0123
JEUDI 19 SEPTEMBRE 2019 culture| 19
Le restaurant
conçu par
Auguste Perret,
pour le
Commissariat
à l’énergie
atomique
de Saclay
(Essonne).
D. MOULINET/CEA
de Dautry et de JoliotCurie ont pu porter aux
questions d’architecture, dans un contexte
régulièrement marqué par les restrictions
budgétaires. Quand ils n’ont pas été pure
ment et simplement détruits, les bâtiments
de Perret ont été altérés par des transforma
tions faites au mépris de leur cohérence – et
par la prolifération autour d’eux de répliques
au rabais, dont la qualité n’a cessé de décliner
avec le temps.
MONUMENTALITÉ
La scénographie urbaine et l’architecture de
Perret avaient pourtant été pensées pour as
surer la pérennité du site, comme le relève
Ana bela de Araujo dans Auguste Perret. La cité
de l’atome, beau livre adapté de la thèse qu’elle
a soutenue sur le sujet (Ed. du Patrimoine,
2018). Vantant la souplesse paradoxale de la
trame en damier, elle célèbre l’intelligence
des palais industriels qu’il y a agencés : les
grands volumes modulables qu’ils propo
sent, simplement structurés par des poutres
et des poteaux, assuraient l’« adéquation en
tre la pérennité de l’architecture et l’instabilité
du programme scientifique ». Alors que le bé
ton armé, matériau robuste et économique,
s’est avéré idéal pour répondre à l’urgence de
la commande, la monumentalité des grandes
nefs, l’empreinte des éléments de structure
sur les façades, le bouchardage du béton,
œuvraient à la majesté de l’ensemble.
Il aura fallu attendre le milieu des années
1970, et la commande faite par le CEA à l’ar
chitecte Paul Andreu d’un rapport sur l’archi
tecture et l’urbanisme du site, pour mettre
en lumière l’œuvre de Perret et alerter sur la
nécessité de la préserver et de la valoriser. Le
classement, en 2005, de la ville du Havre au
Patrimoine de mondial de l’Unesco, et le lan
cement, en 2006, sur le plateau de Saclay, du
grand projet de cluster scientifique et tech
nologique, destiné à devenir un pôle d’excel
lence mondial, ont ensuite joué un rôle ma
jeur dans un processus plus large de recon
naissance de la valeur patrimoniale du site.
Considéré comme souhaitable par certains,
un classement au titre des monuments his
toriques est inenvisageable pour un tel com
plexe où viennent quotidiennement tra
vailler 7 000 personnes. Ana bela de Araujo
milite, elle, pour une labélisation « architec
ture contemporaine remarquable ».
isabelle regnier
Géraldine Martineau,
la revanche d’une timide
L’auteure et metteuse en scène grandit en comédienne dans « Pompier(s) »
PORTRAIT
G
éraldine Martineau ne
s’interdit rien. Et elle a
mille fois raison. Car
les audaces de cette
comédienne, auteure et metteuse
en scène ne laissent pas le specta
teur indifférent. Qu’elle adapte La
Petite Sirène, d’après le conte
d’Andersen, pour la Comédie
Française, qu’elle interprète une
simple d’esprit dans la pièce Pom
pier(s), au Théâtre du RondPoint,
ou qu’elle se prête, avec un hu
mour grinçant, à ce qui cloche
dans ses relations amoureuses
dans Aimemoi (seuleenscène
créé sur La NouvelleSeine), on est
épaté, et souvent bouleversé, par
ce singulier petit bout de femme.
Cette liberté et cet éclectisme,
elle les revendique. Passer du jeu
à l’écriture, du théâtre public au
théâtre privé (comme cet été,
dans le « off » d’Avignon, avec Dé
glutis, ça ira mieux), rien ne l’ar
rête. « Il y a trop de chapelles, je ne
veux être enfermée dans aucun
rôle, aucun métier », insiste cette
femme de 34 ans qui en paraît, au
minimum, dix de moins. Le
Molière de la révélation féminine,
décroché, en 2016, grâce à sa for
midable interprétation d’une pe
tite fille aux allures de garçon
tout aussi insolente qu’insou
ciante dans Le Poisson belge, de
Léonore Confino, a constitué un
« virage ». « Cette récompense,
constatetelle, m’a permis d’avoir
plus d’assurance, de me tourner
vers l’écriture et la mise en scène, et
d’être suivie dans mes projets. »
Son physique juvénile est de
venu, avec l’âge, « une donnée fina
lement assez joyeuse ». Longtemps
elle a souffert d’être prise pour
une gamine. Réservée mais te
nace, « la p’tite Géraldine », comme
on l’appelait, a dû « redoubler
d’affirmation », et a trouvé, très tôt,
le théâtre comme « refuge ». A
78 ans, alors que sa famille a
quitté Le Mans pour Nantes, elle
demande à ses parents de l’ins
crire dans un cours de théâtre.
« J’ai eu une évidence. Moi la timide,
toujours à l’écart, j’ai découvert que
j’étais, sur scène, acceptée pour ce
que j’étais, que ma particularité
pouvait être une force. »
Eclectisme et détermination
Non seulement le théâtre la libère,
mais il l’accueille à bras ouverts.
A 17 ans, elle réussit le concours de
la classe libre du Cours Florent,
puis intègre le Conservatoire na
tional supérieur d’art dramati
que, gardant un souvenir « mar
quant » des classes de Dominique
Valadié. A Paris, la provinciale va
« tout voir », aussi bien les specta
cles d’Ariane Mnouchkine que
les blagues des Chevaliers du fiel.
« L’éclectisme, déjà », ditelle en
souriant. A sa sortie du conser
vatoire, grâce à une audition au
Jeune Théâtre national, elle est
repérée par la metteuse en scène
Pauline Bureau (avec laquelle elle
fera trois spectacles), mais aussi
par JeanMichel Ribes (pour Mu
sée haut, musée bas). Elle ne va ja
mais cesser de travailler.
Les seuls moments de « pause »,
c’est elle qui les a choisis pour me
ner à bien ses projets personnels.
Elle se risque à monter une
troupe, à chercher ellemême des
subventions pour mettre en
scène La Mort de Tintagiles, de
Maurice Maeterlinck. C’est grâce
à cette pièce, présentée au Théâ
tre de la Tempête, qu’Eric Ruf, ad
ministrateur général de la Comé
dieFrançaise, lui fait confiance
pour La Petite Sirène. En abordant
les questions d’émancipation et
d’acceptation de soi, « j’y ai mis
pas mal de moi », confietelle. Sa
détermination a porté ses fruits :
succès critique et public, sa relec
ture du conte est reprise en cette
rentrée, en association avec le
Festival d’automne de Paris. Ga
geons que sa collaboration avec
le Français ne s’arrêtera pas là.
Elle devrait prochainement si
gner une mise en scène pour
l’Opéra de Toulon.
En attendant, Géraldine Marti
neau est phénoménale dans
Pompier(s). Elle trouble et bous
cule dans ce personnage de fille
qui se donne sans compter parce
qu’elle ne savait pas qu’elle pou
vait dire non à un beau pompier
et à ses collègues qui abusent de
son handicap mental. Ces sujets
délicats du consentement et de ce
poison de l’incommunicabilité la
passionnent : « Moimême, j’ai pu
me retrouver dans des situations
où je n’ai pas dit non alors qu’il
aurait fallu. J’ai eu des relations
que j’aurais souhaité ne pas avoir.
Dans des discussions avec des
amies surgit souvent la question :
pourquoi n’arriveton pas à dire
non, à s’affirmer? »
Sur scène, elle s’est construit un
beau parcours et s’affirme, ou
plutôt grandit, à chaque fois.
La petite fille qui ne se sentait
« pas girly, pas standard » est de
venue une artiste surprenante,
mêlant, sans en avoir l’air, viva
cité et gravité.
sandrine blanchard
Pompier(s), de JeanBenoît
Patricot, mise en scène Catherine
Schaub. Théâtre du RondPoint,
Paris8e, jusqu’au 13 octobre.
La Petite Sirène, d’après Hans
Christian Andersen.
Studiothéâtre de la Comédie
Française, Paris1er, du
26 septembre au 10 novembre.
Tout l’œuvre de Degas sur la Toile
Un catalogue critique et gratuit de 1 900 peintures et pastels de l’artiste est accessible en ligne
ART
D
epuis la publication
en 1946 du catalogue
raisonné de PaulAndré
Lemoisne – 1 466 œuvres référen
cées – et le supplément réalisé
en 1984 par Théodore Reff qui en
avait ajouté 163 à cet inventaire,
rien n’avait paru sur Edgar Degas
(18341917). Un catalogue critique
numérique des peintures et pas
tels de l’artiste s’imposait en rai
son du nombre considérable d’ex
positions, de conférences et de pu
blications organisées et éditées
depuis. C’est chose faite grâce à
Michel Schulman qui, après dix
ans d’un méticuleux travail de bé
nédictin, a réalisé un nouveau ca
talogue avec les moyens actuels.
Ancien journaliste à Radio
France internationale, auteur
d’ouvrages sur Frédéric Bazille et
Théodore Rousseau, cet expert en
peinture du XIXe siècle a lancé une
passerelle « sur le fossé, toujours
plus grand, qui s’était creusé entre
la connaissance d’alors et celle que
nous avons aujourd’hui ».
A une sortie papier, Michel
Schulman a préféré le numéri
que, plus accessible, à la diffusion
rapide, et beaucoup moins cher.
Lancé mardi 17 septembre, le site
degascatalogue.com, bilingue
(françaisanglais), est gratuit et
son auteur en a assuré la totalité
du financement, sans aide exté
rieure. Le choix du Web offre
aussi la possibilité d’effectuer
constamment corrections et mi
ses à jour. « Pour un catalogue rai
sonné, c’est une marque essentielle
de sa vitalité et de sa pertinence, et
un atout évident pour sa longé
vité », confie Michel Schulman.
L’impasse sur les sculptures
Au total, 1 900 œuvres (670 pein
tures et 1 230 pastels) ont été ré
pertoriées. Huit cents d’entre el
les se trouvent actuellement dans
170 musées (la moitié aux Etats
Unis, 140 en France, 50 en Gran
deBretagne), soit cinq fois plus
qu’en 1946. Le moteur de recher
che permet d’accéder à la fiche in
dividuelle de chaque œuvre, ex
trêmement détaillée, au moyen
de 11 critères combinables (date
d’exposition, thème, technique,
support, signature...).
Les moyens de recherche numé
rique ont permis une étude pré
cise de l’œuvre du peintre, jamais
réalisée auparavant. C’est ainsi
qu’on peut mesurer l’importance
des danseuses parmi ses thèmes
d’inspiration, avec 700 peintures
et pastels (36 %) tout comme les
baigneuses (350 œuvres, 18 %). Ac
cessible à tous, cet outil de travail,
qui s’adresse en priorité aux pro
fessionnels de l’art et aux collec
tionneurs, fait l’impasse sur le tra
vail du sculpteur, l’auteur se consi
dérant comme « insuffisamment
qualifié pour en parler ». Sa mise à
disposition précède l’ouverture de
l’exposition « Degas à l’Opéra », au
musée d’Orsay, à Paris, du 24 sep
tembre au 19 janvier 2020.
francis gouge
Phénoménale
dans la pièce
de Patricot,
elle trouble dans
ce personnage
de fille qui
se donne sans
compter
Géraldine Martineau dans « Pompier(s) », au Théâtre du RondPoint, à Paris GIOVANNI CITTADINI CESI