12 |france JEUDI 19 SEPTEMBRE 2019
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Le viceprésident d’Anticor visé
par une enquête administrative
Le magistrat Eric Alt est convoqué, jeudi, par sa hiérarchie pour
ses prises de position publiques dans des affaires judiciaires
U
n magistrat peutil
militer au sein d’une
association de lutte
contre la corruption?
Et doitil s’en justifier auprès de sa
hiérarchie? La question est posée
à Eric Alt, viceprésident de l’asso
ciation Anticor et premier vice
président adjoint au tribunal de
grande instance de Paris, chargé
de la départition des prud’hom
mes. Selon nos informations,
M. Alt fait l’objet d’une convoca
tion, jeudi 19 septembre, par la di
rection des services judiciaires,
après l’ouverture d’une enquête
administrative.
Deux faits lui sont reprochés. Le
premier est une prise de position
publique, en tant que responsable
associatif. Invité de France 3 Corse
ViaStella le 16 février, il avait ré
pondu aux critiques de la préfète
régionale de l’île. Josiane Cheva
lier avait déploré publiquement
qu’Anticor ait saisi le Parquet na
tional financier (PNF) plutôt que
le parquet de Corse dans une af
faire de fraude aux primes agrico
les. M. Alt avait alors relevé à l’an
tenne que « le procureur s’affiche
aux côtés de la préfète », et que,
dès lors, « son apparence d’impar
tialité pour conduire une enquête
(...) est quelque peu gaspillée ».
Cette déclaration lui avait déjà
valu un entretien informel avec
sa hiérarchie.
Mais Eric Alt fait également l’ob
jet d’une enquête administrative
pour avoir représenté Anticor
dans l’affaire de Richard Ferrand
et des Mutuelles de Bretagne.
Classée sans suite en 2017, à l’issue
d’une première instruction, cette
affaire de « prise illégale d’intérêt »
et de « manquement au devoir de
probité » présumés a été relancée
en 2018, à la demande d’Anticor.
Richard Ferrand, président (La Ré
publique en marche) de l’Assem
blée nationale est notamment
soupçonné d’avoir, en tant que di
rigeant des Mutuelles de Breta
gne, poussé l’organisme à louer
des locaux appartenant à sa com
pagne, Sandrine Doucen.
Répit temporaire
Anticor est l’une des deux asso
ciations en France, avec Transpa
rency International, à avoir un
agrément ministériel qui lui per
met de se porter partie civile dans
certaines affaires de corruption,
ce qui entraîne l’ouverture d’une
information et la saisine d’un
juge d’instruction, statutaire
ment indépendant.
En pratique, cet agrément per
met à l’association de forcer
l’ouverture ou la réouverture de
dossiers judiciaires, y compris
contre l’avis du parquet. « Anticor
empêche que l’on enterre certains
dossiers », résume son président,
JeanChristophe Picard.
Dans l’affaire Ferrand, c’est Eric
Alt qui a représenté Anticor lors
de l’audience « technique » de
constitution de partie civile, me
née par le juge d’instruction Re
naud Van Ruymbeke. Une mala
dresse exploitée par les avocats de
M. Ferrand, qui ont utilisé cette
audition pour demander, début
2018, le dépaysement de l’affaire,
considérant que M. Alt était à la
fois plaignant (au nom d’Anticor)
et collègue du juge d’instruction,
puisqu’il était magistrat au tribu
nal de Paris. Ils ont obtenu raison,
et le dossier a été confié à un autre
tribunal, celui de Lille. Un répit
temporaire : les juges lillois ont
estimé, le 11 septembre, qu’il y
avait lieu de mettre M. Ferrand en
examen, confirmant que l’action
d’Anticor était fondée.
Sur le fond, l’avocat d’Anticor, Jé
rôme Karsenti, s’insurge et rap
pelle que, dans une autre célèbre
affaire impliquant des magis
trats, celle du « mur des cons » af
fiché dans les locaux du Syndicat
de la magistrature, le dépayse
ment n’avait pas été demandé.
Mais la brèche ouverte par les
avocats de M. Ferrand a aussitôt
été exploitée par d’autres. Ainsi,
dans l’affaire Balkany, Eric Du
pondMoretti, l’un des avocats
du maire de Levallois, a tenté
d’utiliser la même défense, de
mandant le dépaysement du dos
sier du fait qu’Anticor était partie
civile. L’association a préféré se
retirer pour « ne pas prendre le
risque d’un report du procès »,
explique M. Picard.
« Rappel déontologique »
Eric Alt avait déjà été convoqué en
avril 2018 pour un « rappel déon
tologique » par le président du tri
bunal de grande instance de Paris,
JeanMichel Hayat, puis par la
première présidente de la cour
d’appel d’alors, Chantal Arens, à la
demande de la chancellerie. Cette
suite de pressions inquiète l’asso
ciation, qui craint de perdre son
agrément en 2021.
Derrière cette enquête adminis
trative, l’éternelle question de la
neutralité du magistrat et de son
étendue est l’objet de polémiques
régulières, malgré une jurispru
dence relativement claire, tant de
la Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH) que du Conseil
supérieur de la magistrature. Le
fait que « des juges se connaissent
en qualité de confrères voire par
tagent les mêmes locaux ne sau
rait suffire en soi à considérer
comme objectivement justifiés
des doutes quant à leur impartia
lité », estime la CEDH. Le second
reconnaît aux juges le droit à un
engagement politique et citoyen,
à des « prises de position publi
ques, individuelles ou collectives »,
même s’il recommande « la plus
grande prudence » dans « l’expres
sion publique ».
« Anticor dérange et on sent une
volonté de chercher des poux dans
la tête tant des magistrats que de
l’association », estime un bon
connaisseur du dossier. Pour l’as
sociation, l’affaire Richard Fer
rand est une illustration de l’ab
sence d’indépendance du par
quet, placé sous la tutelle du mi
nistère, et ses conséquences.
Me Karsenti dénonce une « stra
tégie de défense par le discrédit »
désormais généralisée en politi
que, de JeanLuc Mélenchon à Ri
chard Ferrand. « On est en train de
renverser les choses et de nous ac
cuser de conflit d’intérêts », s’in
surgetil. Et de s’interroger :
« Estil antinomique pour un ma
gistrat de lutter contre la corrup
tion? On pourrait dire au con
traire que c’est consubstantiel à
sa fonction. »
samuel laurent
L’avocat d’Anticor
dénonce
une « stratégie
de défense
par le discrédit »
désormais
généralisée
en politique
Une association accusée de « politisation »
Fondée en 2002, Anticor s’attache à relancer les procédures judiciaires pour lutter
contre la corruption, sans regarder la couleur politique des personnes visées
A
ssociation qui « veut pe
ser sur le fonctionnement
des institutions » pour le
député LRM Gilles Le Gendre,
« sorte de parquet privé » pour le
président de l’Assemblée natio
nale, Richard Ferrrand... Le « nou
veau monde » macroniste ne
porte pas, ou plus, Anticor dans
son cœur. En filigrane, l’accusa
tion d’une action politisée :
M. Ferrand, mis en examen dans
l’affaire des Mutuelles de Breta
gne, ne se prive pas de rappeler
que l’avocat de l’association,
Jérôme Karsenti, fut candidat sur
la liste (PSPlace publique) Envie
d’Europe de Raphaël Glucks
mann, aux élections européen
nes en mai. Un argument repris
par Aurore Bergé auprès du
Monde. Si la députée LRM recon
naît le rôle de « lanceur d’alerte
précieux en démocratie » d’Anti
cor, elle questionne les engage
ments de « certains membres émi
nents » : « D’où parlentils? En tant
qu’opposants politiques ou en tant
qu’association? »
« A chaque fois, on est le cabinet
noir », répond, lassé, JeanChristo
phe Picard, qui préside Anticor
depuis 2015. Me Karsenti, lui, fus
tige une « mise en cause scanda
leuse » de ses engagements ci
toyens, distincts de son activité
d’avocat de l’association.
Anticor est née en 2002, de l’ini
tiative du juge Eric Halphen, qui
soutiendra Emmanuel Macron
en 2017, et a été candidat En mar
che! aux législatives. Sa cofonda
trice, Séverine Tessier, membre
du Parti socialiste puis d’Europe
EcologieLes Verts, vient quant à
elle de la politique locale. « Nous
sommes tout sauf antiélus. Anti
cor a été créée par des élus pour
réhabiliter la démocratie », ren
chérit M. Picard. Jérôme Karsenti
insiste sur la pluralité politique
des membres du conseil d’admi
nistration : « Aujourd’hui, à Anti
cor, on a des gens proches du Parti
radical de gauche comme du Ras
semblement national ou de Nico
las DupontAignan. Personne n’a
d’intérêts convergents. »
Agrément du ministère
Forte de 3 000 membres, répartis
dans 73 groupes locaux, Anticor
dispose, depuis 2015, d’une arme
essentielle : un agrément du mi
nistère de la justice, qui lui per
met d’agir en tant que partie ci
vile dans les affaires de corrup
tion. Cette autorisation lui per
met non seulement de signaler
des faits potentiellement délic
tueux au parquet, mais aussi de
relancer des affaires enterrées,
comme dans le cas de l’affaire
Ferrand. Classée sans suite par le
parquet de Brest, l’affaire des
Mutuelles de Bretagne a fait l’ob
jet d’une plainte d’Anticor auprès
du Parquet national financier,
avec constitution de partie civile,
qui a permis la désignation d’un
juge d’instruction.
Depuis 2018, seules deux asso
ciations ont ce pouvoir : Anticor
et l’ONG Transparency Interna
tional. Une troisième association
de lutte contre la délinquance
financière, Sherpa, qui avait éga
lement son agrément, l’a ainsi
perdu, faute de renouvellement
par la garde des sceaux, Nicole
Belloubet, en 2018. Sherpa a dé
posé un recours devant le tribu
nal administratif contre ce « refus
implicite résultant de l’absence de
réponse du ministère ».
Le prochain renouvellement de
cet agrément, en 2021, inquiète les
membres d’Anticor. « Nous som
mes fragiles, assure M. Picard. Si
demain on veut nous rendre inof
fensifs, ce n’est pas très compli
qué. » Contrairement à ce qu’affir
mait Mme Belloubet, le 15 septem
bre sur RTL, Anticor ne touche
aucune subvention publique.
L’association vit de dons
(112 402 euros en 2018) et des coti
sations de ses membres, qui assu
rent à peine son existence, l’em
ploi de deux permanentes et le
loyer d’un local à Paris. « Nous
sommes pauvres », plaisante son
président, qui balaie également
le mythe d’une rémunération
grâce aux dommages et intérêts
encaissés à l’issue des procès :
« Cette manne sert aux frais d’avo
cats, les procès nous font plutôt
perdre de l’argent. »
Avec 70 dossiers en cours, dont
25 nouveaux pour la seule année
2018, l’association peine à répon
dre à tous les signalements qu’elle
reçoit, de l’ordre de cinq à dix par
jour. « On ne traite pas tout »,
reconnaît M. Picard. Anticor se
concentre sur les cas où elle peut
« apporter une plusvalue », en
relançant les procédures.
Parmi les dernières actions, plu
sieurs risquent de valoir à Anticor
de nouveaux procès en politisa
tion. L’association s’en prend
ainsi à Eric Ciotti, soupçonné
d’utiliser les moyens du départe
ment des AlpesMaritimes, dont
il est conseiller, pour son image
personnelle. Le référent local
d’Anticor, JeanValéry Desens,
pourra difficilement être taxé de
gauchisme : il est par ailleurs
membre du parti Les Républi
cains et candidat à la mairie de
MandelieulaNapoule.
sa. l.
Anticor a relancé
l’affaire Ferrand,
qui avait été
classée sans suite
par le parquet
de Brest
A Paris, Griveaux veut
prendre son temps
pour constituer ses listes
La parti LRM va mettre en place
une commission d’investiture spécifique
P
as question de revivre le
psychodrame de cet été.
Traumatisés par l’investi
ture douloureuse de Benjamin
Griveaux et l’entrée en dissidence
de Cédric Villani, les dirigeants de
La République en marche (LRM)
ont décidé de mettre en place un
processus qu’ils veulent exem
plaire pour désigner les 527 per
sonnes qui figureront sur les listes
du parti pour les élections muni
cipales de 2020 à Paris. Objectif :
choisir les meilleurs candidats
selon une procédure qui, cette
foisci, ne prête pas le flanc à la cri
tique. Donc n’ouvre pas la voie à
des contestations.
Au cœur du dispositif, qui devait
être présenté officiellement mer
credi 18 septembre, figurera une
commission d’investiture spécifi
que à Paris. Elle comptera six
hommes et six femmes, et sera
coprésidée par deux personnali
tés indépendantes : Chékéba Ha
chemi et Patrick LevyWaitz. La
première, qui dirige actuellement
le cabinet de conseil CH Consul
ting, a beaucoup milité en faveur
des femmes et des droits de
l’homme. Elle a été la première
Afghane à être diplomate auprès
du gouvernement provisoire
afghan, en 2001. Quant à Patrick
LevyWaitz, il est à la fois entrepre
neur et président d’une associa
tion, la Fondation Travailler autre
ment. A ce titre, il a rédigé en 2018
un rapport sur le coworking à la
demande du gouvernement.
« Ces deux personnalités sont is
sues de la société civile, et ne seront
pas candidates ellesmêmes », sou
ligne Pacôme Rupin, le député
(LRM) qui dirige la campagne de
Benjamin Griveaux. De quoi cou
per court, espèretil, aux accusa
tions de verrouillage de la procé
dure par l’« appareil » du parti,
comme celles proférées par Cédric
Villani. La commission n’en inté
grera pas moins des responsables
locaux du mouvement, comme
l’avocate Véronique Tommasi
(7e arrondissement) ou le chef
d’entreprise Gilles Widawski (16e).
Cette commission parisienne
aura pour mission d’examiner les
dossiers de tous ceux qui veulent
figurer sur les listes de LRM pour
devenir l’un des 163 futurs con
seillers de Paris ou des 364 con
seillers d’arrondissement. « Deux
critères ont été fixés, la connais
sance de l’arrondissement et la ca
pacité à rassembler », confie une
candidate. La commission natio
nale d’investiture validera ensuite
les noms proposés par la commis
sion parisienne.
Faciliter les ralliements
Initialement, les responsables du
parti présidentiel espéraient choi
sir les têtes des dixsept listes d’ar
rondissement avant la fin sep
tembre. « On a environ un mois de
décalage », estime un membre de
l’équipe de Benjamin Griveaux. Le
parti pense, à présent, désigner
début octobre une première va
gue de trente à quarante « ambas
sadeurs », mais sans leur attribuer
immédiatement de place défini
tive. Les têtes de liste seront offi
cialisées plus tard, et les listes
complètes bouclées « tout au long
de l’automne », prévoit M. Rupin.
Ce décalage n’est pas neutre. Il
s’agit de prendre le temps néces
saire pour éviter toute erreur,
mais aussi de faciliter les rallie
ments. Benjamin Griveaux n’a
pas renoncé à trouver des accords
avec d’autres « progressistes ».
« L’idéal serait de s’entendre
avant le premier tour avec le
MoDem, mais aussi le député Agir
PierreYves Bournazel, qui veut
pour le moment présenter des lis
tes en solo », glisse un soutien de
Griveaux. Certains ne désespè
rent pas non plus de faire rentrer
au bercail Cédric Villani.
denis cosnard
Les avocats
de M. Ferrand ont
considéré que
M. Alt était à la
fois plaignant (au
nom d’Anticor)
et collègue du
juge d’instruction
L’HISTOIRE
DE LA
MÉDITERRANÉE
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