Le Monde - 19.09.2019

(Ron) #1

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FRANCE


JEUDI 19 SEPTEMBRE 2019

0123


Macron et Le Pen,


éternels meilleurs ennemis


Le chef de l’Etat a encore une fois désigné


la présidente du Rassemblement national


comme son unique adversaire. M


me
Le Pen

espère profiter de cette stratégie du face­à­face


C


omme s’ils rêvaient d’un
nouveau second tour... Les
élections européennes du
mois de mai à peine
oubliées, Emmanuel Macron
et Marine Le Pen ont re­
trouvé leurs habitudes électorales : à près
de trois ans de l’échéance, ils semblent déjà
rêver de transformer la prochaine prési­
dentielle en un nouvel affrontement. Et
hors de question de laisser quiconque
s’immiscer dans leur mano a mano.
Lundi 16 septembre, devant les parle­
mentaires de la majorité, le chef de l’Etat a
d’ores et déjà désigné l’extrême droite
comme son unique adversaire. « Vous
n’avez qu’un opposant sur le terrain : c’est le
Front national. Il faut confirmer cette oppo­
sition, car ce sont les Français qui l’ont choi­

sie », a­t­il lancé à ses troupes réunies dans
les jardins du ministère chargé des rela­
tions avec le Parlement.
Depuis qu’elle est rentrée, Marine Le Pen,
se déclare « sur la ligne de départ » pour
2022, mardi sur BFM­TV, la patronne du
Rassemblement national (RN) avait déjà lâ­
ché « on ne va pas le laisser faire campagne
tout seul », samedi, en marge de l’univer­
sité d’été de son parti à Fréjus (Var).
L’arène a été choisie par Emmanuel
Macron lui­même : l’immigration. Con­
vaincu que les sujets régaliens seront clés à
l’aube du scrutin municipal de mars 2020,
le président de la République a demandé
aux parlementaires de son camp d’aborder
le débat sur l’immigration prévu à l’Assem­
blée nationale, le 30 septembre, avec l’idée
de « dépasser les clivages et les tabous ».

« Les classes populaires vivent avec ce pro­
blème, c’est la raison du vote FN », a­t­il mar­
telé. Après la crise des « gilets jaunes »,
M. Macron ne veut pas voir La République
en marche (LRM) devenir « un parti de
bourgeois » indifférent aux préoccupations
des « classes populaires ». Parmi lesquelles
figurerait donc, à ses yeux, l’immigration.

« LE CLIVAGE EST POSÉ CHEZ NOUS »
Marine Le Pen a saisi la balle au bond, et la
renvoie volontiers. « Qu’[Emmanuel Ma­
cron] voit qu’il y a un problème avec l’im­
migration, je veux bien le croire. Mais je ne
crois pas à ses solutions pour une simple et
bonne raison : il faut du courage », a tancé
la patronne de l’ex­FN, samedi. Ravie de la
tournure des événements, la députée du
Pas­de­Calais balaye d’un revers de la main

le reste du spectre politique. « Notre projet
et celui d’Emmanuel Macron sont clairs, et
contradictoires. Ont vocation à disparaître
les autres mouvements, comme Les Répu­
blicains, qui naviguent à vue et n’ont plus
de convictions », soutenait­elle encore,
mardi matin sur BFM­TV, résumant le pay­
sage politique à un face­à­face entre son
mouvement et celui du président de la
République.
Une vision qu’Emmanuel Macron n’a
cessé de valider au cours de la campagne
européenne du printemps, requalifiant le
clivage « mondialistes­nationaux » des ma­
rinistes en une opposition entre « progres­
sistes » et « nationalistes ». « C’est les libé­
raux­écolos contre les réactionnaires­con­
servateurs. Le clivage est posé chez nous »,
assume un député LRM.

Marine Le Pen, présidente
du Rassemblement national,
à Fréjus (Var), le 15 septembre.
CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

L’aile gauche de la majorité « hébétée » par le discours du président


Des députés LRM ne cachent pas leur gêne, voire leur colère, après la prise de position d’Emmanuel Macron sur l’immigration


I


ls ont moins de quinze jours
pour trouver leur voix sur
l’immigration, sans s’égo­
siller. Le temps presse pour les dé­
putés de La République en marche
(LRM). Ils s’exprimeront, comme
les autres groupes parlementaires,
lundi 30 septembre, lors du débat
voulu par l’exécutif sur la politique
migratoire. Un sac de nœuds. Lors
du petit déjeuner de la majorité,
mardi à Matignon, le président du
groupe à l’Assemblée, Gille Le Gen­
dre, a rappelé en présence du pre­
mier ministre le caractère inflam­
mable de cette question au sein de
ses troupes. Depuis le printemps
2018 et l’examen du projet de loi
asile et immigration, LRM sait que
le thème est une pierre d’achoppe­
ment avec l’exécutif.
L’aile gauche de la majorité a été
la première à réagir, mardi, au len­
demain d’une longue rencontre
avec le président de la République.
Lundi soir, Emmanuel Macron a
martelé sa volonté de « regarder en
face » ce sujet. Mardi matin, l’un
des chefs de file du « collectif so­
cial­démocrate » de la majorité,
Jean­François Cesarini, député du
Vaucluse, se démultipliait face aux

caméras pour dire leur « colère »
après le discours présidentiel. « Ils
ne s’y reconnaissent pas », assure­
t­il. Sur le site du Huffington Post,
sa collègue Sonia Krimi, élue de la
Manche, qui avait déjà pris en
grippe Gérard Collomb lorsqu’il
était ministre de l’intérieur, s’est
dit en désaccord « total » avec les
propos du président de la Républi­
que, considérant le chef de l’Etat et
son premier ministre comme
« deux mâles blancs qui vont nous
expliquer la vie ».

« Logique sécuritaire »
Si les critiques systématiques de
cette aile gauche exaspèrent cer­
tains de leurs collègues, qui leur
reprochent d’en faire leur « fonds
de commerce », l’inquiétude n’en
est pas moins partagée dans les
rangs, selon un cadre du groupe.
« Beaucoup de gens se posent des
questions sur la ligne politique
après le discours du président »,
constate cet élu qui s’inquiète de
voir le champ des contestataires
s’élargir au­delà des opposants à la
loi asile et immigration.
Plusieurs facteurs irritent les dé­
putés. Lundi soir, le président de

la République a abordé la ques­
tion migratoire juste après avoir
parlé de sécurité et de commu­
nautarisme. Même s’il a insisté
sur le fait que la France était une
terre d’asile, « il l’a abordé dans
une logique sécuritaire », déplore
une députée du sud de la France,
qualifiant ce cheminement de
« désagréable ». Deuxième point
de crispation : le calendrier. « La
majorité ne comprend pas pour­
quoi il veut faire de l’immigration
son cheval de bataille de rentrée »,
explique un parlementaire. « Il
veut en faire une stratégie politi­
que dans la perspective de 2022,
c’est là qu’il y a un hiatus réel »,
abonde un autre. Un élu de l’Ouest

résume le dilemme : « Electorale­
ment c’est payant, mais est­ce
qu’on ne trahit pas notre âme? »
Sur le fond, tous sont encore
dans le flou. Le débat du 30 sep­
tembre ne devrait pas être le mo­
ment d’annoncer de nouvelles
mesures. Emmanuel Macron s’est
bien gardé d’en esquisser. « Ce que
je vous demande sur ce débat, c’est
de dépasser les clivages et les ta­
bous », leur a­t­il lancé. « Les dépu­
tés sont sortis hébétés en se deman­
dant : “où on va ?” », relate une dé­
putée du bureau du groupe.
L’idée semble pour l’heure de
poser les grands principes de la vi­
sion macronienne. « Il faut qu’on
arrive à apporter quelque chose de
nouveau, qui dépasse les postures
habituelles », espère l’élue de l’Es­
sonne Marie­Pierre Rixain. Un pe­
tit groupe de députés, piloté par
Raphaël Gauvain et Jean­Bernard
Sempastous, va s’y pencher. Le
23 septembre, ils se réuniront
autour du ministre de l’intérieur,
Christophe Castaner, de représen­
tants du cabinet du ministère des
affaires sociales, du Quai d’Orsay
ainsi que de conseillers de l’Elysée.
« Nous avons une position d’équili­

bre à trouver pour avoir une expres­
sion qui respecte la diversité de la
majorité », explique Claire Pitollat,
vice­présidente du groupe LRM.
« On n’est pas obligé d’être radical
ou excessif, on peut regarder les
choses avec humanité et fermeté »,
estime le député de Gironde Eric
Pouillat. « La question c’est
qu’est­ce qu’on est capable d’accep­
ter, résume un macroniste, et com­
ment embarquer un maximum de
collègues avec cette idée simple :
pouvoir se regarder dans la glace. »
Pour s’y préparer, les députés ont
fait appel à leur ADN politique re­
vendiqué : le pragmatisme. Ils ont
demandé à plusieurs ministères
des indicateurs chiffrés sur la
question migratoire. De leur côté,
les commissions des lois et des af­
faires étrangères ont commencé
un programme d’auditions et de
déplacements sur ce thème. Yaël
Braun­Pivet, présidente de la com­
mission des lois, fait valoir la né­
cessité d’« objectiver » la question
et de « dépassionner le débat ».
Lundi 23, le député du Val­d’Oise
Aurélien Taché, l’un des trublions
de l’aile gauche de LRM, organise à
l’Assemblée une rencontre­débat

sur le parcours des demandeurs
d’asile en présence de Carola Rac­
kete. L’Allemande, capitaine du na­
vire Sea­Watch 3, avait été arrêtée
puis relâchée en juin pour être en­
trée sans autorisation dans le port
de Lampedusa avec à son bord une
quarantaine de migrants. Par
ailleurs, selon nos informations,
les élus macronistes Stéphane Sé­
journé, Pieyre­Alexandre Anglade
et Pierre Person se rendront en Ita­
lie, à Malte et en Espagne quelques
jours avant le débat sur l’immigra­
tion à l’Assemblée. Objectif : mon­
trer que le sujet doit être réglé
d’abord au niveau européen.
« Sibeth [Ndiaye, la porte­parole
du gouvernement] a dit qu’il fal­
lait se réarmer [face aux mouve­
ments migratoires futurs], mais
eux, ils veulent s’armer aussi », ob­
serve un cadre du groupe. « Ils
vont prendre l’exécutif aux mots :
regarder la réalité en face », ajoute
cet élu. Certains espèrent y puiser
de quoi contrecarrer les assauts
d’un président de la République
qui veut parler de plus en plus fort
sur l’immigration.
manon rescan
avec cédric pietralunga

I M M I G R A T I O N


« IL FAUT QU’ON ARRIVE 


À APPORTER QUELQUE 


CHOSE DE NOUVEAU, QUI 


DÉPASSE LES POSTURES 


HABITUELLES »
MARIE-PIERRE RIXAIN
députée de l’Essonne

« MACRON RISQUE DE 


TROUBLER SA PROPRE 


BASE, SANS GAGNER 


CELLE DE L’AUTRE, 


QUI SE DIRA QUE 


CEUX QUI ONT LE 


PLUS DE LÉGITIMITÉ 


SUR L’IMMIGRATION, 


C’EST LE FN »
NICOLAS LEBOURG
historien
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