Boomtown Casino de Biloxi, Mississippi, se
joue àguichets fermés.
Mais tout de même.Avant JoAnn, ilyeut
John,rejeton de la classe moyenne blanche de
La Nouvelle-Orléans. Mère aimante, père
ancien officier de l’US Navy capturé par les
Japonais dans les Philippines, qui passera
quatre années en camp de concentration
avant de retourner au pays. La généalogie
familiale lorgne l’Europe de l’Est et les vertes
prairies d’Irlande, l’éducationsedéroule sous
la férule des profs et des religieux de l’école
élémentaire Saint Louis King of France, puis
de Cor Jesu, un collège catholique réputé.
Suite logique:John se marie avec Kathy,qui
lui donne deux enfants,Jim et Sandy,reprend
la prospère affaire paternelle, sorte de bazar
qu’il ne cesse de développer et d’agrandir.
Une belle maisonàMetairie, un quartier plu-
tôt huppé, vient rehausser le trompe-l’œil.
Car derrière cette petite réussiteàl’améri-
caine se dissimule la profonde détresse d’un
homme qui s’est toujours senti femme;d’un
enfant qui se précipitait dans le dressing de sa
mère pour passer ses robes dès qu’elle tour-
nait les talons;d’un jeune adulte rôdant
autour du Gregory’s, du Double Play ou du
Wild Side, les bars homo de la ville, sans
jamais oser en pousser les portes;d’un mari
qui se maquille sitôt sa femme en goguette
pour un après-midi de shopping.Trente
années enferméàdouble tour dans un pla-
card, tiraillements personnels et culpabilité
mêlés, ne prendront fin qu’à l’occasion d’une
farce tragicomique qui tient aussi de l’acte
manqué. Un soir de 1983, tandis que Kathy
est dehors avec les enfants, John se travestit
puis utilise un vibromasseur.L’ustensile reste
coincé.Un aller aux urgences,transi de honte,
un réveil dans une chambre d’hôpital face à
son épouse sans nouvelles depuis la veille et
voilà l’infirmière de service qui dépose devant
eux, sur la table de chevet, le vibromasseur
retiré par les médecins.
La vie de John, cette fiction, vole aussitôt en
éclats. Kathy le plaque, non sans avoir tout
révélé aux parents de son mari. Il perd sa
vaste maison et le grand bazar encombré de
bibelots:les traites étaient honoréesàcoups
d’emprunts, dont les banques exigent le
remboursement sans délai. Banqueroute sur
toute la ligne, personnelle, professionnelle.
Rock bottom,disent les Américains:John
«touche le fond». Même sa fille, Sandy,qui
apréféré vivre avec son père car elle refusait
de croire aux«élucubrations»de sa mère,
fugue pour Memphis en apprenant la vérité
fortuitement:unjour,deretour plus tôt que
prévu du lycée, elle aperçoitàtravers une
fenêtre une femme fuir au premier coup de
sonnette. Lorsque son père lui ouvre la
porte, il nie mais la gamineacompris.«Ça
nous abrisélec œur àtousles deu x»,se
retient de sangloter aujourd’hui cette crou-
pière de baccarat au Harrah’s, le grand casino
de la ville, en racontant sans détour ses
années d’errance, qui ont suivi le«choc»,
dissoutes dans les vapeurs d’alcool et de
drogue avant la réconciliation survenue
en 2005, après Katrina.
Démasqué, ruiné, John sombre et survit en
travaillant dans une pizzeria pour clients
fauchés. La délivrance viendra du courrier
des lecteurs de la revuePenthouse
Variations,achetée en cachette tous les
mois et consacrée aux sexualités«paral-
lèles ».«Vous aimez vous travestir?•••