Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1

20 |sports MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019


0123


Mauro Icardi, forte tête et buteur en série


Avec son nouvel attaquant argentin, le PSG affronte le Real Madrid, mercredi, en Ligue des champions


PORTRAIT


O


n ignore si c’est une
bonne nouvelle s’agis­
sant d’un avant­centre
mais, enfant, Mauro
Icardi excellait dans le tir aux
pigeons. En espadrilles, il allait par
les rues sales de la Ceramica, quar­
tier de Rosario, en Argentine, strié
de bidonvilles, un lance­pierre
artisanal dans la poche du panta­
lon, un ballon sous le coude, et
visait les oiseaux que le père, bou­
cher, mettait sur la braise le soir,
déplumés et nettoyés.
Les victimes se dégustaient avec
un peu de sel, des pommes de
terre et des champignons, expli­
que­t­il dans son autobiographie,
Sempre avanti (Sperling & Kupfer,
avec Paolo Fontanesi, 2016, non
traduit). « Plus qu’une nécessité,
c’était devenu une passion, même
si ramener à la maison un peu de
nourriture ne gâchait rien. (...) Mes
deux parents travaillaient, de
temps en temps en ce qui concerne
ma mère, et n’avaient pas d’argent
à dépenser inutilement. Les seuls
divertissements que je pouvais
m’autoriser coûtaient zéro : le foot­
ball, les billes et mon lance­pierre. »
Le poste d’avant­centre du Pa­
ris­Saint­Germain est désormais
brigué par deux Sud­Américains
férus de chasse et de pêche. Edin­
son Cavani forfait, c’est Mauro
Icardi, 26 ans, qui devrait débuter
à la pointe de l’attaque pari­
sienne lors de l’entrée en lice du
PSG en Ligue des champions,
mercredi 18 septembre, contre le
Real Madrid.

« En Argentine, il n’est pas aimé »
L’Uruguayen et l’Argentin se re­
trouvent aussi dans une nature
secrète, solitaire et déterminée.
Le premier est déjà une légende
parisienne ; le second, vu du Parc
des Princes, n’est encore qu’un
compte Instagram nourri en
abondance et un chiffre promet­
teur : 124, comme les buts mar­
qués en six saisons à l’Inter Milan,
club dont il fut successivement
l’espoir, la gloire et le paria.
Un paria, Icardi l’est aussi dans
son pays de naissance. Il peut
bien être le plus grand buteur du
championnat italien ces cinq der­
nières années, il reste un nain à
l’échelle de Rosario, ville bénie du
football argentin qui vit naître
Lionel Messi, César Luis Menotti
et Marcelo Bielsa. L’Argentine
l’ignore superbement.

Il l’a quittée à 9 ans, quand son
père a abandonné la boucherie de
Rosario, pendant la crise finan­
cière, pour les rives de Grande Ca­
narie, en Espagne, où Icardi a rem­
pli les filets : 500 buts revendi­
qués en cinq saisons, et bon nom­
bre de poissons­perroquets, ses
préférés. Il revient parfois pour
constater que La Ceramica n’a pas
changé, que ses amis de l’époque
se sont, pour beaucoup, noyés
dans le trafic de drogue.
Beaucoup plus rarement, il re­
joint l’Albiceleste (8 sélections).
C’est une meurtrissure qu’il évo­
que peu et dont les causes sont
multiples. « Le joueur de foot ne se
discute pas, il est bon, dit son com­
patriote Delio Onnis, meilleur bu­
teur de l’histoire du championnat
de France. Concernant sa person­
nalité, c’est mieux qu’on n’en parle
pas. Ici, en Argentine, il n’est pas
aimé. Ni par les joueurs ni par les
anciens joueurs. Au moins 50 % de
la raison de son absence en sélec­
tion, c’est ce qu’il s’est passé avec
Maxi Lopez et Wanda Nara. C’est
une tache énorme qui lui colle à la
peau, et il le sait très bien. »
On ne peut comprendre Mauro
Icardi, sa trajectoire, sans évoquer
son couple. En 2013, Wanda Nara,
mannequin rendue célèbre en Ar­
gentine par une nuit d’ébats avec
Diego Maradona puis par son ma­
riage avec l’attaquant Maxi Lopez,
quitte ce dernier pour Icardi. Lo­
pez et Icardi jouent tous deux
pour la Sampdoria de Gênes, Lo­
pez faisant même office de grand
frère pour son jeune compatriote.
Depuis cet épisode, Mauro
Icardi n’est, vu d’Argentine, rien
de plus qu’un époux et un verbe :
icardear, qui désigne le fait de
partir avec la femme de son
meilleur ami. Le dieu Maradona
l’a crucifié dans la presse : « C’est
un traître. A mon époque, on
l’aurait attrapé et on se serait
relayé pour le rouer de coups. »
« Cette histoire avec Maxi Lopez
lui a coûté, bien sûr, et surtout les
déclarations de Maradona, ad­
met Pino Letterio, son premier
agent en Italie, avant d’être rem­
placé par... Wanda Nara. Mais on
ne parle pas de quelqu’un qui a eu
une nuit d’amour avec cette
femme. Il était amoureux, il l’a
épousée, ils ont eu deux enfants. »
Icardi assume : « Si ça dérange
quelqu’un, je comprends, mais je
n’en ai rien à faire », répète­t­il.
Icardi est tout entier dans cette
phrase. Letterio, resté dans le pre­

mier cercle du joueur : « Il est très
fermé et garde tout en lui. Mauro
écoute tout le monde, mais il dé­
cide seul. Et faire ce qu’il entend,
c’est sa force. Avec sa tête dure, il ne
ressent pas la pression. »
Marco Branca, directeur sportif
historique de l’Inter Milan, se sou­
vient de ce jeune attaquant, alors
cinquième dans la hiérarchie, qui
refusa de retourner en prêt à
Gênes et qui, pour marquer son
mépris, fit crisser les pneus de sa
voiture de sport en partant.

Ethique de travail
Quelques années plus tôt, « Mau­
rito » avait mis le feu à un arbre en
allumant un barbecue au bord du
terrain d’entraînement du FC Bar­
celone ; il voulait faire griller un
pigeon. « J’étais un enfant sauvage
et, à bien des égards, je le suis en­
core », admet Icardi, pour qui dé­
termination et bravoure étaient
inscrites dans son thème astral.
Cette saison, Icardi le têtu a tenté
jusqu’au dernier jour du mercato
de ne pas quitter Milan. Il serait
resté contre l’avis de ses proches,
qui l’ont vu « perdre sa joie de vivre
et sa sérénité », abîmé par un long

conflit avec l’Inter. Contre l’état­
major du club. Contre le nouvel
entraîneur, Antonio Conte. Con­
tre une partie du vestiaire, piqué
par les remarques acerbes de
Wanda Nara, chroniqueuse à la té­
lévision italienne. Contre la Curva
Nord, virage des ultras intéristes,
en froid avec l’Argentin depuis
trois ans pour un passage contro­
versé de son autobiographie.
« A 30 ans, je me vois encore ici »,
disait­il en 2018 au magazine ita­
lien Rivista Undici. Une fidélité du
siècle dernier, conforme à ce ca­
ractère ambivalent, à la fois su­
perficiel sur les réseaux sociaux

et amateur de gros bolides, et très
adulte – « J’ai toujours été plus ma­
ture que mon âge. C’est grâce à ma
mère, qui m’a toujours laissé pren­
dre de grands coups dans la tête,
pour me faire comprendre que la
vie n’était pas Disneyland ».
Icardi le progressiste – rares
sont les joueurs confiant leur car­
rière à leur femme et s’imaginant
père au foyer à 40 ans – s’est
aliéné des coéquipiers dans tous
les vestiaires, mais jamais les en­
traîneurs, qui louent son sang­
froid et son éthique de travail.
Pasquale Sensibile, son direc­
teur sportif à la Sampdoria, désor­
mais chez l’agence de joueurs
P&P Sport Management, se sou­
vient d’un garçon « très respec­
tueux, presque introverti, timide ».
Un buteur « attiré de façon obses­
sionnelle par le but », parfois dis­
trait dans les oppositions de fin
d’entraînement, mais qui, sur
une passe en profondeur ou une
boulette du défenseur, surgissait
« et marquait de façon presque dé­
sinvolte ». Comme un chasseur,
lance­pierre à la ceinture, à l’affût
d’une volée de pigeons.
clément guillou et léo ruiz

A Lille, Luis Campos scénariste dans l’ombre


A la tête de la direction sportive du LOSC, le Portugais a façonné l’effectif du club qui affronte, mardi, l’Ajax en Ligue des champions


FOOTBALL


I


l parcourt des kilomètres,
contrôle les débats, sait se
montrer décisif et se rate ra­
rement... Autant de caractéristi­
ques qui pourraient s’appliquer à
un bon milieu de terrain en foot­
ball. A 55 ans, Luis Campos n’a ni
les qualités techniques ni l’âge
pour occuper un tel poste. Pour
autant, à Lille, sa « patte » se fait
sentir sur le terrain. Le Portugais
est l’homme­clé du renouveau du
LOSC, qui, mardi 17 septembre, af­
fronte l’Ajax Amsterdam pour
son premier match de la Ligue des
champions.
Conseiller sportif du président
du club nordiste, Gérard Lopez –
celui­ci l’a emmené dans ses baga­
ges lors du rachat du LOSC en jan­
vier 2017 –, Luis Campos est un di­
recteur sportif qui ne dit pas son
nom. C’est lui qui a, pour une
grande part et dans l’ombre, fa­
çonné l’équipe ces deux dernières
années, à travers ses recrutements.
Arrivé dans le football par la voie

universitaire (un diplôme d’éduca­
teur sportif et physique obtenu à la
faculté de Porto), l’intéressé cultive
un paradoxe : élément central du
club lillois, il n’en est pas salarié,
mais collaborateur à travers une
société de conseil. Une situation
qui lui offre une plus grande indé­
pendance et ne l’a pas empêché de
placer des hommes de confiance
dans toutes les strates du club.

Bras de fer
Dans le Nord, Luis Campos a pour­
tant gagné son plus grand bras de
fer tout seul. C’était en 2017, après
l’arrivée, à l’été, de l’entraîneur
Marcelo Bielsa. Entre les deux
hommes, les rapports ont vite été
compliqués : autoritaire assumé et
interventionniste, le Portugais a
dû composer avec l’Argentin, au
caractère également très affirmé
et adepte d’un principe immua­
ble : le refus de toute ingérence.
Une défaite à Amiens en no­
vembre conduira la direction du
club à trancher : si le directeur gé­
néral, Marc Ingla, était plutôt fa­

vorable au maintien de Bielsa
malgré les mauvais résultats, Luis
Campos se montrera plus con­
vaincant, et le président Lopez se
séparera du coach.
L’ancien préparateur physique
et entraîneur aura alors les mains
libres. Et ses choix renforceront
sa position : à l’été 2018, il impulse
le recrutement de Jonathan
Ikoné, Jonathan Bamba, José
Fonte, Rafael Leao et Zeki Celik, et,
au terme de la saison 2018­2019,
les Dogues terminent deuxième
du championnat.

Celik, désormais indispensable
en club comme en sélection tur­
que, symbolise la méthode Cam­
pos. Jamais apparu en première
division dans son pays, et donc ab­
sent des radars des clubs rivaux, il
avait été suivi de longue date par
une cellule de recrutement qui se
déplaçait régulièrement le voir.
La structure chargée d’identifier
les recrues potentielles est, elle
aussi, extérieure au club : Scoutly
Limited est une filiale de la so­
ciété mère du LOSC, Victory Soc­
cer. Une façon de passer ina­
perçu : « Quand Luis va voir un
joueur, s’il s’annonce, il va y avoir
du monde qui va s’y intéresser... »,
faisait ainsi remarquer, en jan­
vier, le président lillois.
Luis Campos ne se déplace toute­
fois pas sur tous les terrains du
monde. Il est plus patron d’une
structure ultrafonctionnelle que
génie de la détection : appuyée sur
plus de trente recruteurs, Scoutly
possède une base de données co­
lossale (plus de 1 000 joueurs sui­
vis) et le personnel pour l’analyser.

Capables d’identifier les profils
en adéquation avec la tactique de
l’entraîneur Christophe Galtier, les
recruteurs lillois peuvent se posi­
tionner sur les dossiers avant leurs
concurrents. C’est ainsi que l’atta­
quant nigérian Victor Osimhen,
actuel co­meilleur buteur de Li­
gue 1, le meneur turc Yusuf Yazici,
le milieu français Benjamin André
et le latéral croate Domagoj Brada­
ric ont pu être achetés cet été pour
remplacer Rafael Leao, Nicolas
Pépé, Thiago Mendes et Youssouf
Koné, partis pour un montant frô­
lant 140 millions d’euros. Ces
choix semblent déjà payants sur le
terrain (le LOSC occupe la 4e place
de la Ligue 1), seul Yazici peinant à
se mettre dans le rythme.
Reste que le modèle d’achat­re­
vente de joueurs, sur lequel s’ap­
puie le LOSC, ne fonctionne que si
les recrues confirment le potentiel
qu’on leur prête. Un tel « système »
a par exemple montré ses limites
la saison dernière à Monaco, club
que Campos a fréquenté trois ans
durant, avec un bilan positif sur

les plans sportif comme financier,
grâce à quelques réussites dans les
recrutements.
C’est là que se trouve l’une des
clés de son succès : à ce poste, l’œil
ne sert à rien si on n’a pas les rela­
tions pour signer les accords. Ami
de longue date de Jorge Mendes,
agent à l’influence tentaculaire, il a
multiplié, à Monaco, les recrues
appartenant à Gestifute, l’écurie
de son compatriote.
A Lille, un joueur étiqueté Men­
des est arrivé avant la fin du mer­
cato cet été : Renato Sanches, plus
jeune vainqueur de l’Euro en 2016
mais en perdition depuis son
transfert au Bayern Munich il y a
trois ans. Ce gros coup – c’est la re­
crue la plus chère de l’histoire du
LOSC – n’aurait jamais été possible
sans Luis Campos. De quoi renfor­
cer l’aura d’un personnage discret
mais très influent, dont le savoir­
faire et un immense carnet
d’adresses lui permettent de navi­
guer mieux que personne dans le
monde des transferts.
christophe kuchly

A ce poste, l’œil
ne sert à rien
si on n’a pas les
relations
pour signer
les accords
de recrutement

Mauro Icardi,
lors de
son premier
match avec
le PSG, contre
Strasbourg,
au Parc
des Princes,
samedi
14 septembre.
GONZALO FUENTES/
REUTERS

« C’est un traître.
A mon époque,
on l’aurait
attrapé et on
se serait relayé
pour le rouer
de coups »
DIEGO MARADONNA
ancien sélectionneur argentin

LES  CHIFFRES


18
L’âge auquel il effectue
ses débuts professionnels
avec la Sampdoria de Gênes.
Repéré sous les couleurs du club
espagnol de Vecindario, Mauro
Icardi poursuit, à 15 ans, son
apprentissage à la Masia,
le centre de formation
du FC Barcelone, avant de
rejoindre le club italien en 2012.

124
Le nombre de buts qu’il a
inscrits en six saisons (2013-
2019) avec l’Inter Milan.

8
Le nombre de ses sélections
avec l’Albiceleste, l’équipe
nationale d’Argentine.
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