Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1

Photos Akasha Rabut pourMLemagazine du Monde —21 septembre 2019


Ci-dessus
et ci-contre,
lors des
célèbres
soirées
karaoké
du Kajun’s
Pub,doté
d’un catalogue
de 70000
chansons.
Page de droite,
la propriétaire
de l’établisse-
ment.

les lits volentàtravers les fenêtres brisées
de l’Hôtel Hyatt, le palace de LoyolaAvenue,
qui ne rouvrira que six ans plus tard.L’ électricité
est coupée dans la majeure partie de la ville, les
voiesdecommunication sont impraticables, un
tiers des effectifs de la policeaabandonné son
poste, livrant les rues aux pillards et aux
délinquants poussés par la faim.«Des gens
pauvres, noirs pour la plupart, qui n’auraient
pu quitter la ville par leurs propres moyens de
toute façon. Ils n’avaient nulle part où aller,ne
possédaient même pas de voiture»,sesouvient
Dan Baum, journaliste indépendant habitué
des prestigieuses colonnes duNewYorker,
venu couvrir les événements.


L’ avenue Saint-Claude–qui prend sa source
dans le quartier du même nom et déroule
son bitume sur près de2kmentraversant
une partie du Lower 9thWard, le quartier le
plus misérable de La Nouvelle-Orléans–est
un tempsépargnée.Àune demi-douzaine de
blocksdelarive nord du Mississippi, elle
devient la seule artère d’importanceàpou-
voir être empruntée par les quelques véhi-
cules de secours encore en service. Halluciné
par le niveau de désolation qu’il découvre,
Baum est d’autant plus stupéfait de dénicher
un bar ouvert. Le seulàdes kilomètresàla
ronde. Le Kajun’sPub.«Àl’intérieur,ily
avait cette femme avec sa grosse voix qui se

démenait, servait ses clients et vendait de la
bière fraîcheà1dollar la canette alors qu’elle
aurait pu spéculer,faisait la cuisine aux
habitués, accueillait les gens terrorisés qui
poussaientlaporte de sonpub.»Juchésur
un tabouretàses côtés, un motard bardé de
cuir,«unvrai duràl’air mauvais»,mur-
mure alors au journaliste :«Cette femme
prend soin de nous tous. Et tu veux connaître
la meilleure?Elle aune bite.»

R


ésumer la bio-
graphie roma-
nesque de
Joann guidosà
unequestion
d’appendice
sexuel revien-
draitàbalayer
une existence
où le drame intime puis la résurrection don-
nent la mainàlagrande Histoire, du temps où
La Nouvelle-Orléans n’était pas encore éclip-
sée par son image de carte postale–vaudou et
Mardi-Gras sur Bourbon Street–où«mister »
Gene Lamarr,la«prima donna cubaine », se
produisait en robe de mariéeàraison de trois
spectacles par nuitauWonder Club,refugedes
travestis, des transformistes, et concurrent
direct du My-O-My,autre boîte spécialisée.
C’était dans les années 1940, bien avant que
ces précurseurs n’engendrent une postérité
aujourd’hui incarnée par les drag-queens
lousianaisesVinsantos ou Persana Shoulders
qui tient les murs du Oz, le plus fameux bar gay
de la ville, ou Coca Mesa, dont le show au

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