s’indi­
gnent ou dénoncent une rhétori­
que de l’extrême droite. Cette polé­
mique traduit surtout une Europe
tétanisée, qui n’ose afficher ses va­
leurs et est incapable de se définir.
Or il y a une façon évidente de dé­
finir l’Europe, d’évoquer un mode
de vie, sans éluder la question mi­
gratoire, c’est de mettre en avant la
culture. La faute d’Ursula von der
Leyen est de ne pas le faire. Dans sa
lettre de mission à Margaritis Schi­
nas, elle ne dit rien du rôle central
de la culture pour unir les peuples.
Rien sur notre création et notre
patrimoine partagés – les réac­
tions en Europe après l’incendie
de Notre­Dame l’ont montré. Rien
sur l’éducation pour tous, sur la li­
berté des artistes, leur droit à l’in­
solence, qui s’appuie sur le socle
des Lumières, sans interdit moral,
philosophique ou religieux. Rien
sur l’égalité entre créateurs et créa­
trices. Evident? Non. Ces valeurs
sont peu partagées sur la planète.
Voilà pour la première erreur.
Qui se trouve aggravée par la sup­
pression du mot culture dans
les intitulés des 26 portefeuilles.
Il existait un commissaire à l’édu­
cation et à la culture. Deux mots

remplacés par « innovation et
jeunesse ». Le poste, attribué à la
Bulgare Mariya Gabriel, ressem­
ble à un patchwork bien lourd :
jeunesse, recherche, innovation,
sport, culture et éducation.
Cette dilution de la culture a
provoqué des réactions indignées
sur le continent. Il n’est pas sûr
qu’Ursula von der Leyen soit
consciente du problème, tant il
semble échapper à son logiciel.
Dans sa lettre de mission à Ma­
riya Gabriel, elle a cette phrase :
« La culture et le sport sont des
outils importants pour améliorer
notre bien­être mental et physi­
que. » Ces mots, d’un autre âge,
confirment le statut de la culture
à Bruxelles : elle pèse peu. Elle est
absente à la création de l’Europe
en 1957, apparaît en 1977, s’af­
firme dans le traité de Maastricht
en 1992, mais elle reste le privi­
lège des Etats, qui l’ont voulu
ainsi. Les moyens de l’Union sont
en conséquence. Mariya Gabriel
dispose de 150 millions d’euros
par an pour 28 pays. Dérisoire
mais en conformité avec les sta­
tuts : l’Union joue un rôle subsi­
diaire dans les montages finan­
ciers de projets artistiques.
Et puis l’Union étant d’abord un
espace économique, la culture est
souvent réduite, à Bruxelles, à un
levier propre à doper l’emploi et
la croissance. C’est du reste la mis­
sion de Mariya Gabriel, une spé­
cialiste d’économie numérique,
donc armée pour cela. Mais c’est
une approche qui manque un peu
de poésie pour les milieux artisti­
ques. Pourtant, sans le coup de
pouce de l’Union, nombre d’évé­
nements ne verraient pas le jour.
Pour obtenir de l’argent, il faut
remplir des dossiers sans fin et
écrits souvent en novlangue,
mais des milliers de créateurs,
théâtres ou festivals en profitent
chaque année. Comme des mil­
liers d’étudiants profitent du pro­
gramme Erasmus, dont Ursula
von der Leyen entend tripler les
bénéficiaires.
L’Europe créative, c’est aussi le
concours de l’Eurovision, le label
Capitale européenne de la culture,
des Journées du patrimoine, un
accord sur l’exception culturelle
lors des négociations commercia­
les mondiales, la défense du droit
d’auteur, mais tout cela ne forme
pas un imaginaire commun exal­
tant. C’est le problème. Fort bien
exposé dans Libération, le 24 avril,
par Olivier Guez, auteur de La Dis­
parition de Joseph Mengele (Gras­
set, 2017). L’écrivain a arpenté le
continent et il arrive à la conclu­
sion que cet imaginaire est introu­
vable, d’autant que la richesse in­
croyable de la création en Europe
ne profite qu’à une classe aisée qui
se joue des frontières. La faute aux
Etats, qui refusent de dire que
nous sommes « une famille ». Pas
de visage de « Goethe, Beethoven
ou Picasso » sur les billets de ban­
que, pas de météo européenne à la
télé, pas de récit commun, pas de
cursus commun dans les écoles.
Toujours cette peur d’être taxé de
populiste. Guez conclut : « On de­
vrait pouvoir parler de la question
identitaire sans être traité de
facho. » Courage à ceux qui vou­
dront ouvrir cette porte.

U


n an et demi après sa laborieuse
formation, la « grande coalition »
d’Angela Merkel semble enfin
s’être trouvé une priorité : la protection du
climat, récemment qualifiée par la chance­
lière allemande de « défi pour l’humanité » à
la tribune du Bundestag. Un défi auquel
son gouvernement devait répondre, ven­
dredi 20 septembre, à l’occasion d’un con­
seil des ministres extraordinaire, le pre­
mier du genre, entièrement consacré à la
lutte contre le réchauffement climatique.
A l’orée d’une semaine mondiale de mobi­
lisation pour le climat, le signal envoyé par
l’Allemagne, principal pays émetteur de CO 2
en Europe, doit être salué. Face à Donald
Trump aux Etats­Unis ou à Jair Bolsonaro
au Brésil, qui se moquent éperdument de
conduire la planète à l’abîme, le fait que le

gouvernement de la quatrième puissance
économique mondiale place la lutte contre
le réchauffement climatique en tête de ses
priorités est un acte politique majeur.
Ce volontarisme n’en a pas moins un
goût amer. D’abord, parce qu’il masque un
échec, celui de l’Allemagne à tenir ses pro­
pres engagements. En 2007, Berlin s’était
engagé à réduire, d’ici à 2020, ses émissions
de gaz à effet de serre de 40 % par rapport à


  1. La baisse n’est aujourd’hui que de
    30 %. Ce manquement jette un doute sur la
    capacité de l’Allemagne à atteindre le nou­
    vel objectif qu’elle s’est fixé : une réduction
    de 55 % d’ici à 2030.
    Mais ce volontarisme cache également
    un manque criant d’anticipation. Dans le
    « contrat de coalition » signé par les conser­
    vateurs (CDU­CSU) et les sociaux­démocra­
    tes (SPD) en février 2018, le réchauffement
    climatique n’est évoqué qu’au onzième
    chapitre (sur 14) et ne fait l’objet que de sept
    pages (sur 176). Totalement absent de la
    dernière campagne des législatives,
    en 2017, le sujet ne s’est imposé à la majo­
    rité au pouvoir qu’à la faveur des récents
    succès électoraux des Verts, notamment
    aux élections européennes du 26 mai, où
    les écologistes ont siphonné les voix des
    partis membres de la « grande coalition ».
    En particulier chez les jeunes.
    Dans ce contexte, les annonces attendues
    vendredi – après une nuit blanche de trac­


tations difficiles à la chancellerie – ont tout
l’air d’expédients. Elles constituent un cata­
logue de mesures techniques, pour ne pas
dire technocratiques, dont on peine à déga­
ger la philosophie générale, mais dont on
comprend qu’elles visent à être aussi inci­
tatives et aussi peu douloureuses que pos­
sible. Empêtré dans le ralentissement de
son industrie, le gouvernement semble
tenté par des demi­mesures, qui risquent
de donner des demi­résultats.
Cette prudence peut se comprendre. Les
dirigeants de la « grande coalition » ont en
tête la crise des « gilets jaunes » et se mé­
fient à juste titre des mesures écologique­
ment séduisantes, mais socialement pro­
vocantes. Reste qu’un tel agrégat de mesu­
res ne constitue pas une politique de long
terme. Il ressemble avant tout à la réponse
circonstancielle et improvisée de vieux
partis aux abois. Pourtant, à la différence
de la France, qui ne dispose pas des mêmes
marges de manœuvre budgétaires, Berlin a
les moyens d’une transition écologique
ambitieuse, enfin à la hauteur des enjeux.
A deux ans de son départ programmé du
pouvoir, Angela Merkel retrouve ses accents
de Klimakanzlerin (« chancelière du cli­
mat »), pour reprendre le surnom qui lui fut
donné, en 2007, quand elle fit de la lutte con­
tre les gaz à effet de serre la priorité de son
gouvernement. Mieux vaut tard que jamais.
Le problème est qu’il est déjà très tard.

LA LETTRE DE MISSION 


POUR LE COMMISSAIRE 


CHARGÉ DE LA 


« PROTECTION DU MODE 


DE VIE EUROPÉEN » 


NE DIT RIEN DU RÔLE 


DE LA CULTURE POUR 


UNIR LES PEUPLES


ANGELA MERKEL, 


« CHANCELIÈRE 


L’Europe sans DU CLIMAT » ?


la culture


LA CULTURE EST 


SOUVENT RÉDUITE, 


À BRUXELLES, 


À UN LEVIER PROPRE 


À DOPER L’EMPLOI 


ET LA CROISSANCE


Tirage du Monde daté vendredi 20 septembre : 190 097 exemplaires

CULTURE|CHRONIQUE
p a r m i c h e l g u e r r i n

Entrée gratuite sur inscripti on : http://www.nouvelobs.com/2049 En partEnaria t avEc


18h30
présentation
Gilles Retsin,architecte

18h45-19h25
quels logements
dans trente ans?
Benjamin Aubry,
fondateur de Iudo,
lauréat deFAIRE 2017
Sophie Delhay,architecte
GuillaumePasquier,
directeur du développement
des Foncières de La Française
ErwanSoquet,directeur
de lamarque Leroy Merlin
Modérée par ArnaudGonzague, chef
duservice société de« l’Obs »

19h25-19h35
Carte blanChe
Monique Eleb,sociologue,
spécialiste des modes de vie,
de l’habitat et de l’architecture

19h35-20h15
dans le labo de l’habitat
Timothée Boitouzet,
fondateur et CEO de WooDoo
Benjamin Delaux,
fondateur de Habx
Fred Potter,président
fondateur de Netatmo
Modérée par Fabrice Rousselot,
directeur deThe Conversation

20h15- 20h30
Conversation
Patrick Bouchain,
architecte, grand prix
de l’urbanisme 2019
AvecPascal Riché,
directeur adjoint de larédaction
de« l’Obs »

EnpartEnariatavEc

A quoi


ressemblera


l’habita t de demain?


Le mercre di 25 septembre à 18h30
au Pavillon de l’Arsenal
21, boulevard Morland, 75004 Paris
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