Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1

IllustrationsYa nn Kebbi pourMLemagazine du Monde —21 septembre 2019


nest d’un livrecomme on estd’unpays.onenconnaît lesavenues, les ruelles,
les impasses.Ainsi, les proustiens, comme on appelle ces êtres foudroyés par
la lecture des trois mille et quelques pages d’Àlarecherche du temps perdu,
peuvent-ils se balader mentalement dans Combray que Marcel Proust (1871-
1922 )aimaginé et peuplé de ses personnages. Pour les retrouver,ils viennent
en pèlerinage dans cette bourgade d’Eure-et-Loir,berceau de la famille
Proust, devenue, depuis 1971, Illiers-Combray après que le ministère de
l’intérieurapermis que la fiction s’empare du réel. Ils savent qu’ils seront
désappointés, mais s’en réjouissent. La maison de tante Léonie, où le narra-
teur s’est«longtemps couché debonne heure»,se fissure par endroits. (Ici une
première digression s’impose:les proustiens se disputent sur la question de
savoir qui dit«je».Certains l’appellent le narrateur,d’autres le héros,
d’autres encore Marcel. On peut trouver la question subalterne.) On fait le
tour du jardin en trente secondes. On grimpe le raidillon des aubépines en
petites foulées. Désappointés mais pas déçus. La réalité est toujours moins
séduisante que le désir qu’on en avait. C’est une des grandes lois du livre,
donc de la vie. Ou vice versa.
C’est ici, dans ce village placide entre Beauce et Perche, que Patrice Louis a
choisi d’habiter quand il est revenu en métropole après un long séjour aux
Antilles et au Bénin. Nous avons rendez-vous, chez lui, dans une rue au nom
de poète. Pendant cinq ans, au rythme d’un post par jour,ilatenu un blog dont
le titre, Le fou de Proust, pourrait s’appliqueràtous ceux que nous allons
croiser.Saconversion est tardive. Il raconte :«Sexagénaire et journaliste
retraité, vivantàCotonou, j’ai eu un jour un échange un peu vif avecViolette,
mo népouse. Je suis parti bouder sur mon hamac, non sans m’être muni d’un
livre. »Voilà des années qu’il trimballait, au gré de ses déménagements, les
volumesdel’édition de«LaPléiade»d’Àla recherchedutemps perdu,sans
jamais parveniràdépasser la 100epage.«Cejour-là, j’ai pris le premier•••


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