Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1

4 |international MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019


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Boris Johnson laisse les Européens dans le flou


Le premier ministre britannique communique sur sa volonté de négocier, sans avancer aucune proposition


londres ­ correspondante
bruxelles ­ bureau européen

I


ls ne s’étaient pas encore
rencontrés depuis que Boris
Johnson a remplacé Theresa
May au 10 Downing Street.
Finalement, alors que Londres et
Bruxelles doivent trouver un ac­
cord avant le 31 octobre s’ils veu­
lent éviter une sortie du Royau­
me­Uni de l’Union européenne
(UE) sans accord (ou un énième
report du divorce), le premier mi­
nistre britannique a demandé à
rencontrer Jean­Claude Juncker,
le président de la Commission.
Lundi 16 septembre, les deux
hommes ont partagé leur déjeu­
ner – œuf bio mollet suivi d’un
lieu jaune – dans un restaurant à
Luxembourg. Michel Barnier, le
négociateur en chef du Brexit
pour les Vingt­Sept, ainsi que Ste­
phen Barclay, le secrétaire britan­
nique, étaient également autour
de la table.
On ne sait pas si les deux diri­
geants ont appris à s’apprécier


  • l’entourage de M. Juncker a qua­
    lifié la rencontre d’« amicale »,
    quand celui de M. Johnson l’a dite
    « constructive » – mais, à écouter
    leurs déclarations à son issue, il ne
    semble pas que ce rendez­vous ait
    permis de débloquer la situation.
    « Oui, nous sommes près d’un ac­
    cord », a lancé le premier ministre
    britannique, invitant l’Europe à


« bouger ». Il n’y a « pas de proposi­
tion sur la table », a pour sa part
commenté laconiquement la
Commission, donnant donc une
interprétation radicalement dif­
férente de l’avancée du dossier.
Les deux parties ont en tout cas
convenu d’intensifier les négocia­
tions à quarante­cinq jours de
l’échéance du 31 octobre. Celles­ci
devraient désormais se tenir à un
rythme quotidien – et non plus
deux jours par semaine – et pas
seulement à un niveau techni­
que, mais sous l’égide de
MM. Barnier et Barclay.

« L’heure tourne »
La Commission exige que Lon­
dres présente des solutions alter­
natives à l’accord qui a été négo­
cié et que le Parlement britanni­
que a rejeté à trois reprises. En
cause, le « backstop », qui doit per­
mettre d’éviter le retour d’une
frontière physique entre l’Irlande
du Nord, qui fait partie de la cou­
ronne, et la République d’Irlande,
membre de l’UE, et donc de res­
pecter les accords du Vendredi
saint, tout en gardant le Royau­
me­Uni dans un « territoire doua­
nier unique ». Inacceptable pour
M. Johnson, qui veut que son pays
soit à même de négocier des ac­
cords commerciaux bilatéraux
avec qui bon lui semble.
Le premier ministre luxem­
bourgeois, Xavier Bettel, qui a
rencontré son homologue britan­
nique dans l’après­midi, s’est
montré bien plus virulent que
M. Juncker. « L’heure tourne, arrê­
tez de parler, agissez », a­t­il lancé,
lors d’une conférence de presse
qu’il a finalement animée tout
seul. M. Johnson avait en effet
préféré ne pas y assister, en raison
du tapage causé par une manifes­
tation pro­européenne à deux
pas des deux dirigeants. « Ne fai­
tes pas de l’UE le méchant de l’his­
toire, a poursuivi M. Bettel, haus­
sant le ton à l’égard du chef de

Lundi, à Luxembourg, en tout
cas, Boris Johnson n’a fait
aucune proposition concrète.
Dès lors, la même question de­
meure, depuis sa prise de fonc­
tion : souhaite­t­il vraiment re­
négocier l’accord de Theresa May
avec Bruxelles? Ou continue­t­il
à bluffer, en espérant que ses fu­
turs ex­partenaires renonceront
à toute forme de « backstop » à la
veille d’un Brexit sans accord, de
peur d’un « no deal » dont les dé­
gâts seraient ravageurs?

« Humiliation »
M. Johnson, qui se compare au su­
per­héros Hulk dans sa bataille
pour libérer son pays des entraves
européennes, a une nouvelle fois
fait savoir, lundi, qu’il entendait
quitter l’UE au 31 octobre. Et qu’il
ne réclamerait pas de troisième re­
port du Brexit alors que la loi bri­
tannique l’y contraint : Westmins­
ter a, en effet, voté un texte qui
l’oblige à formuler cette demande

à Bruxelles à partir du 19 octobre,
c’est­à­dire après le sommet euro­
péen des 17 et 18 octobre, s’il n’est
pas parvenu à renégocier un ac­
cord d’ici là.
« J’obéirai à la loi », a­t­il assuré à
Laura Kuenssberg, la chef du ser­
vice politique de la BBC, qui avait
fait le déplacement à Luxem­
bourg. « Comment? En la contour­
nant? », lui a demandé la journa­
liste. « Ce sont vos propres mots », a
esquivé le premier ministre, qui
s’est dit « juste un petit peu plus op­

timiste », à l’issue de son déjeuner
luxembourgeois, « que ce ma­
tin »... « Johnson est obligé de dire
qu’il veut trouver un accord, puis­
que Westminster a voté une loi
l’obligeant à demander un report »,
explique un haut fonctionnaire
européen. « Soit on fait partie
d’une stratégie électorale de John­
son, soit il veut vraiment un accord.
On ne le saura pas avant le som­
met », poursuit­il.
Lundi soir, la presse britannique,
qui semble avoir renoncé à com­
prendre les intentions cachées de
M. Johnson, insistait surtout sur
« l’humiliation » qu’il aurait subie
au Luxembourg, le premier minis­
tre du Grand­Duché, Xavier Bettel,
ayant choisi de répondre à la
presse sans lui. Il a été pris « en em­
buscade », vitupérait le Daily Tele­
graph, très en faveur du chef du
gouvernement, qui fut l’un de ses
ex­chroniqueurs.
cécile ducourtieux
et virginie malingre

Le premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, répond seul aux questions des journalistes, à Luxembourg, le 16 septembre.
Craignant les huées des manifestants, Boris Johnson a boudé la conférence de presse. YVES HERMAN/REUTERS

gouvernement tory : On ne peut
pas prendre l’avenir en otage pour
des motifs politiciens. »
A six semaines du Brexit, la stra­
tégie de M. Johnson paraît tou­
jours aussi illisible. Ces dix der­
niers jours, des sources à Dow­
ning Street ont pourtant laissé
entendre qu’il serait prêt à envi­
sager un « backstop » limité à l’Ir­
lande du Nord. Auquel cas, seule
Belfast, et non l’ensemble du
Royaume, resterait dans le mar­
ché unique. Un schéma que
Bruxelles avait initialement pro­
posé à Theresa May et qu’elle avait
exclu, sur pression de son petit
partenaire de coalition, le parti
unioniste nord­irlandais DUP,
craignant qu’il n’ouvre la porte à
une réunification des deux Irlan­
des. Pour l’heure, Londres a fait
un premier pas vers cette solu­
tion, en envisageant de continuer
à appliquer les normes européen­
nes en matière sanitaire et phyto­
sanitaire en Irlande du Nord.

« On ne peut pas
prendre l’avenir
en otage pour
des motifs
politiciens »
XAVIER BETTEL
premier ministre
luxembourgeois

Boris Johnson
a assuré qu’il
ne réclamerait
pas de troisième
report du Brexit,
alors que la loi
l’y contraint

Pour la Finlande, l’Europe doit participer au contrôle des armements


Le président Sauli Niinistö est favorable au dialogue avec Vladimir Poutine, s’il respecte les accords de Minsk sur le conflit en Ukraine


kiev ­ envoyée spéciale

L’


Europe, si elle est concer­
née, doit être partie aux
éventuelles négociations
sur le contrôle des armements
susceptibles de succéder au ré­
gime hérité de la guerre froide qui
est en cours de démantèlement,
estime le président finlandais,
Sauli Niinistö, dans un entretien
accordé au Monde.
M. Niinistö, qui fait écho à une
revendication formulée ces der­
nières semaines par le président
Emmanuel Macron et sa ministre
de la défense, Florence Parly, s’ex­
primait en marge d’une confé­
rence, à Kiev, au cours de laquelle il
est intervenu aux côtés du prési­
dent ukrainien, Volodymyr Ze­
lensky, vendredi 13 septembre.
« L’ordre international fondé sur
des règles s’effondre sous nos
yeux », y a affirmé le président fin­
landais. Le cinéaste ukrainien
Oleg Sentsov, arrêté en Crimée,
en 2014, par les forces russes, puis
condamné à vingt ans de prison, y
est également intervenu, quel­

ques jours après sa libération à la
faveur d’un échange de prison­
niers entre l’Ukraine et la Russie.
Cet échange est considéré
comme un premier pas vers un
sommet quadripartite dit « du
format Normandie », réunissant
les présidents Poutine, Zelensky,
Macron et la chancelière Merkel,
afin de relancer les accords con­
clus à Minsk, en 2015, sur un pro­
cessus de paix russo­ukrainien.
Pour M. Niinistö, président d’un
pays qui partage plus de 1 300 kilo­

mètres de frontière avec la Russie,
l’application des accords de Minsk,
au point mort depuis trois ans,
« contribuerait à la sécurité » en Eu­
rope et permettrait de « diminuer
la tension ». « Ensuite, poursuit­il,
se pose la question plus large des
traités comme celui du FNI », le
traité conclu entre l’URSS et les
Etats­Unis sur les forces nucléaires
à portée intermédiaire, violé par
Moscou et dénoncé cet été par
Washington ; l’Europe n’était pas
partie à ce traité, alors que ces mis­
siles intermédiaires concernaient
son territoire. Dans la mesure où
une application des accords de
Minsk « pourrait aussi modifier la
relation russo­américaine, la pro­
chaine étape, estime M. Niinistö,
peut être de renforcer le contrôle
des armements. Dans ce cas, l’Eu­
rope doit s’assurer de figurer
comme tierce partie : si l’Europe est
au menu des discussions, elle doit
se faire entendre ».
Le président finlandais souligne
que, s’il s’agit de contrôle des ar­
mements nucléaires, alors la
France et le Royaume­Uni, puis­

sances nucléaires européennes,
devraient avoir voix au chapitre.
En tout état de cause, dit­il :
« Nous devons avoir autant de
contrôle des armements que pos­
sible. » Pour autant, Sauli Niinistö
reste prudent, tant sur les chan­
ces de progrès du processus de
Minsk que sur l’évolution de la re­
lation de la Russie avec l’Europe.

« Peu enclin à l’exagération »
Le président finlandais, au pou­
voir depuis 2012, rencontre cha­
que année le président Poutine et
l’a vu tout récemment à Helsinki,
où il s’est arrêté sur le chemin du
retour après ses entretiens avec
le président Macron, à Brégan­
çon. Avec lui, relève­t­il, Vladimir
Poutine « s’est toujours montré
assez ouvert au dialogue ». Parti­
san « de conserver le canal du dia­
logue ouvert avec la Russie »,
M. Niinistö souligne cependant,
parallèlement, « l’importance de
maintenir les sanctions » prises
contre Moscou après l’annexion
de la Crimée et l’intervention
dans le Donbass, en 2014.

Pour lui, « peut­être l’attitude [de
M. Poutine] n’est­elle pas directe­
ment positive, mais clairement, le
processus des accords de Minsk
exige qu’il y ait un minimum de
mouvement ». Pourquoi le chef du
Kremlin serait­il aujourd’hui plus
enclin à bouger alors que, comme
M. Niinistö l’a lui­même relevé
dans son discours à Kiev, les sanc­
tions n’ont pas provoqué l’effon­
drement de l’économie russe? « Il
est très difficile pour nous de lire
dans ses pensées, répond le prési­
dent finlandais, mais, certaine­
ment, pour la Russie, le fait que les
portes de l’Europe soient fermées
n’est pas une bonne chose. »
Sauli Niinistö n’ira pas jusqu’à
parler de fenêtre d’opportunité


  • « Je suis finlandais, donc peu en­
    clin à l’exagération, note­t­il. Disons
    que, depuis l’annexion de la Crimée,
    il y a cinq ans, en moyenne, la situa­
    tion a été pire qu’aujourd’hui. » Il
    juge « probable » que M. Poutine
    soit intéressé par une future rela­
    tion de sécurité avec l’Europe,
    mais précise : « Pour en avoir parlé
    plusieurs fois avec le président Ma­


cron, je comprends que [M. Ma­
cron] pose une précondition à tout
cela, c’est l’application des accords
de Minsk. Et je suis tout à fait d’ac­
cord avec lui sur ce point. »
Pour ce qui concerne la future
relation de la Russie avec l’Eu­
rope dans le scénario optimiste
d’une solution négociée à la crise
ukrainienne, le président finlan­
dais s’abstient de dire, comme
M. Macron, que « la Russie est
européenne ». « Je vais reprendre,
dit­il, ce que disent les Russes : ils
restent russes, mais cela n’empê­
che pas la possibilité de coopéra­
tion économique. » Quant au pro­
jet d’« architecture de sécurité et
de confiance » que promeut le
président français, M. Niinistö
botte également en touche : « Le
dialogue est important, je le ré­
pète. Je comprends très bien le
président Macron, et je soutiens
son raisonnement, néanmoins je
m’en tiendrai à souligner l’impor­
tance du dialogue. Il le dit lui­
même : commençons par résou­
dre Minsk. »
sylvie kauffmann

« Pour la Russie,
le fait que
les portes
de l’Europe
soient fermées
n’est pas une
bonne chose »
SAULI NIINISTÖ
président finlandais

LE  CONTEXTE


RECOURS
La Cour suprême du Royaume-
Uni examine à partir du mardi
17 septembre le bien-fondé de la
suspension controversée du
Parlement jusqu’au 14 octobre,
voulue par le premier ministre,
Boris Johnson. Si la Cour juge la
suspension illégale, le Parlement
doit être immédiatement rap-
pelé. Avec des prévisions alar-
mantes sur le risque de pénuries,
une majorité de députés s’op-
pose à une sortie de l’UE sans
accord et veut annuler la suspen-
sion du Parlement, afin d’avoir
plus de temps pour bloquer un
« no deal ». Ils ont voté une loi
obligeant M. Johnson à deman-
der un report de trois mois du
Brexit, prévu le 31 octobre.
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