Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1

4 |international SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019


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Trudeau rattrapé par ses


« blackfaces » de jeunesse


avant les élections


La polémique pèse sur la campagne du
premier ministre canadien pour les législatives

montréal ­ correspondance

E


n déplacement à Winni­
peg, Justin Trudeau, candi­
dat libéral à sa propre suc­
cession aux législatives canadien­
nes du 21 octobre, a présenté ses
excuses pour la deuxième fois en
vingt­quatre heures après la pu­
blication de photos le montrant
déguisé, le visage grimé en Noir,
puis d’une vidéo sur laquelle il ap­
paraît aussi maquillé en Noir.
« A cause de l’historique raciste de
ce geste, ce n’est jamais acceptable
de foncer sa peau. J’aurais dû com­
prendre ça à l’époque et je n’aurais
jamais dû le faire. Je m’en excuse
profondément. (...) Ce n’est pas la
personne que je suis », a­t­il déclaré.
Fils de l’ancien premier ministre
canadien Pierre Elliott Trudeau, et
petit­fils d’un entrepreneur qui a
fait fortune dans le pétrole, Justin
Trudeau a martelé : « Je n’ai pas été
sensible à cette réalité [de la discri­
mination], étant donné la vie privi­
légiée que j’ai connue. »
La polémique a débuté mercredi
soir lorsque le magazine améri­
cain Time a publié une photo da­
tant de 2001 montrant le jeune
Justin Trudeau déguisé en Aladin,
le visage grimé en Noir (« black­
face ») lors d’un gala dont le
thème était Les Mille et Une Nuits.
Il était alors âgé de 29 ans et ensei­
gnait les arts dramatiques dans
une école privée.
Très vite, il a fait un premier
mea culpa dans son avion de cam­
pagne, révélant du même souffle
qu’il s’était maquillé le visage en
Noir une autre fois dans le passé
pour un spectacle au lycée, au
cours duquel il avait chanté
Day­O, de Harry Belafonte.

« Ils se sentent offensés »
C’est le lendemain que la chaîne
de télévision canadienne Global
News a diffusé une nouvelle vi­
déo, datant du début des années
1990, montrant Justin Trudeau
maquillé en Noir et s’amusant à
faire des grimaces en levant les
bras. Ce sont les conservateurs
eux­mêmes qui l’ont transmise à
la chaîne de télévision, a reconnu
le candidat du Parti conservateur
du Canada, Andrew Scheer, avec
qui M. Trudeau est au coude­à­
coude dans les sondages.
M. Scheer a durement critiqué
les agissements de ce dernier, lui
reprochant notamment d’avoir
menti pour ne rien avoir dit de
cette vidéo la veille. « La chose qui
me dérange le plus, c’est que Justin
Trudeau a menti hier soir. Quand
on lui a demandé s’il y avait
d’autres incidents, il a dit qu’il n’y en
avait qu’un seul, mais ce matin on
apprend qu’il y en a d’autres », a­t­il
lancé. « J’ai partagé les événements
dont je me souvenais », a rétorqué
M. Trudeau jeudi après­midi.
Le candidat du Nouveau Parti
démocratique (gauche) Jagmeet
Singh est revenu, jeudi soir, sur
cette polémique, estimant qu’elle
blessait les Canadiens de couleur.
« Ils se sentent offensés. Ils ont l’im­
pression de ne rien valoir », a as­

suré le candidat de la gauche de
confession sikhe portant le tur­
ban et qui, enfant, a souffert d’ac­
tes racistes.
La publication des photos et de
la vidéo a donné lieu à un déferle­
ment de réactions, occultant tous
les enjeux de la campagne. Elles
entachent l’image du candidat li­
béral, soulignent son manque de
jugement et minent une crédibi­
lité déjà mise à mal par de précé­
dentes polémiques.

Voyage désastreux
« Pour quelqu’un qui se veut le dé­
fenseur des droits des opprimés et
le grand défenseur de la diversité,
ça n’aurait pas dû se produire. Ça
vient un peu entacher cette ima­
ge­là », commente Geneviève Tel­
lier, professeure en sciences poli­
tiques à l’université d’Ottawa.
Ce n’est pas la première fois que
Justin Trudeau se retrouve au
cœur d’une controverse. En fé­
vrier 2018, il s’était rendu en Inde
pour un voyage officiel qui s’est
avéré désastreux pour son image :
le premier ministre était apparu
dans toutes sortes de tenues tra­
ditionnelles, dignes de Bol­
lywood, mais certainement pas
de la vie quotidienne des Indiens.
Pourtant, pendant ces quatre
années au pouvoir, il « a com­
battu le racisme, l’homophobie,
le sexisme. Il se fait le défenseur
des minorités. Il a beaucoup fait
pour le droit des autochtones,
même si la question n’est pas ré­
glée », détaille Mme Tellier. « Ces
actions pendant son mandat ra­
content une histoire différente.
(...) De tous les candidats qui se
présentent en ce moment, c’est
bien lui qui peut se prévaloir de
résultats en ce sens. »
Interrogé par Radio­Canada,
l’écrivain et membre de l’Acadé­
mie française Dany Laferrière,
Haïtien d’origine et Montréalais
d’adoption, n’y voit qu’une af­
faire de politiciens blancs, et non
pas un acte de « blackface » à pro­
prement parler. L’Immortel af­
firme qu’il faut « une volonté cer­
taine de vouloir ridiculiser et dés­
humaniser l’autre », ce qu’il n’a
pas décelé en voyant la photo de
Trudeau en Aladin, qui, rappelle­
t­il, est un personnage littéraire.
« Aux Etats­Unis, quand on faisait
du “blackface” pour ridiculiser, on
mettait un regard effrayé, de gros­
ses lèvres, des yeux un peu entou­
rés de blanc pour obtenir un re­
gard à la fois effrayé et effrayant »,
a précisé M. Laferrière.
agnès chapsal

Les Etats­Unis privilégient l’apaisement


après les frappes contre l’Arabie saoudite


Le secrétaire d’Etat Mike Pompeo dit chercher une « solution pacifique » avec l’Iran


washington ­ correspondant

A


près avoir dénoncé « un
acte de guerre », le secré­
taire d’Etat américain,
Mike Pompeo, a indiqué, jeudi
19 septembre, à Abou Dhabi, vou­
loir parvenir à « une solution paci­
fique » après l’attaque portée con­
tre des installations pétrolières
saoudiennes, le 14 septembre,
qu’il a imputées à l’Iran. Le chef de
la diplomatie américaine alterne
la mise en garde et le souci d’apai­
sement, sans doute l’expression
d’une réelle hésitation des Etats­
Unis dans cette affaire.
La veille, Donald Trump s’était
montré lui­même évasif. Inter­
rogé au cours d’un déplacement
en Californie, il avait évoqué « de
nombreuses options » de riposte.
« Il y a beaucoup d’options. Et il y a
l’option ultime », a­t­il précisé. Il
avait sèchement renvoyé dans ses
buts le sénateur républicain Lind­
sey Graham (Caroline du Sud), qui
avait assuré que l’absence de réac­
tion de Washington serait vue
comme une preuve de faiblesse
par le régime iranien.
« Non, je pense réellement que
c’est un signe de force », a assuré le
président des Etats­Unis. « C’est
très facile d’attaquer. Mais si vous

posez la question à Lindsey, de­
mandez­lui ce que cela a donné
d’aller au Moyen­Orient. Com­
ment ça s’est passé d’aller en Irak?
Nous sommes donc en désaccord
sur ce sujet », a­t­il ajouté.

Risque d’une « guerre totale »
Les options évoquées par Donald
Trump devaient lui être présen­
tées au cours d’une réunion pré­
vue vendredi. Selon la presse
américaine, l’éventail pourrait
comprendre d’éventuelles frap­
pes militaires contre des infras­
tructures pétrolières iraniennes
ou des sites des gardiens de la ré­
volution. Des opérations plus dis­
crètes pourraient être également
envisagées, qui n’ouvriraient pas
automatiquement la voie à des re­
présailles iraniennes et à une es­

calade. Pour l’instant, Washing­
ton s’est contenté d’annoncer de
nouvelles sanctions, mais sans les
détailler.
Les démocrates du Congrès
ainsi que certains collègues répu­
blicains de Lindsey Graham ne
cachent pas leurs réticences.
« L’absence de stratégie de la part
de cette administration a entraîné
une escalade et une confusion au
Moyen­Orient. Bien que nous ne
sachions pas qui est responsable
des attaques en Arabie saoudite,
nous savons cependant que, sans
stratégie claire visant à réduire les
tensions avec l’Iran, la situation
ne fera qu’empirer », a assuré,
mercredi, Eliot Engel, le prési­
dent démocrate de la commis­
sion des affaires étrangères de la
Chambre des représentants.

« Alors que le gouvernement dé­
termine les prochaines étapes, je
suis obligé de leur rappeler que la
Constitution est claire : à moins que
les Etats­Unis ne soient attaqués en
premier, le président doit obtenir
l’autorisation du Congrès avant
d’attaquer l’Iran, même s’il soutient
l’un de nos alliés », a­t­il ajouté.
Le risque d’une « guerre totale »
agité par le ministre iranien des af­
faires étrangères, Mohammad Ja­
vad Zarif, en cas d’opérations amé­
ricaines préoccupe les alliés gol­
fiens de Washington, qui se savent
en première ligne et s’interrogent
sur la détermination américaine
compte tenu des réticences expri­
mées par Donald Trump.
Dans un autre geste d’apaise­
ment, l’administration améri­
caine a octroyé aux représentants
iraniens les visas nécessaires
pour qu’ils puissent participer à
l’Assemblée générale des Nations
unies qui débute le 23 septembre.
Des interrogations étaient appa­
rues sur la lenteur du processus
de délivrance de ces documents,
et l’hypothèse d’une absence à
l’ONU avait été évoquée. M. Zarif
était attendu à New York, ven­
dredi. Le président Hassan Ro­
hani devrait le rejoindre, lundi.
g. p.

L’administration Trump réduit


un lanceur d’alerte au silence


Une conversation entre le président américain et un dirigeant étranger


agite Washington et tend encore davantage les relations avec le Congrès


washington ­ correspondant

U


n lanceur d’alerte
bâillonné, une Cham­
bre des représentants
entravée, un prési­
dent exaspéré : l’affaire qui agite
Washington depuis le milieu du
mois de septembre relève en ap­
parence du rocambolesque. Offi­
ciellement, personne n’est en ef­
fet en mesure de révéler l’origine
du litige qui oppose l’administra­
tion de Donald Trump à des
membres de la communauté du
renseignement et aux adversai­
res démocrates du président des
Etats­Unis.
Le Washington Post a été le pre­
mier à le porter à la connaissance
du public, mercredi 18 septembre.
Tout part, selon le quotidien de la
capitale fédérale, d’une conversa­
tion entre Donald Trump et un di­
rigeant étranger, à la fin du mois
de juillet. Le contenu de cette dis­
cussion aurait alors poussé un
membre de l’administration à
alerter, au début du mois d’août,
l’inspecteur général du renseigne­
ment national, Michael Atkinson,
comme le permet la procédure
destinée à protéger les lanceurs
d’alerte. Une action manifeste­
ment sans précédent concernant
un président.
Michael Atkinson, nommé par
Donald Trump en 2018, juge suffi­
samment crédible l’information
portée à sa connaissance. Tou­
jours selon le Washington Post, il
décide alors d’informer le Con­
grès de l’existence de cette
plainte, comme il y est tenu. Le di­
recteur par intérim du renseigne­
ment national, Joseph Maguire,
s’y oppose cependant, sur le con­
seil du département de la justice.
Il met en avant le fait que
l’alerte ne correspond pas aux
« critères d’urgence » requis. Elle
doit en effet concerner le finance­
ment, l’administration ou les

opérations de l’un des services de
renseignement que cette direc­
tion supervise. Le président ne
relève évidemment pas de son
autorité. Le 9 septembre, Michael
Atkinson passe outre et contacte
le président de la commission du
renseignement de la Chambre
des représentants, le démocrate
Adam Schiff.
Donald Trump fait alors irrup­
tion dans la controverse, jeudi
19 septembre. Dans une série de
trois messages publiés sur son
compte Twitter, il dénonce un
« harcèlement présidentiel » com­
me aux grandes heures de l’en­
quête du procureur spécial Ro­
bert Mueller sur les interférences
russes pendant la présidentielle
de 2016.

Intense querelle juridique
« Une autre histoire de “fake news”


  • Ça ne finit jamais! », s’exclame le
    président. « Pratiquement chaque
    fois que je parle au téléphone avec
    un dirigeant étranger, je com­
    prends qu’il peut y avoir beaucoup
    de personnes de diverses agences
    américaines qui m’écoutent, sans
    parler de celles de l’autre pays.
    Aucun problème! », raconte­t­il.
    « Sachant tout cela, est­ce que
    quelqu’un est assez stupide pour
    croire que je dirais quelque chose
    d’inapproprié avec un dirigeant
    étranger lors d’un appel poten­
    tiellement aussi considérable­
    ment suivi », s’interroge­t­il. « Je


ferais seulement ce qui est juste,
de toute façon, et ne ferais que du
bien pour les Etats­Unis! », ajoute
le président.
Cette exaspération n’a évidem­
ment pas convaincu les démocra­
tes, qui ne cessent de se heurter à
l’administration fédérale dans
leurs tentatives de contrôler le
pouvoir exécutif, comme le pré­
voit la Constitution. Le président
de la commission du renseigne­
ment de la Chambre des repré­
sentants, l’un des ennemis jurés
de Donald Trump, a tenté d’y voir
clair en convoquant l’inspecteur
général à une audition à huis clos
organisée jeudi après­midi.
Ce dernier a cependant été ré­
duit au silence à la suite d’une in­
jonction de son autorité de tu­
telle. Joseph Maguire est invité à
la Chambre pour prendre part à
une audition publique la semaine
prochaine mais tout porte à
croire qu’il pourrait se montrer
aussi peu loquace.
Depuis, l’agenda de Donald
Trump, dans les semaines qui ont
précédé l’alerte, a été passé au pei­
gne fin. Deux appels attirent l’at­
tention : l’un concerne le prési­
dent ukrainien, Volodymyr Ze­
lensky, et l’autre son homologue
russe, Vladimir Poutine. Les
comptes rendus lapidaires com­
muniqués après ces conversa­
tions par la Maison Blanche n’ap­
portent cependant aucune infor­
mation permettant d’identifier la
conversation incriminée.
Cette controverse encore très
mystérieuse risque d’accentuer
le malaise qui existe depuis l’en­
quête « russe » entre le président
et une partie de la communauté
du renseignement américain.
Dernier incident en date, Donald
Trump avait fait part de sa dé­
sapprobation, le 11 juin, après la
révélation que le demi­frère du
dirigeant nord­coréen Kim
Jong­un avait été en contact ré­

gulier avec la CIA. « Cela ne se se­
rait pas produit sous mon auto­
rité », avait jugé le président,
soucieux de cultiver la relation
qu’il assure avoir établie avec
Kim Jong­un. Kim Jong­nam a
été assassiné à l’aéroport de
Kuala Lumpur, en Malaisie, en
février 2017. Donald Trump s’est
également signalé en divul­
guant, par le passé, des informa­
tions confidentielles.
La controverse promet d’ali­
menter une intense querelle juri­
dique pour établir si les faits qui
en sont à l’origine entrent, ou
non, dans le cadre prévu pour les
lanceurs d’alerte. Il est probable
que le président, entre­temps,
s’en saisisse à nouveau pour dé­
noncer un « Etat profond » voué,
selon lui, à sa perte.
gilles paris

L’agenda
présidentiel,
dans les
semaines qui ont
précédé l’alerte,
a été passé
au peigne fin

LE  CONTEXTE


SUSPICION
Depuis 2017, les soupçons sur
les relations de Donald Trump
avec la Russie se sont multipliés.
Il n’existe aucun compte rendu
détaillé des cinq rencontres avec
son homologue russe, Vladimir
Poutine. En mai 2017, il livre au
chef de la diplomatie russe,
Sergueï Lavrov, des informations
ultrasensibles communiquées
par Israël. A Hambourg, en
juillet 2017, il soustrait les notes
de son interprète après un tête-
à-tête avec M. Poutine. A l’issue
d’un sommet, à Helsinki, le
16 juillet 2018, avec M. Poutine, il
paraît entériner son démenti sur
l’ingérence russe dans la campa-
gne présidentielle, pourtant
attestée par le FBI et le rensei-
gnement américain.

« Je n’ai pas été
sensible à cette
réalité [de la
discrimination],
étant donné la
vie privilégiée
que j’ai connue »
JUSTIN TRUDEAU

A U T R I C H E
Les députés accordent
la nationalité aux
descendants de victimes
du nazisme
Les descendants de victimes
du nazisme, qui ont fui
l’Autriche en raison des persé­
cutions du IIIe Reich, pourront
obtenir la nationalité autri­
chienne. La loi, votée jeudi
19 septembre, bénéficiera aux
enfants, petits­enfants et
arrière­petits­enfants de juifs
et victimes du nazisme.
Seuls les survivants de l’Holo­

causte avaient jusqu’ici cette
possibilité. – (AFP.)

A F G H A N I S TA N
Attaque meurtrière
dans le sud du pays
L’explosion d’un camion
piégé près d’un hôpital a fait
vingt morts, jeudi 19 septem­
bre, dans le sud de l’Afghanis­
tan. L’attaque ciblait le siège
local des renseignements
afghans (NDS). C’est le qua­
trième attentat en trois jours
à moins de dix jours de l’élec­
tion présidentielle. – (AFP.)

Deux diplomates cubains expulsés


Les Etats-Unis ont annoncé, jeudi 19 septembre, l’expulsion de
deux diplomates cubains auprès de l’ONU accusés d’« activités
qui portent atteinte à la sécurité nationale américaine », alors que
s’ouvre l’Assemblée générale de l’organisation internationale. « La
demande de départ imminent » a été « notifiée » au ministère cubain
des affaires étrangères. Les autorités américaines ont accusé les
deux diplomates d’avoir « abusé » de leur résidence aux Etats-Unis
pour « tenter de mener des opérations de déstabilisation ». Le gou-
vernement cubain a aussitôt dénoncé une décision « injustifiée ».
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