Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1

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MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019 france| 11


asile­immigration, voté en 2018, l’exécutif a
décidé de mener une « campagne de convic­
tion ». Elle doit commencer avec un débat
(sans vote) à l’Assemblée nationale, le
30 septembre, sur « la politique migratoire de
la France et de l’Europe », qui sera précédé
d’une déclaration du gouvernement. Objec­
tif : « rebâtir un patriotisme inclusif », comme
l’avait expliqué Emmanuel Macron à l’issue
du grand débat national, en avril. « Tout est
ouvert, tous les sujets pourront être abordés »,
assure une source au sein de l’exécutif à pro­
pos de ce débat, qui a vocation à se repro­
duire chaque année.

CELA FERRAILLE DANS LA MAJORITÉ
Bien que venant de la droite, le premier mi­
nistre, Edouard Philippe, montre un en­
thousiasme mesuré au moment d’entrer
dans ce débat. « Dans ce domaine, Edouard
considère qu’il faut avoir un verbe mesuré
mais des actions fortes », explique un pro­
che du chef du gouvernement, précisant
que, « sur ces sujets, il n’est pas de la droite
qui a passé son temps à lever le ton sans
avoir de résultats ». Contrairement à un cer­
tain Nicolas Sarkozy, donc, qui avait en­
flammé les esprits avec le débat sur l’iden­
tité nationale et un discours incandescent
sur l’immigration, à Grenoble, en 2010.
M. Macron et M. Philippe s’étaient déjà op­
posés sur le sujet, en décembre 2018, lors de
la préparation du grand débat national. A
l’époque, le premier voulait faire de l’immi­
gration un thème à part entière de la con­
sultation ; le locataire de Matignon avait fi­
nalement obtenu que le sujet soit inclus
dans une thématique plus large, celle de la
citoyenneté.
« Je veux que nous mettions d’accord la na­
tion avec elle­même sur ce qu’est son identité
profonde, que nous abordions la question de
l’immigration. Il nous faut l’affronter », avait
déclaré le président de la République, lors
de son allocution de décembre 2018 pour
présenter le grand débat imaginé en ré­
ponse à la crise des « gilets jaunes ».
« Edouard Philippe, lui, est soucieux de ne
pas trop bousculer une petite frange de la
majorité traumatisée par le texte asile­immi­
gration. Il est de par sa position plus en prise
avec les députés », décrypte un membre de
la majorité.
Dans l’entourage même du chef de l’Etat,
cela ferraille entre les partisans d’une ligne
humaniste et d’une ligne plus dure. « En gros,
Philippe Grangeon [conseiller spécial] et l’aile
gauche de la majorité freinent, tandis que [le
ministre de l’action et des comptes publics]
Gérald Darmanin et les sarkozystes pous­
sent », décrypte un familier de l’Elysée. La Ré­
publique en marche (LRM) doit, pour sa part,

consacrer son bureau exécutif du 23 septem­
bre spécialement à cette question.
En menant cette offensive, le pouvoir en­
tend répondre aux attentes de l’électorat de
droite, qu’il convoite, et endiguer la pous­
sée de l’extrême droite. « Vous n’avez qu’un
opposant sur le terrain : c’est le Front natio­
nal. Il faut confirmer cette opposition, car ce
sont les Français qui l’ont choisie », a dé­
fendu M. Macron, lundi soir, devant sa ma­
jorité. « Si on n’a pas le courage de traiter ces
sujets, c’est porte ouverte au Rassemblement
national! », prévient un député.

LE SOUVENIR DES ANNÉES JOSPIN
Selon l’étude annuelle « Fractures françai­
ses », réalisée pour Le Monde par Ipsos­Sopra
Steria, 64 % des Français assurent ne plus « se
sentir chez [eux] comme avant » et 66 % esti­
ment que « les immigrés ne font pas d’effort
pour s’intégrer en France ». « L’immigration
est un sujet majeur pour les Français. C’est
comme les rochers en bord de mer : on ne les
voit pas à marée haute, mais ils sont toujours
là! », souligne Jérôme Fourquet, directeur du
département Opinion publique à l’IFOP.
Au­delà des municipales, Emmanuel Ma­
cron a surtout dans viseur la présidentielle
de 2022. Un député qui a ses entrées à l’Ely­
sée renvoie ainsi au souvenir des années Lio­
nel Jospin à Matignon (1997­2002), qui, bien
que marquées par une embellie économi­
que, se sont achevées par la qualification de
Jean­Marie Le Pen au second tour de l’élec­
tion présidentielle à l’issue d’une campagne
concentrée sur le thème de l’insécurité.
« Comme à l’époque, on connaît une période
de croissance, de baisse du chômage et d’aug­
mentation du pouvoir d’achat, avec en même
temps une hausse des cambriolages », souli­
gne cet élu, qui plaide pour préparer un nou­
veau temps du quinquennat : « L’emploi, c’est
fait, l’environnement, c’est aujourd’hui, et le
régalien, c’est demain. » Et déjà un peu
aujourd’hui, donc.
olivier faye,
alexandre lemarié
et cédric pietralunga

« Les bourgeois ne croisent


pas l’immigration. Les classes


populaires vivent avec »


Lundi, le président de la République a détaillé son ambition pour
la suite du quinquennat, en faisant du RN son principal opposant

N


ous sommes à l’hémisti­
che du quinquennat... » La
petite phrase n’a pas été
prononcée par un poète, mais par
Emmanuel Macron, conscient que
le temps presse et qu’il est temps
de câliner et de remobiliser ses
troupes. Lundi 16 septembre, en
fin de journée, ministres et parle­
mentaires de la majorité se sont
succédé sous le porche du minis­
tère des relations avec le Parle­
ment. La porte de l’hôtel de Rothe­
lin­Charolais – qui accueille le por­
te­parolat du gouvernement – a
été réparée depuis que des « gilets
jaunes » l’ont enfoncée, le 5 janvier.
Le ministre des relations avec le
Parlement, Marc Fesneau, organi­
sait, lundi, un pot de rentrée. Le
président de la République s’y est
invité afin de prononcer un dis­
cours à l’intention de sa majorité ;
discours que l’Elysée qualifie de
« remobilisateur », « d’unité » et
« très apaisant ». Il faut dire que les
sujets de tension ne manquent
pas, des investitures pour les élec­
tions municipales jusqu’au débat
à venir au Parlement, le 30 sep­
tembre, sur l’immigration.
La presse a été tenue à distance,
mais des députés ont fait opportu­
nément fuiter les propos de
M. Macron. Certains les ont même
retranscrits en direct sur Twitter.
L’occasion pour le chef de l’Etat de
faire passer quelques messages à
l’extérieur, le temps d’un discours
d’une petite heure.
De la « crise sociale profonde »
qu’a représentée le mouvement
des « gilets jaunes », Emmanuel
Macron a assuré tout d’abord voir
encore quelques traces dans le
pays. « Plusieurs catégories de la
population restent extrêmement

nerveuses, a­t­il dit. Il faut être pré­
cautionneux. » « Certes, les vents ne
sont pas de face mais certains sont
de traverse », a­t­il prévenu.
Après la phase « des réformes me­
nées tambour battant », donc, le lo­
cataire de l’Elysée a assuré vouloir
user d’une « méthode nouvelle »,
faite de « vigilance profonde », sans
conduire pour autant à de « l’im­
mobilisme », comme l’accuse l’op­
position de droite. Selon lui, les dé­
bats sur la réforme des lois de bioé­
thique seraient, à ce titre, un mo­
dèle du genre par leur large
concertation. « C’est le texte de tous
les dangers », a­t­il affirmé avant
de féliciter sa majorité : « Mais il a
été extrêmement bien préparé », en
associant ceux « qui sont opposés à
la philosophie de ce texte ».

« Agendu du réel »
L’essentiel du discours du chef de
l’Etat a consisté à développer qua­
tre axes pour la seconde partie de
son quinquennat : le travail, l’éco­
logie, les retraites et le « régalien ».
En clair, l’immigration et la sécu­
rité. « Beaucoup de choses ont été
faites » en matière d’environne­
ment depuis deux ans, d’abord, a
voulu convaincre Emmanuel Ma­
cron, défendant « un agenda du
réel » en la matière. « Jusqu’à 2017,
on ne prenait que des lois qui s’ap­
pliquaient pour le futur », raille­t­il,
en référence notamment au pro­
gramme de réduction de la part du
nucléaire dans la production éner­
gétique française lancé par son
prédécesseur, François Hollande.
Lui assure vouloir plutôt bâtir une
écologie du « compromis », « avec
les corporations, les paysans, les in­
dustriels », une « transition en
vrai », selon ses termes.

M. Macron s’est félicité de l’am­
bition qu’il affiche de vouloir ré­
former le système de retraites
français, hérité de l’après­guerre :
« Ce sujet, personne ne l’a abordé
depuis 1945, personne ne l’a abordé
tout court. Modifier un système qui
existe, c’est pire qu’en construire
un, parce que les gens ont déjà
quelque chose. » Mais c’est sur le
régalien que le chef de l’Etat s’est
particulièrement étendu en souli­
gnant notamment le défi de « la
lutte contre les communautaris­
mes ». « Il y a une sécession à
l’égard de la République dans cer­
tains quartiers », a­t­il renchéri, re­
joignant les propos lâchés par Gé­
rard Collomb lorsque ce dernier a
quitté le ministère de l’intérieur,
en octobre 2018.
Quant à l’immigration, le prési­
dent de la République a assumé
vouloir « regarder le sujet en face ».
Anticipant les critiques de certains
dans sa majorité, qui s’inquiètent
d’un virage droitier, il entend pla­
cer ce débat sur le plan social, esti­
mant que « la gauche a abandonné
le sujet pendant des années ».
« Les bourgeois n’ont pas de pro­
blèmes avec [l’immigration] : ils ne
la croisent pas. Les classes populai­
res vivent avec », assure­t­il. Et de
s’inquiéter d’un droit d’asile « dé­
tourné de sa finalité ». Des propos
que M. Macron avait déjà tenus en
privé, ces dernières semaines, de­
vant des responsables de la majo­
rité et du gouvernement.

« J’attends l’unité »
En venant sur ce terrain, le chef de
l’Etat veut poursuivre le bras de fer
qui l’oppose au Rassemblement
national de Marine Le Pen. « Vous
n’avez qu’un opposant sur le ter­
rain : c’est le Front national. Il faut
confirmer cette opposition, car ce
sont les Français qui l’ont choisie »,
a­t­il défendu, dans la continuité
du face­à­face organisé lors des
élections européennes, en mai.
Enfin, ce discours a été l’occasion
pour Emmanuel Macron de faire
une incise sur les élections muni­
cipales de mars 2020. « Ce que j’at­
tends de nous collectivement, c’est
l’unité », a insisté le chef de l’Etat
auprès des parlementaires, alors
que les risques de dissidences se
multiplient au sein de la Républi­
que en marche (LRM). « Il faut sou­
quer ensemble parce que sinon on
perd », a­t­il lancé alors que se trou­
vait face à lui Cédric Villani, candi­
dat dissident opposé à Benjamin
Griveaux, officiellement investi
par LRM à Paris. « Quand j’entends
parfois dans notre famille politique
certains qui disent “ces commis­
sions d’investitures, ce n’est pas lé­
gitime”, moi, je veux bien, mais ils
oublient qui les a faites et com­
ment! », a tancé le chef de l’Etat,
contrecarrant les arguments des
partisans de M. Villani.
Le mathématicien s’est éclipsé
parmi les premiers de l’hôtel parti­
culier du 7e arrondissement pari­
sien. « Mon propos est de rassem­
bler, je n’attaque personne », a­t­il
rétorqué dans la nuit face à un ri­
deau de micros et caméras. Les
équipes de Benjamin Griveaux y
ont vu « un message clair à l’en­
droit » de leur adversaire. « Le truc
est sorti de travers, cela ne visait pas
Cédric Villani », assure­t­on dans
l’entourage du chef de l’Etat. Un de
ses proches a même envoyé un
message au mathématicien pour
l’en assurer. Pour ce qui est de
l’unité, l’acte II du quinquennat
n’est pas encore gagné.
o. f., al. le., c. pi.
et manon rescan

VERBATIM


Nous nous retrouvons à un moment particulier, nous sortons d’une
crise politique, sociale, profonde, celle qu’on a appelée des « gilets
jaunes », qui n’est pas seulement d’ailleurs une crise, qui a été l’ex-
pression symptomatique d’un mal très profond qu’il y avait sur nos
territoires, dans une partie de la société française, et qui a exprimé
beaucoup de choses qui parfois étaient là depuis des décennies (...),
mais qui est encore gros dans la société.
On se retrouve à une rentrée où, certes, les vents ne sont pas de face
mais certains sont de traverse et où il faut être précautionneux. Plu-
sieurs catégories de la population restent extrêmement nerveuses, les
inquiétudes sont là, et si nous avons répondu à certaines demandes,
si nous avons tenu bon, tout en étant cohérents avec la promesse ini-
tiale, ces inquiétudes demeurent, des perturbations sont là qui doi-
vent nous garder de toute forme d’arrogance, de certitudes excessi-
ves, ou d’une prudence qui conduirait à l’immobilisme. Mais [elles
nous obligent à] une vigilance profonde qui doit nous conduire à agir,
mais en veillant à chaque fois à répondre à telle ou telle inquiétude et
en évitant qu’elles ne se coagulent.
Ensuite, nous nous retrouvons dans un moment de ce quinquennat
qui n’est pas simplement une deuxième phase sur le plan calen-
daire, mais qui est l’ouverture de cet acte II (...). La première phase
a été celle des réformes menées tambour battant (...). La deuxième
phase est celle tout à la fois de nouvelles réformes amples, profon-
des, pas moins ambitieuses, et de la déclinaison en profondeur, et
du temps des résultats, des premières réformes conduites. C’est
aussi celle d’une méthode nouvelle (...) où nous corrigeons parfois
des choses que nous avons mal faites ou qui ont été perçues comme
étant insatisfaisantes. La perception est une réalité en politique. Il
faut y répondre.
Les familles politiques sont en train d’investir pour les municipales,
qui se tiendront au printemps et qui ouvrent une phase où nous n’ar-
rêterons plus le cycle électoral. Il faut le regarder comme tel et pas
seulement regarder les municipales comme une forme d’élection qui
existerait au milieu de nulle part. (...) Les municipales vont poser la
question de la capacité de nos formations politiques à nous enraciner
véritablement et à la majorité présidentielle de décliner sa présence
partout sur le territoire. Je le dis parce que c’est sans doute une des
choses qui nous a manqué dans la première partie du quinquennat.
(...) Le temps de l’enracinement sonne avec ces municipales.

Emmanuel Macron, le 16 septembre, lors d’un discours à sa majorité

LE PREMIER 


MINISTRE, ÉDOUARD 


PHILIPPE, MONTRE 


UN ENTHOUSIASME 


MESURÉ AU MOMENT 


D’ENTRER 


DANS CE DÉBAT

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