Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1

6 |international SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019


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Von der Leyen sous pression des eurodéputés


Les auditions, début octobre, de plusieurs commissaires, comme Sylvie Goulard, risquent d’être tendues


strasbourg ­ envoyé spécial

U


rsula von der Leyen
a effectué une visite
discrète à Strasbourg,
jeudi 19 septembre,
pour rencontrer les présidents
des groupes politiques du Parle­
ment européen, une dizaine de
jours avant le début des auditions
des futurs membres de sa Com­
mission. Afin de tenter d’apaiser
des tensions qui montent depuis
la présentation de celle­ci. Pour
calmer ceux qui s’inquiètent, no­
tamment, de la dénomination du
portefeuille du futur commis­
saire conservateur grec, Margari­
tis Schinas, chargé de « protéger
notre mode de vie européen » : dé­
fendu par le groupe du Parti popu­
laire européen (PPE), le concept,
accouplé au thème de la migra­
tion, hérisse la gauche et le centre.
D’autres s’interrogent sur le lien
établi par la présidente entre « Dé­
mographie et démocratie », porte­
feuille attribué à la conservatrice
croate Dubravka Suica. Ils y voient
un clin d’œil un peu trop appuyé
au Hongrois Viktor Orban, « qui
considère qu’une femme doit res­
ter à la maison, faire des enfants et
aller à l’église avec son mari », iro­
nise le coprésident du groupe des
Verts, Philippe Lamberts.

« Slogans »
En se rendant au siège du Parle­
ment, la future présidente voulait
sans doute indiquer qu’elle prend
celui­ci au sérieux, tout en l’invi­
tant à une certaine modération.
Ce n’est pas elle qui a désigné les
candidats, mais les capitales, souli­
gne son entourage. Libre donc à
l’assemblée de jouer son rôle de
contrôleuse et de censeure face à
ceux qu’elle jugerait inaptes, mais
qu’elle tienne aussi compte des né­
cessités induites par le système de
coalition (l’Union est désormais
cogérée par trois grands courants,
conservateur, socialiste et libéral).
Parallèlement à la réunion des
présidents de groupe avec
Mme von der Leyen, la commis­
sion juridique du Parlement
tenait sa première session. Elle

vise à contrôler, avant les audi­
tions, les données, notamment fi­
nancières, fournies par les préten­
dants. Pour cerner d’éventuels
conflits d’intérêts, clarifier les
liens possibles des intéressés avec
des lobbys, voire comprendre leur
situation à l’égard de la justice.
Ce sera le cas pour la Française
Sylvie Goulard, affiliée au groupe
Renew Europe (libéral centriste),
toujours sous enquête de la
justice française et de l’Office
européen de lutte antifraude
(OLAF) pour l’affaire des emplois
fictifs d’assistants du MoDem. Et
peut­être pour son collègue belge
Didier Reynders, si des accusa­
tions de corruption et de blanchi­
ment, formulées à son encontre
par un ancien agent des services
de renseignement de son pays, ne
sont pas totalement écartées
avant son audition.
Du côté du groupe social­démo­
crate S&D, c’est le sort de la Rou­
maine Rovana Plumb qui pose
problème. Désignée pour le por­
tefeuille des transports, cette ex­
ministre proche du dirigeant so­
cialiste emprisonné Liviu Dra­
gnea a été citée dans un scandale
de corruption et accusée d’avoir
favorisé une compagnie liée à son
mentor. Il se murmure que la Por­
tugaise Elisa Ferreira (Cohésion et
réformes) pourrait être, elle aussi,
confrontée à quelques questions.
Au PPE, deux futurs commis­
saires sont sur la sellette. M. Schi­
nas, d’abord, en raison de l’inti­
tulé de son portefeuille. Le ma­
croniste Pascal Canfin expliquait
jeudi, sur Twitter, que le groupe
Renew Europe s’opposerait à sa
nomination si le nom ou les attri­
butions de son futur mandat
n’étaient pas modifiés. « On déci­
dera après les auditions », nuance
un cadre du groupe centriste.
Iratxe Garcia, la chef du groupe
S&D, a, elle, écrit à Mme von der
Leyen que l’intitulé de certains
portefeuilles « ressemble plus à
des slogans qu’à des descriptions
de fonctions ». L’élue espagnole
demande dès lors des « clarifica­
tions » : une allusion plus claire
au social, des précisions sur le

financement du « Green Deal »,
confié au socialiste néerlan­
dais Frans Timmermans, et des
garanties quant à la protection
de l’Etat de droit.

« Les auditions seront sportives »
Une allusion évidente au cas de
Laszlo Trocsanyi, candidat dési­
gné par Viktor Orban, qui devrait
hériter du portefeuille de l’élargis­
sement. Diplomate et ancien mi­
nistre de la justice d’un gouverne­
ment accusé de violations de l’Etat
de droit, il n’est officiellement pas
membre du Fidesz, claironne­t­on
au PPE, histoire de se démarquer
d’un parti qui est toujours sus­
pendu de toute participation aux
travaux du groupe conservateur.
Il reste que le candidat a le soutien
du PPE, comme le confirme l’élu
Les Républicains (LR) François­Xa­

vier Bellamy. « On peut débattre de
la situation de la Hongrie, mais
qu’a­t­on vraiment gagné, depuis
deux ans, à l’instrumentaliser ?, ob­
serve­t­il. Et puis, M. Orban et
M. Macron ne se sont­ils pas alliés
pour écarter le candidat du PPE à la
présidence de la Commission...? »
« Les auditions seront sportives,
pas simples pour certains, mais
comme chaque groupe a ses vul­
nérabilités et sauf surprise, on peut
donc penser qu’ils vont se neutrali­
ser », analyse un responsable du
Parlement. Arnaud Danjean, dé­
puté LR, qui commence son troi­
sième mandat, n’est pas loin de
partager ce point de vue mais
ajoute deux bémols : « Plus de
60 % des élus sont nouveaux et
donc moins rodés à la discipline de
groupe. Et puis, une audition peut,
malgré tout, très mal se passer, ce

qui pourrait alors entraîner un ef­
fet domino. Dans ce cas, Mme Gou­
lard, par exemple, aurait du souci
à se faire... On comprend mal,
notamment du côté de la CDU al­
lemande, comment une affaire
peut entraîner une démission mi­
nistérielle à Paris, mais permettre
une nomination à Strasbourg. »

Jeune député du groupe macro­
niste Renaissance, Stéphane Sé­
journé veut, pour sa part, écarter
les « mauvaises questions ». « Ce
qui compte, affirme­t­il, c’est l’adé­
quation d’une personne à sa lettre
de mission, et la conformité de
cette lettre de mission à ce qu’a dé­
claré Mme von der Leyen en juillet.
La tentation du marchandage
peut exister, mais j’espère que l’on
n’entrera pas dans ce système tota­
lement déconnecté de la volonté
du citoyen. Donc, pas de ball­
trap! » Le détail a son impor­
tance : les commissaires les plus
problématiques, dont le candidat
hongrois (le 1er octobre) et Sylvie
Goulard (le 2), seront auditionnés
les premiers afin de permettre
d’éventuels ajustements au sein
de la future commission.
jean­pierre stroobants

« La protection du mode de vie doit aussi concerner les étrangers »


Le président du Parlement européen, David Sassoli, demande une clarification sur la migration à Ursula von der Leyen


ENTRETIEN
strasbourg ­ envoyé spécial

A


ncien journaliste, élu
eurodéputé du Parti dé­
mocrate italien en 2009,
David Sassoli, 63 ans, est devenu
président du Parlement de
Strasbourg en juillet. Il affirme
vouloir renforcer le rôle de son
assemblée face aux autres insti­
tutions de l’Union.

Approuvez­vous l’intitulé du
portefeuille sur « la protection
de notre mode de vie euro­
péen » de la future Commis­
sion, qui est proposé à Marga­
ritis Schinas et fait polémique?
J’ai eu une récente discussion
avec Ursula von der Leyen sur
ce sujet. Je crois qu’elle songe
vraiment aux valeurs évoquées
dans l’article 2 du traité de
l’Union : dignité humaine, li­
berté, démocratie, égalité, Etat de
droit, respect des droits de
l’homme, y compris des droits
des minorités, etc.
Le lien qu’elle a établi entre la
migration et la « protection »
n’était toutefois pas clair. Elle de­
vrait, selon moi, réfléchir à une
façon de mieux intégrer ces va­
leurs dans la définition du
portefeuille du futur commis­
saire. Les thèmes de la recherche,
de la culture, de la jeunesse
devraient aussi être mis en évi­
dence. Et le portefeuille du com­

missaire au travail aurait besoin
d’être mieux défini autour des
thèmes de l’Europe sociale.

Certains groupes et élus
proposent d’enlever l’idée
de « protection »...
La « protection » doit en tout cas
concerner tous ceux qui vivent
en Europe. Européens et non­
Européens.

Mme von der Leyen a­t­elle,
selon vous, voulu faire
un geste adressé à Budapest
ou à Varsovie?
On a un peu oublié les condi­
tions de la campagne électorale
avant le scrutin de mai. Des
forces politiques voulaient clai­
rement l’utiliser pour détruire
le système. Je crois que Mme von
der Leyen a été fidèle à l’esprit du
camp pro­européen.

Comment cette législature,
qu’Ursula von der Leyen
dit « géopolitique »,
se présente­t­elle à vos yeux?
Les forces pro­européennes du
Parlement veulent rouvrir un
chantier délaissé depuis trop
longtemps : notre législature
doit être politique, et se donner
pour objectif de renforcer la
démocratie européenne. Les
pro­européens, dans lesquels
j’inclus les Verts et la GUE [Gau­
che unitaire européenne, gauche
radicale], ont gagné les élections.

Mais aucun groupe n’a un rôle
vraiment prépondérant, ce qui
va favoriser les convergences.
L’aspect « géopolitique » évoqué
par la future présidente signifie
qu’elle veut concilier les visions
de toutes les Europes : du Nord,
du Sud, de l’Est...

Plusieurs prétendants à un
poste de commissaire sont déjà
mis en cause. Parce qu’ils sont
l’objet d’enquêtes judiciaires
ou parce que, comme le candi­
dat hongrois, ils ont mis en
place des politiques critiquées
par l’Union. Est­ce acceptable?
Comme président, je suis le
garant d’un processus démocrati­
que et transparent. Les parlemen­
taires vérifient le profil et toutes
les données, notamment finan­
cières, concernant les candidats.
Et je vous rappelle que le Parle­
ment a émis antérieurement des
objections à la nomination de

candidats commissaires et rejeté
une candidature en 2014.

Concernant la commissaire
française, Sylvie Goulard,
le dossier des assistants parle­
mentaires du MoDem est­il, à
vos yeux, totalement refermé?
Cette affaire est close pour le
Parlement.

Le système de coalition à trois,
entre sociaux­démocrates,
conservateurs et libéraux,
va­t­il aboutir à ce que
les trois grandes formations
se neutralisent et acceptent
tous les candidats proposés
par les Etats membres?
Je ne pense pas en ces termes.
Pour faire fonctionner l’institu­
tion et faire avancer la démocratie,
nous avons besoin de convergen­
ces et de dialogue entre des forces
politiques différentes. Comme le
veut le système de coalition en vi­
gueur en Italie ou ailleurs.

Etes­vous confiant dans
la durée de l’alliance entre
le Parti démocrate et le Mouve­
ment 5 étoiles en Italie?
L’Europe est importante pour
l’Italie, et l’Italie pour l’Europe.
Pendant un an et demi, l’extrême
droite de Matteo Salvini a creusé
de manière intolérable le fossé
avec l’Union, mais un grand es­
poir est désormais né. Il y a une
grande confiance dans la nou­

velle équipe au pouvoir, qui a
proposé un ancien président du
Conseil comme commissaire
européen et a désigné un autre
pro­européen comme ministre
de l’économie et des finances.

Y aura­t­il un vrai changement
de cap sur la migration?
J’ai rencontré la semaine der­
nière le président du Conseil
italien, Giuseppe Conte, et nous
sommes totalement d’accord,
sur la question de la migration
notamment. Elle est prioritaire
en Italie, mais aussi essentielle
pour l’Union, qui n’a pas actuel­
lement les instruments et la
force pour l’affronter. On de­
mande tout aux gouvernements
nationaux et ce n’est pas accepta­
ble. J’espère que les réformes né­
cessaires passeront enfin le cap
du Conseil. Celle des accords de
Dublin a été votée à une large
majorité en décembre 2017 par le
Parlement... Je remettrai cette
question sur la table en octobre.

Que pensez­vous de l’initiative
de Matteo Renzi de quitter
le Parti démocrate?
Le caractère d’un homme fait
son destin. Le Parti démocrate
est le plus important parti pro­
gressiste italien et un point de ré­
férence en Europe. Il ne faut pas
affaiblir les partis, mais travailler
pour les rendre plus forts.
propos recueillis par j.­p. s.

« Notre
législature doit
être politique
et se donner
pour objectif
de renforcer
la démocratie
européenne »

Ursula von
der Leyen,
à son arrivée
au Parlement
européen, à
Strasbourg, le
19 septembre.
VINCENT KESSLER/
REUTERS

« Comme chaque
groupe a ses
vulnérabilités,
on peut penser
qu’ils vont se
neutraliser », juge
un responsable
du Parlement

LE  PROFIL


David Sassoli
A 63 ans, cet ancien journaliste,
membre du Parti démocrate
italien (gauche), a été élu prési-
dent du Parlement européen
en juillet, dans la foulée du scru-
tin européen de mai. L’élection
surprise de l’eurodéputé social-
démocrate avait constitué un
désaveu pour le gouvernement
au pouvoir à l’époque, dans
son pays, la coalition entre
le Mouvement 5 étoiles
et la Ligue de Matteo Salvini
(extrême droite), avant que
celui-ci ne rompe avec son allié.
M. Sassoli devrait rester en place
jusqu’en 2022, avant de céder
la place à un eurodéputé issu
du Parti populaire européen.
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