Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1
21 septembre 2019—MLemagazine du Monde

Lessorties de


l’ambassadeur.


Israël, les Nations unies,Washington...À66ans, Gérard Araud laisse derrière lui


une brillante carrière au Quai d’Orsay.Defervents admirateurs de son indépendance


d’esprit et autant de détracteurs qui voient en lui un “gourou” néoconservateur.


Sa liberté de tonacertainement contrarié son espoir de devenir conseiller


diplomatique d’Emmanuel Macron. Alors qu’il publie un livre, celui qui a


été recruté par l’homme d’affaires Richard Attias devra sans doute tempérer


ses bons mots pour ne pas froisser ses nouveaux clients.


parAlexAndre duyck—photoscArolineTompkins

A


l’échelle de Manhattan, le petit iMMeuble de
quatre étages resseMbleàune Maison de pou-
pée.Difficile de faire plus chic:c’est le Upper
East Side deWoody Allen, des boutiques
Ralph Lauren, Stella McCartney,Chanel et
Ladurée. Et pourtant on plaindrait presque
l’homme qui vit danscet élégant apparte-
ment de 90 mètres carrés avec beaux par-
quets, murs blancs, chaises design et œuvres d’art accrochées aux
murs. Pensez donc:ilyaquelques mois encore, Gérard Araud vivait
dans un vrai palais, sa résidence d’ambassadeur de France à
Washington. Et quelques années auparavant, de 2009à2014, alors
représentant permanent de la France auprès des Nationsunies, il
occupa un des plus somptueux appartements de NewYo rk, un duplex
de 720 mètres carrés. Quand François Hollande décida de le céder,le
dix-huit-pièces fut vendu 70 millions de dollars...
Depuis le mois d’avril, fini la vie de château pour l’homme qui organisait
desfêtes somptueusesàWashington. Christine Lagarde, qu’on n’imagi-
nait pas aussi fêtarde, s’y est rendue en tant que présidente du FMI :
«C’était d’une classe folle. En rater une, c’était toujours s’entendre dire :
“Tuasvraiment manqué quelque chose !” »La première fois que l’am-
bassadeur et Christine Lagarde se rencontrent, le premier confieàla
seconde :«Finalement, vous êtes beaucoup plus sympathique que ce que
je pensais!»En avril, l’âge limiteafini par rattraper cet homme élégant
et longiligne:66ans, terminus pour la brillante carrière publique de ce
pur produit de l’école républicaine, surdiplômé (bac+10, Polytechnique,
Sciences Po et ENA), fils aîné d’un père commercial et d’une mère au
foyer installésàMarseille. Lui qui occupa quatre postes prestigieux
–ambassadeuràTel-Aviv,directeur des affaires stratégiques du Quai
d’Orsay,Nations unies,Washington–adûserésoudreàs’arrêter,non
sans avoir organisé une dernière fête (un bal masqué), accueilli un suc-
cesseur (Philippe Étienne);rendu le précieux passeport diplomatique
et écrit son livre,Passeport diplomatique. Quarante ans au Quai


d’Orsay,àparaître le2octobre chez Grasset. Olivier Nora, son éditeur,a
reçu un texte«entre l’essai politique et les Mémoires, une plongée au cœur
de la machine, du mécanisme de prise de décisions:jen’avais jamais lu
cela. »Dans son dernier tiers, l’ouvrage analyse surtout la victoire puis
l’exercice du pouvoir de DonaldTr ump. Araudyregrette qu’on puisse
«vomirTrump en s’appuyant sur ses défauts, il est vrai patents, en refu-
sant ainsi implicitement de considérer que son élection est autre chose qu’un
accident, une aberration ».
Pour son ami Dominique deVillepin,«Gérard fait partie des quatre
ou cinq diplomates sortis du lot ces trente dernières années. Il possède
une capacité de réflexion sur le temps long et l’actualité, une force de
questionnement que n’ont pas toujours les diplomates qui manquent
de références politiques et idéologiques ».Ils se sont connus en 1987 et
partagent une même idée de la«grandeur»delaFrance, pour
employer un grand mot. Le 14 février 2003,Villepin prononce
son fameux discours aux Nations unies par lequel il s’opposeàl’at-
taque américaine en Irak. Le diplomate, lui, pensait,àl’époque, qu’il
valait mieux faire profil bas faceàBush.«Enyrepensant, j’ai eu tort,
contrairementàChirac etVillepin. »
On dit alors qu’il est un farouche pro-américain. En juillet 2003,Villepin
le nomme ambassadeur en Israël. Il apprend l’hébreu, estime qu’il faut
davantage entendreles positions israéliennes dans une maison, le minis-
tère des affaires étrangères, historiquement pro-arabe. Ilyest marqué par
les récits des survivants de la Shoah.«Mes parents m’ont inculqué le côté
sombre de l’homme, je sais que l’homme porte le mal en lui, moiycom-
pris. »Christine Lagarde croit deviner,«derrière cet esprit élégant, raffiné,
un peu écorché vif, derrière la grande sensibilité, le sarcasme et l’ironie, un
soi profond qui souffre ».Enfant, quand il se couchait, Gérard Araud,
élevé dans la tradition catholique, confie qu’il s’endormait souvent en se
demandant :«Quel mal as-tu pu faire aujourd’hui?»
Aux yeux de ses détracteurs, celui qui connaît tous les papes, tous les
rois de France, d’Espagne ou d’Angleterre devient l’incarnation des
«néoconservateurs », les«néocons»:pour résumer,les faucons,•••

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