Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1
0123
SAMEDI 21 SEPTEMBRE 2019 international| 7

Face à l’insécurité, les habitants


de Barcelone se mobilisent


L’augmentation des vols avec violence secoue la capitale catalane,


tandis que le nombre de mineurs non accompagnés explose


REPORTAGE
barcelone ­ envoyée spéciale

B


éret rouge, pantalon noir
et tee­shirt blanc, les
Guardian Angels, ces
patrouilles citoyennes
auto­organisées, nées à New York à
la fin des années 1970, ont débar­
qué à Barcelone, lundi 16 septem­
bre. Bien décidés à traquer les pick­
pockets dans le métro et les rues
de la cité catalane, et formés aux
techniques d’autodéfense, les « an­
ges gardiens » représentent la der­
nière réaction citoyenne face à la
montée de l’insécurité.
Car c’est loin d’être la seule.
D’autres patrouilles citoyennes,
comme les Barcelona Residents
Against Robbery (ROAR), munies
de sifflets et de sprays au poivre, et
regroupant des dizaines de mem­
bres, se chargent de poursuivre les
voleurs dans le métro en brandis­
sant des pancartes les signalant.
Des groupes tels que les Helpers
Barcelone postent sur les réseaux
sociaux les vidéos des agressions
dont ils sont témoins et dressent
des cartes actualisées de la délin­
quance. Des commerçants organi­
sent des réseaux d’alerte...
Sur les six premiers mois de l’an­
née, le nombre de vols avec vio­
lence ou intimidation a en effet
bondi de 30 % dans la cité catalane
par rapport au premier semestre
2018, avec près de 7 100 cas recen­
sés par le ministère de l’intérieur.
Le nombre de plaintes pour vol
(sans violence) a atteint les 67 000,
soit une hausse de 7,4 %. Depuis
décembre 2018, l’insécurité est re­
devenue la principale préoccupa­
tion des Barcelonais, devant l’ac­
cès au logement. Elle ne l’était plus
depuis 2010. Chaque semaine, des
faits divers marquants s’étalent
dans la presse, comme la mort, en
juin, de la vice­ministre du tou­
risme sud­coréenne, trois jours
après une violente chute alors
qu’elle tentait d’échapper à un vol
à l’arraché de son sac à main par
un homme à scooter. Dans un des
pays les plus sûrs d’Europe, ces
épisodes répétés font tache,
même si l’administration locale
tente de les relativiser.

« Message d’impunité »
« Barcelone reste l’une des métro­
poles les plus sûres d’Europe,
même si nous avons actuellement
un problème avec l’augmentation
des vols avec violence », assure au
Monde la maire, Ada Colau, du
parti de la gauche alternative Bar­
celona en Comù (« Barcelone en
commun »). Depuis deux ans, cel­
le­ci demandait à la Généralité (le
gouvernement catalan) une aug­
mentation du nombre de Mossos
d’esquadra, les policiers régio­
naux, et des mesures spécifiques
pour enrayer le phénomène. En
juin, après les élections locales,
un plan de sécurité a été défini :
180 agents ont été incorporés à
Barcelone et 320 autres sont at­
tendus en septembre.
Plusieurs facteurs expliquent,
selon Mme Colau, la montée de la
délinquance. Le premier serait la
suppression, en 2017, de la réci­
dive comme circonstance aggra­
vante qui permettait de passer de
l’amende à une peine de prison
au bout du quatrième vol. « Il
n’est pas possible de traiter de la
même manière un petit voleur et
un professionnel, cela envoie un
message d’impunité », assure
cette ancienne militante du droit
au logement. S’y ajoute un man­
que de policiers, du fait des me­
sures d’austérité appliquées ces
dernières années.
Pour l’opposition, cependant, la
« passivité » de la maire, au pou­
voir depuis 2015, est une autre
cause de la détérioration de la si­

tuation. Début septembre, les par­
tis lui ont de nouveau reproché en
bloc d’être « dans le déni sur la crise
de sécurité ». « Si, à gauche, nous
sommes incapables d’affronter le
problème de la sécurité, nous ris­
quons de favoriser le discours de
l’extrême droite », a averti le porte­
parole local de la Gauche républi­
caine de Catalogne, Jordi Coronas.
« Les chiffres objectifs de la délin­
quance ne sont pas bons », con­
firme le directeur général des
Mossos d’esquadra, Andreu Joan
Martinez. Mais il rejette le terme
de « crise » et souligne que « le
phénomène des narcopisos [les
squats utilisés pour la vente de
drogue] est sous contrôle et [que]

les cambriolages ont diminué de
17 % : il s’agissait des principales
préoccupations de la mairie l’an
dernier ». « Je ne doute pas que
nous serons capables de renverser
la situation actuelle », ajoute­t­il.
« Il y a toujours eu des voleurs atti­
rés par les touristes éméchés, mais
le phénomène est devenu chroni­
que et plus violent », assure Jorge
Illas, porte­parole de l’Association
de voisinage du Raval, l’un des
quartiers les plus touchés par la
hausse de la délinquance. Selon
lui, « la mairie a été trop complai­
sante avec les squatteurs. Au début,
ça avait un côté folklorique. Puis
nous sommes passés aux narcopi­
sos, avec de plus en plus de toxico­
manes dans les rues et les immeu­
bles, et la destruction des commu­
nautés de voisinage que cela a pro­
voquée. Enfin, la hausse du nombre
de mineurs non accompagnés a
submergé la ville. Ils sont toute la
journée abandonnés à leur sort, et
sont rapidement recrutés par des
clans mafieux », explique­t­il.

« Echec du système »
En 2018, 3 800 mineurs non ac­
compagnés sont arrivés en Cata­
logne, selon les chiffres officiels,
contre 1 400 en 2017 et 700
en 2016. Pour Mme Colau, « la si­
tuation de ces enfants, qui dépen­
dent de la Genéralité, reflète
d’abord l’échec du système. Il faut

définir un plan intégral. Ils n’ont
pas seulement besoin d’un en­
droit où dormir, mais de perspec­
tives. Seuls 12 % ont commis des
actes de violence : on ne peut pas
généraliser », conclut­elle.
En attendant, l’inquiétude de la
police face à la multiplication des
initiatives d’autodéfense ci­
toyenne grandit : « La responsabi­
lité de l’ordre public dépend de l’ad­
ministration, et l’auto­organisa­
tion peut être très dangereuse », ré­
pète le socialiste Albert Batlle,
nouvel adjoint chargé de la sécu­
rité depuis juin. Ancien directeur
des Mossos, il doit incarner le vi­
rage pris par la mairie pour en­
rayer la montée de la violence.
sandrine morel

Brexit : devant la Cour


suprême, la bataille des


premiers ministres tory


John Major accuse Boris Johnson d’avoir
menti à la reine pour suspendre le Parlement

londres ­ correspondante

N


ouvel épisode hors
norme dans la saga du
Brexit : jeudi 19 septem­
bre, un ex­premier ministre con­
servateur, John Major, a accusé
l’actuel premier ministre tory,
Boris Johnson, d’avoir menti à la
reine et affaibli le Parlement bri­
tannique. Et il ne l’a pas fait sur un
plateau de télévision, mais devant
la Cour suprême, la plus haute juri­
diction du Royaume­Uni.
C’est son avocat, Lord Edward
Garnier, qui a parlé dans l’enceinte
judiciaire au nom de l’ancien chef
du gouvernement (entre 1990 et
1997). Ses arguments étaient
autant d’uppercuts contre la déci­
sion controversée de M. Johnson
de suspendre le Parlement britan­
nique cinq semaines (du 9 sep­
tembre au 14 octobre) juste avant
la sortie théorique de l’Union
européenne (UE), le 31 octobre.
Les raisons avancées pour justi­
fier la suspension (« prorogation »)
des Chambres des communes et
des lords « ne peuvent être exac­
tes », a souligné Me Garnier dans sa
plaidoirie, le gouvernement
n’ayant pas transmis à la Cour de
déclaration sous serment justi­
fiant sa décision. M. Johnson
s’était contenté, le 28 août, d’un
courrier aux députés faisant valoir
qu’il avait besoin d’une suspen­
sion pour « préparer un pro­
gramme de réformes ambitieux ».
Ses adversaires l’accusent d’avoir
voulu bâillonner le Parlement, à
un moment crucial du Brexit,
pour négocier les mains libres un
nouvel accord avec Bruxelles, ou
pour aller vers une sortie sans ac­
cord, contre l’avis majoritaire des
élus. M. Major s’est associé à la mi­
litante anti­Brexit Gina Miller, qui
a dénoncé la prorogation devant la
Haute Cour de justice d’Angleterre.
Celle­ci, début septembre, avait
rejeté leur plainte, estimant que
les juges ne peuvent pas se pro­
noncer sur une prorogation, déci­
sion « par nature politique ». Mais,
comme la Haute Cour d’Ecosse,
également saisie, a rendu un avis
contraire, jugeant la suspension
« illégale », c’est donc désormais à
la Cour suprême de trancher.
Me Garnier a dénoncé l’argu­
ment du caractère uniquement
« politique » de la prorogation : « Si
cette conclusion est correcte, cela si­
gnifierait qu’il n’existe rien, dans
notre droit, pour empêcher un pre­
mier ministre de proroger le Parle­
ment en toutes circonstances ou
pour n’importe quelle raison. » Dès
lors, « un premier ministre pourrait
proroger le Parlement juste avant
un vote de défiance, s’il craint de le
perdre, dans le seul but d’éviter
d’être contraint à la démission ».
Le camp du « Leave » (les parti­
sans d’une sortie de l’UE) a quand
même souligné, jeudi, sur les ré­
seaux sociaux, que M. Major avait
mis en congé forcé les élus pen­
dant trois semaines, en 1997. A
l’époque, ses détracteurs l’avaient
accusé d’avoir voulu éviter le vote
d’un rapport sur la corruption
dans les rangs conservateurs.
La veille, très en verve face à la
Cour suprême, Aidan O’Neill,
l’avocat de plaignants auprès de la
Haute Cour d’Ecosse, avait même
dénoncé « la fermeture de la mère

des Parlements [Westminster] par
le père des mensonges [Boris John­
son] ». Durant les auditions, le
camp du premier ministre a paru
sur la défensive, Lord Keen, l’avo­
cat de Downing Street, répétant
que les députés « auraient tout le
temps » d’examiner des textes liés
au Brexit à partir du 14 octobre.
Posé, Lord Pannick, l’avocat prin­
cipal de Mme Miller, a conclu, jeudi,
les auditions en réclamant de la
Cour qu’elle déclare « illégal » le
conseil donné par le premier mi­
nistre à la reine, quand M. Johnson
lui a demandé, fin août, d’autori­
ser la prorogation. Une telle décla­
ration suffirait pour permettre
aux présidents de la Chambre des
communes et des lords de recon­
voquer le Parlement « dès la se­
maine prochaine ».

Le choix épineux de la Cour
Les onze juges de la Cour suprême
doivent rendre leur décision,
« aussi tôt qu’il est humainement
possible », a précisé Lady Hale, la
présidente, à partir de lundi
23 septembre. La première magis­
trate du pays, 74 ans, et ses collè­
gues font face à un choix épineux :
désavouer un premier ministre en
exercice? Avoir à trancher entre
une Haute Cour d’Ecosse et une
Haute Cour d’Angleterre?
La dernière fois que des juges de
la Cour avaient dû se prononcer
sur un sujet directement lié au
Brexit – ils avaient autorisé le Par­
lement à se prononcer sur la noti­
fication du Brexit à Bruxelles, fin
2016 –, cela leur avait valu cette
« une » infamante du Daily Mail où
ils étaient présentés comme des
« ennemis du peuple ». « En aucun
cas, nous ne sommes ici pour défi­
nir quand et comment le Royaume­
Uni quittera l’UE », a jugé utile de
repréciser Lady Hale, jeudi.
L’inquiétude est montée d’un
cran dans l’entourage de Boris Jo­
hnson, qui pensait sortir sans en­
combre de cette parenthèse judi­
ciaire, mais qui risque désormais
d’y laisser des plumes. « Je suis pru­
demment optimiste », déclarait
Joanna Cherry, la députée du Parti
national écossais ayant lancé la
plainte auprès de la Haute Cour
d’Ecosse, en quittant les auditions.
Une décision en sa défaveur af­
faiblirait encore Boris Johnson,
alors que plus un jour ne passe
sans un nouveau problème. Après
l’humiliation infligée lundi par le
premier ministre luxembour­
geois qui a tenu une conférence
commune sans lui, M. Johnson a
été pris au dépourvu, mercredi
18 septembre, lors d’une visite
d’hôpital. « Il n’y a pas de journalis­
tes ici », a­t­il affirmé contre toute
évidence face aux caméras de télé­
vision, alors que le père ulcéré
d’un jeune patient lui reprochait
de se préoccuper davantage de son
plan médias que de l’état du sys­
tème de santé britannique.
cécile ducourtieux

2 km

Mer
Méditerranée

Barceloneta

Raval

Quartier gothique

Ramblas

BARCELONE

ESPAGNE

Madrid Barcelone « Toute la journée
abandonnés
à leur sort,
les mineurs
non accompagnés
sont rapidement
recrutés par des
clans mafieux »
JORGE ILLAS
porte-parole de l’Association
de voisinage du Raval

Boris Johnson,
qui pensait sortir
sans encombre
de cette
parenthèse
judiciaire, risque
d’y laisser
des plumes

LE  CONTEXTE


PROPOSITION
La présidence finlandaise de
l’Union européenne a exigé, jeudi
19 septembre, du Royaume-Uni
une proposition d’accord écrite
sur le Brexit d’ici à la fin de sep-
tembre, afin d’éviter une sortie
de l’UE sans accord. « Nous pré-
senterons des solutions écrites
formelles quand nous serons
prêts, et non en fonction d’une
échéance artificielle », a aussitôt
réagi un porte-parole du premier
ministre britannique, Boris John-
son. Les responsables de l’UE ont
appelé Londres, mercredi, à ne
« pas faire semblant de négocier ».

Boutique Paris +33 (0)1 73 73 93 00

bellross.com

Instruments du temps pour explorateurs urbains

TIME INSTRUMENTS


FOR URBAN EXPLORERS
New BR 05collection
Free download pdf