Le_Monde_-_21_09_2019

(coco) #1
21 septembre 2019—Photos CarolineTompkins pourMLemagazine du Monde

•••la Méditerranée, la vitalité effrénée de NewYork, son bruit infer-
nal, son agitation et les surprises qu’elle réserve aux chanceux.«Un
soir,avec mon compagnon, nous étions au restaurant. Il m’a dit :
“Gérard, retourne-toi!Derrière toi, c’est Liza Minnelli.” »Assis
dans son beau salon dépouillé, entouré d’œuvres de son conjoint, l’ar-
tiste Pascal Blondeau, dont il partage la vie depuis plus de vingt ans, il
s’interrogeàvoix haute :«Àquel âge la vieillesse me tombera-t-elle
dessus?Onnesevoit pas vieillir.Jemedemande souvent:“Quand
est-ce que je me sentirai vieux ?” »
Bien sûr qu’ilaadoré l’outrecuidance et la violence du candidat
Macron.L’ un des préceptes de la pensée araldienne n’est-il pas :
«Endiplomatie, quand l’ennemi estàterre, il faut le piétiner »?
En mars 2017, l’ambassadeur de France adresse au candidat
d’En marche!trois notes de synthèse. Puis il se rend au QG de cam-
pagne. Il rêve de devenir le conseiller diplomatique du futur président.
Il accorde, le 17 avril 2017, une interview àLibérationdans laquelle
il prend clairement position pour Macron contre Marine Le Pen.«Je
connais le devoir de réserve, je l’ai pratiqué pendant trente-cinq ans,
déclare-t-il au quotidien.On n’a pas besoin de m’apprendre ce que
c’est. Mais j’ai ma conscience. »Une fois encore, il parle trop. Laisse
dire qu’il est le favori pour devenir le sherpa d’Emmanuel Macron. Ses
ennemis en profitent, en rajoutent, parlentàsaplace. Le voici intro-
nisé ,peut-être même futur ministre des affaires étrangères.«Alors,
vous parlezàlapresse en notre nom?»,s’agacent plusieurs membres
de la garderapprochée du candidat.«Et, là, j’ai su que j’étais mort. »
«Bien sûr qu’il avait les épaules pour le job,assure un autre ambas-
sadeur.Après, est-ce qu’une telle personnalité, une grande gueule
comme lui, allait demeurer assez silencieuse pour accomplir
cette mission?Lesherpa doit faire preuve d’une grande discrétion et
de modestie. Or,Gérard, c’est Gérard... »Il doit se contenter d’at-
tendre patiemment que l’heure de la retraite sonneàWashington.

C


’estfinalementRichaRdattiasqui va lui
offRiR une poRte de soRtie.Attias, l’homme
qui, àlatête de la société qu’ilafondée il
yatrente ans, baséeàNew York mais aussi
àDubaï, Riyad, Paris et au Maroc, organise
àtravers le monde de grands sommets
internationaux.De grands raouts prisés
par les investisseurs et les VIP,sans que
l’on sache toujours sur quoi ils débouchent concrètement.«Onse
voyait souvent ici,explique le mari de Cécilia ex-Sarkozy entre
deux voyages en Arabie saoudite.Un jour il m’a dit:“Richard,
expliquez-moi ce que vous faites !” Je lui ai répondu:“On fait du
conseil en stratégie de communication pour des entreprises et des pays,
puisque, de plus en plus, les pays sont des marques.” »Le courant
passe. Ça tombe bien:Araud n’a pas reçu la moindre offre d’emploi
d’une grande société française et Attias va, notamment, organiser le
sommet officielAfrique-France, en juin 2020,àBordeaux.«Quand
nous sommes allés ensembleàNiamey,enjuin, ilaserré plus de
mains que moi,raconte Attias.Tous les ministres africains venaient à
lui. Il va me donner de l’oxygène, apporter des idées nouvelles. Et nous
faire profiter de sa culture politique et de son art de la discussion. »
Au 555 MadisonAvenue, une fine cloison sépare le bureau du big boss
et celui du nouveau vice-président (ils sont quatre, dont Cécilia).
Quand on demandeàGérard Araud, qui rentre lui aussi d’une mission
en Arabie saoudite, s’il aime sa nouvelle vie professionnelle, il répond :
«Apriori, oui, mais je n’en sais trop rien, je découvre, pour la pre-
mière fois de ma vie, que je vais avoir des clients. Je me suis jeté à
l’eau, on verra bien. »Ses amis sont partagés. Dominique deVillepin
l’aurait plutôt vu rejoindre une grande organisation internationale.
Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie et en Suisse,
conseiller spécialàl’Institut Montaigne, le fréquente depuis quarante
ans. Il n’y voit aucun inconvénient :«Ilnesera pas le premier ancien

diplomateàsereconvertir dans le privé. Gérard est un homme courageux
qui maîtrise parfaitement l’art de la négociation mais aussi ses dossiers :
il peut vous parler des taux d’intérêt, de l’histoire de l’Europe, de la
fabrique des armes nucléaires, de la 5G, de littérature, de politique... »
Oui, mais... Richard Attias, qui travaille beaucoup avec l’Arabie saou-
dite, donc avec le prince héritier Mohammed Ben Salman, mis en cause
dans l’affaire de l’assassinat du journaliste et dissident Jamal Khashoggi,
ne concourt pas pour le prix Nobel de la paix.Araud, qui se dit«révolté
par les injustices »,aurait-il renié ses principes?Ilr épond :«Jememéfie
des principes, la vie se charge de les remettre en question.»Et quid de sa
liberté de parole?Unsoir de négociations autour du traité sur la non-
prolifération des armes nucléaires, Araud reçoitàdîner les plus hauts
pontes du nucléaire militaire français et de l’Agence internationale de
l’énergie atomique qu’il moque en les appelant«les nucléocrates»,assu-
rant qu’ils«brillaient la nuit ».Undes participants raconte :«Ilalevé
son verre et lancé:“Àlabombe!” et, là, les mecs ont fait “À la bombe!”,
sans comprendre qu’il se foutait de leur gueule.»Au mois d’avril dernier,
dans un entretien auGuardian,ilcompare DonaldTrumpàLouis XIV :
«Unvieux roi, un peu fantaisiste, imprévisible, mal informé, mais qui
veut être le seulàdécider.»Sur Israël, il dit très librement, lors de notre
rendez-vous :«Jen’approuve pas du tout la politique de Benyamin
Nétanyahou. »Peut-on conserver cette liberté et exercer la fonction de
vice-président de Richard Attias&Associates, qui vient tout juste d’or-
ganiser une sorte de«Davos de la Palestine»àBahreïn dont le principal
objectif était de faire la promotion du plan de DonaldTrump pour la
Cisjordanie?Laréponse claque, tandis qu’Attias pose son mug siglé au
nomdesasociété :«Bien sûr que non. Ça fait partie du job. On ne parle
pa sdenos clients. Ni sur les réseaux sociaux, ni aux journalistes,àper-
sonne. On ne parle pas non plus des autorités américaines.»La consigne
est aussi censée s’appliqueràlachronique que Gérard Araud tient
désormais dansLe Point.Quantàlat ournée médiatique prévueàParis
pour la sortie du livre, accompagnée d’une conférence sur l’Amérique
de TrumpàSciences Po, elle s’annonce moins croustillante que prévu.
Visiblement, Richard Attias n’y avait pas pensé.«Ilfaut qu’on voie ça
ensemble. Je sais que la diplomatie lui manque. C’est comme Cécilia pour
la politique, elle en parle tous les jours. Mais c’est comme ça. Gérard n’a
pas le choix. »Il fronce les sourcils. «Et, s’il n’applique pas cette obliga-
tion de réserve, j’en tirerai les conséquences. Le seul qui commande ici,
c’est moi. »Il n’yapas d’âge pour faire preuve de diplomatie.

Araud, quisedit


“révolté parles


injustices”, aurait-il


reniéses principes


en rejoignant Attias?


Il répond :“Je me


méfiedes principes,


la viesechargedeles


remettre en question.”


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